1948 : Une grande période de réflexion pour la F.F.E. - 1949 : une réflexion de la section Neutre sur la notion d’engagement :

Ven23Déc201111:49

1948 : Une grande période de réflexion pour la F.F.E.

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Le Trèfle de mai 1949 rapporte les débats du Congrès de Vénosc en décembre 1948,  où une question importante est évoquée par les responsables de la section Neutre, dans le prolongement immédiat des sujets abordés au camp national : l’implication de la Fédération dans l’information et la formation « politiques », ou même dans l’action.

Le texte correspondant est tout à fait significatif :

«  À propos de la question : « l’apolitisme est-il viable pour un Mouvement de jeunesse éducatif ? », les déléguées :

-   après avoir constaté que l’apolitisme a été la position de la F.F.E. pendant bien des années, position qui était considérée comme idéale et même généreuse, reconnaissent que cet apolitisme recouvrait souvent, outre la passivité, la crainte de s’engager et une certaine ignorance, et correspondait à une orientation inconsciente équivalant à l’acceptation d’un ordre établi ;

-   après avoir considéré que l’apolitisme est actuellement impossible pour quiconque veut avoir une action sociale profonde, cette action demandant des réformes de structure, donc une prise de position politique et une action sur les organismes politiquement établis (partis, syndicats),

jugent indispensable, pour la Section Neutre, de sortir de son indifférence et de son incompétence  et de réviser son attitude.

En conséquence,

-   elles demandent que la Section Neutre se sente responsable de l’information politique de ses cadres et que cette préoccupation se manifeste dans la formation des cheftaines,

-   elles souhaitent que cette information mène normalement les cheftaines à se préoccuper des problèmes politiques et sociaux, à prendre position, à assumer des postes de responsables quand elles le pourront,

-   elles demandent que la Section Neutre travaille à dégager les questions précises sur lesquelles un accord peut se faire au titre du Mouvement. Ces questions seront d’abord celles qui touchent la Jeunesse : école, santé, apprentissage, conditions de travail, loisirs, rééducation, (cette liste n’est en aucune façon limitative) et, en général, les problèmes qui posent la question de la dignité humaine et du respect de la personne : colonialisme, paternalisme, construction de la paix…

Il est bien entendu que :

-   cette position n’implique en aucune manière l’affiliation à un parti, mais les déléguées estiment que la Section Neutre peut et doit, sur des points précis, mener une action commune avec les partis et mouvements ayant la même position qu’elle sur ces points ;

-   la Section Neutre, sur le plan politique comme sur le plan spirituel, doit être un terrain de rencontre. Il faut que chacune puisse exprimer les opinions, même les plus affirmées, sans crainte de se voir cataloguer aussitôt d’une manière partisane.

Les déléguées tiennent cependant à souligner le point suivant : « puisque nous nous affirmons pour un idéal de justice sociale et que le développement plus complet du scoutisme dans le milieu ouvrier est notre but, l’action générale de la Section neutre doit prendre forcément une orientation « socialiste ». (Note : l’emploi de ce terme n’implique, comme il a été dit plus haut, ni affiliation à un parti, ni soumission à un programme de parti). »

Il apparaît clairement que ces propositions vont nettement plus loin que les engagements qui ont caractérisé la Fédération à la fin des années 20 et dans les années 30, même si elles en prolongent l’esprit. Notons toutefois qu’elles émanent exclusivement de la Section Neutre, ce qui est d’ailleurs confirmé par les textes qui suivent.

La discussion se limite bien à la Section Neutre, dont le Comité, « réunion de toutes les commissaires de province, plus quelques membres cooptés en raison de leurs compétences particulières ou de leur personnalité », entraîne une « mise au point » dans la revue – dès le mois suivant :

«  La discussion a tout de suite fait apparaître deux malentendus qui doivent être dissipés :

1°- Les motions votées sont indépendantes des accords signés avec les E.D.F., les sujets traités étaient depuis longtemps déjà au nombre des préoccupations du Comité National ;

Au Congrès de Versailles (Noël 1946), accaparées par la laïcité sur laquelle nous avons réussi à exprimer à peu près clairement notre position, nous avons à peine abordé la question politique qui pourtant se posait déjà. Mais, à la suite de ce Congrès, quelques membres du comité de la Section Neutre ont pris en charge un travail qui a été constamment suivi par le Comité et à la suite duquel, en septembre 1948, le Comité a établi l’ordre du jour du Congrès de Noël ;

2°- Les motions votées aux Congrès de la Section Neutre n’ont pas valeur de décisions collectives ; elles sont l’expression de vœux. Ici, il nous faut reconnaître la maladresse de certains termes dans les motions de Venosc ; ils ont pu faire croire parfois qu’il s’agissait d’une orientation déjà prise alors que nous en sommes seulement à la mise en chantier d’un gros travail. »

La « mise au point », signée d’Henriette Lavoine, est quand même très nette :

« Ce n’est donc, ni le rapprochement avec les E.D.F., ni un opportunisme facile, qui ont poussé le Comité de la section Neutre à étudier la question de l’apolitisme, mais les constatations essentielles suivantes :

1°- Nous nous occupons de jeunes qui, de gré ou de force, vivent dans un monde politisé à outrance et devront plus tard s’engager dans la vie, prendre des responsabilités dans ce monde politisé. Toute éducation qui ne tient pas compte de ces données semble faillir à sa tâche en omettant une part vitale.

2°- D’autre part, des problèmes qui touchent les jeunes d’aussi près que : école, santé, apprentissage, conditions économiques, paix, sont, que nous le voulions ou non, insérés dans la vie politique. C’est pourquoi il nous est apparu nécessaire, malgré la diversité d’opinion des membres de la section Neutre, de rechercher en semble les points sur lesquels nous pouvons nous entendre. On dira que c’est là une utopie. Nous avons pourtant réalisé une unité dans la diversité sur le plan spirituel (vous y tenez et vous semblez en être fières). (…) Dans un pays divisé spirituellement, nous voulons, envers et contre tout, maintenir cette position de carrefour, avec toutes les conséquences que cela implique.

Ici, je me permets une parenthèse, pour mettre les cheftaines en garde contre certaines illusions. Elles s’imaginent que, parce qu’elles sont elles-mêmes à l’aise dans la F.F.E., tout le monde pense de même.  Elles s’imaginent aussi que toutes les opinions s’y côtoient ; or d’immenses secteurs de la jeunesse française ne sont pas représentés dans la section Neutre et ne songent même pas à y entrer, car ils savent, ils sentent qu’ils n’y seraient, ni à leur aise, ni à leur place. C’est justement parce que le Comité de la section Neutre a pris conscience avec acuité de cette carence qu’il propose à toutes de faire un effort d’ouverture ».

Avec quelques examens de situations :

« Un exemple : le Routier de décembre a publié une enquête auprès de jeunes ouvrières des usines du Nord. De cette enquête, il ressort que les jeunes ouvrières sont tellement abruties et avilies par leur travail qu’il leur est impossible de profiter de loisirs intelligents pendant leurs vacances. Trouvez-vous que ce soit dépasser les limites de notre tâche que de nous associer à ceux (les syndicats par exemple) qui cherchent à obtenir des conditions de travail plus humaines pour les jeunes ? Sans cette amélioration, à quoi riment les loisirs que nous sommes en mesure de leur proposer ? »

Mais avec une mise en garde :

« Si les cheftaines se passionnent pour les questions politiques, quand auront-elles le temps de s’occuper de leurs unités ? Une cheftaine ne pourra pas, certes, mener de front la direction d’un groupe et une action politique absorbante. Mais nous avons essayé de montrer en quoi les questions touchent de très près toute action éducative dans le monde actuel. Par conséquent, le fait d’appartenir à un Mouvement qui n’ignore pas systématiquement les questions politiques et qui aide les cheftaines à s’informer, non seulement ne gênera pas leur travail éducatif, mais permettra de le rendre plus profond. »

Bien entendu, tout le monde n’est pas d’accord :

«  Il ne nous semble pas indispensable, moralement, que la section N prenne position politiquement. C’est affaire personnelle.(…) Nous ne sommes pas venues au Scoutisme pour faire des « réformes de structure » ni pour une « action sociale profonde ».

«  Les résolutions de Vénosc nous semblent à la fois dangereuses et contradictoires. Nous nous élevons d’abord contre l’affirmation que « l’apolitisme » de la F.F.E. couvrait passivité et crainte de s’engager. (…) Nous sommes tout à fait d’accord pour que la F.F.E. continue, comme par le passé, à étudier les questions relatives à la jeunesse (école, santé, apprentissage, conditions de travail, loisirs, rééducation, etc…). Mais les problèmes concernant « colonialisme, paternalisme, construction de la paix » étant des problèmes d’ordre politique, sont de ceux sur lesquels la F.F.E. ne peut avoir une doctrine commune.(…) En conclusion, il nous apparaît que l’information politique est nécessaire et même urgente, mais qu’il soit bien entendu qu’information signifie documentation dans tous domaines et tous partis, et non orientation à sens unique aboutissant à l’action commune avec un parti ou un mouvement quel qu’il soit ».

Et la discussion continue :

« … Je pense qu’il faut dire et redire que nous ne voulons pas d’une « orientation imposée à sens unique », mais je crois tout de même que, d’une façon générale, la position à tendance socialiste, anti-paternaliste, est la seule généreuse, respectueuse de la personne humaine. (…) Ce n’est pas « un coup de barre à gauche », c’est un éveil du sens critique appliqué à l’ordre actuellement établi, sens qui ne s’était guère manifesté à la F.F.E. pendant de longues années ».

… avec une réaction de deux cheftaines « de l’assistance publique de Lille » :

« … Pour une fois, nous sortons de notre coupable silence, qui laisse toujours croire que nous sommes « contre ». En fait, nous sommes « pour », absolument. Comme nous sommes heureuses de penser qu’enfin la F.F.E. va ouvrir les yeux sur les problèmes touchant les travailleurs, essayer d’être vraiment « utile » dans la lutte contre la misère. »

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