1948 : Une grande période de réflexion pour la F.F.E. - Quelques parcours...

Ven23Déc201111:49

1948 : Une grande période de réflexion pour la F.F.E.

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Henriette Lavoine, ancienne Commissaire nationale : Organisation et évolution

Henriette LAVOINE "T hibou" , agrégée d’anglais, a terminé sa carrière d’enseignante comme proviseur du lycée Maurice Ravel à Paris. Elle a été Commissaire Nationale de la section neutre de 1945 à 1950. Le D.T., représenté par Maryse ARNAUD et Nicole BERTHELOT, est allé lui rendre visite.

En introduction du témoignage qui lui est demandé, elle répond implicitement à cette question, que beaucoup d’entre nous se posent : « L’éclatement de la F.F.E. était-il inévitable ? » :

« Ce que je souhaite d’abord dire, c’est que les choses ne se sont pas faites brutalement et qu’il faut essayer de comprendre ce qui s’est passé avant la séparation définitive. (…)

J’ai quitté la Bretagne dans le courant de 1944 pour revenir à Paris car j’avais été nommée Commissaire nationale. La double hiérarchie (NB : sections et branches) était organisée depuis 1943 et, dans ma naïveté et mon enthousiasme, j’ai dit : « C’est comme cela qu’il faut marcher ».

À la demande du Comité E.U., divers aménagements sont effectués en 1943. Il n’est pas fait mention des E.I., cela va sans dire.  Le paragraphe suivant est extrait de l’article « Vie de la F.F.E. » qui figure à la première page de juin 1943 et est signé par R. Sainte-Claire Deville qui porte encore le titre de C.N. et qui deviendra Commissaire Générale :

Voici le schéma des nouveaux statuts :

Une présidente

Vice Présidente U.                                                                             Vice Présidente N.

Une Commissaire Générale

3 C.N. ou C.N.A. U pour P.A., E et E.A.

3 C.N. ou C.N.A. N pour P.A., E et E.A.

Commissaire Provinciale U                                                               Commissaire Provinciale N

Reçoit les directives du Comité U                                            Reçoit les directives du Comité N

qui reçoit l’inspiration du C.P.J.

L’une des commissaires est désignée « première » pour prendre vis-à-vis de sa collègue les initiatives de travail commun. Une conseillère fait la liaison si nécessaire.

Les Comités reçoivent les directives de la Commission Exécutive qui comprend :

-       la C.G. et les 6 C.N. et C.N.A.

-       7 C.P.U. désignées par le Comité U

-       7 C.P.N. désignées par le Comité N

Le Comité National réunissant toutes les C.P. se tiendra deux ou trois fois par an. Quelques-unes des Commissions du Comité Technique auront deux sous-commissions U et N qui travailleront en commun la technique et, séparément, la pédagogie.

Les Commissaires de la F.F.E. à tous les échelons auront ainsi des responsabilités séparées, mais travailleront ensemble dans un même esprit, et il est bien entendu qu’au cours de leurs voyages (tout en gardant le souci particulier de la formation et de la direction des cheftaines et unités de leur branche) elles réuniront toutes les cheftaines F.F.E.

J’ai fonctionné selon ce système pendant un an, un an et demi, et je me suis rendu compte que cette double hiérarchie mettait des craquements dans la F.F.E… De plus, après la Libération, est apparu un grand mouvement vers la mixité – c’était un phénomène de société ; il aurait fallu que la F.F.E. en prit conscience, qu’elle comprit le point de vue des garçons. Bien sûr, ils ont toujours été un peu durs avec nous, nous considérant comme des « vieilles filles ». Il aurait fallu, je crois, dialoguer davantage avec eux… On en serait arrivé au même point pour finir !

Je peux vous donner le point de vue de Colchique (Carmen Castro). Elle faisait très bien marcher la F.F.E. aux Sables d’Olonne, à la Roche sur Yon. En Vendée, elle travaillait la main dans la main avec les E.D.F.. Elle a connu le scoutisme (il n’y avait alors ni E.U. ni E.I. dans sa région) à travers les garçons avec lesquels elle avait les meilleures relations du monde. (…)

Colchique estimait qu’on ne pouvait trouver que des avantages à ce que la section Neutre « se marie » avec les E.D.F. et elle a été plutôt peinée d’avoir entendu beaucoup de gens à la F.F.E. dire que les E.D.F. voulaient nous absorber pour augmenter leurs effectifs. (…) Je pense d’ailleurs, et j’ai toujours pensé, qu’au niveau Louveteaux la mixité était très adaptée ; au niveau branche moyenne, il y a eu au départ, chez les E.D.F., des groupes mixtes puis, après des expériences un peu néfastes, certaines unités sont redevenues uniquement de filles ; à l’échelle « aînés », on retrouvait la mixité, et j’estime que c’était aller dans le sens de la société. (…)

Quand, en 1949, un certain nombre d’unités neutres sont passées chez les E.D.F., Pierre François est venu me demander en bonne et due forme de m’occuper des Éclaireuses aux E.D.F. Je n’ai pu que lui répondre « Écoutez, Pierre, il ne faut pas exagérer ! »

Abeille, qui était « petite éclaireuse » en ces temps-là, dans un groupe (Camille Sée) qui, justement, est passé aux E.D.F. en 1949, s’interroge sur le fait qu’au-delà du problème de la mixité, il lui a semblé percevoir une différence de souci primordial dans l’éducation proposée. Cela introduit une analyse de « T’Hibou » : « Oui, les E.D.F. étaient plus laïques au sens restrictif du terme. La F.F.E. N. a opté, dans sa déclaration de principes, pour le terme « neutre » qui n’est pas très joli (il a l’air de dire : il faut se mettre hors de tout) et a rejeté le mot « laïque » parce qu’il avait trop de connotations, disons même politiques. C’était très difficile de trouver le terme précis, de dire ce que nous faisions exactement. Dans mes camps d’éclaireuses, j’ai toujours demandé un temps de silence après le salut au drapeau. Après le déjeuner aussi. Cela créait une certaine atmosphère. (…). Dans les camps d’E.A. ou de cheftaines, il y avait des exercices spirituels proprement dits, mais c’est bien souvent moi qui faisais les E.S. neutres : je suis une laïque convaincue, mes éclaireuses savaient que j’étais catholique, mais ont toujours su que je respectais celles qui étaient de milieu libre-penseur ou agnostique. Tout cela marquait les filles et donnait à la F.F.E. une ouverture spirituelle qui, ainsi, participait à la formation complète de la personne. »

Carmen Mémoire

Henriette Lavoine, dans son témoignage, évoque le parcours de Carmen Castro (sœur d’Antonio Castro dont nous avons évoqué le clan Claude Sommer) devenue Carmen Mémoire. Nous lui avons demandé de compléter cette information. À noter que Carmen représentait la F.F.E. à la réunion de le branche Éclaireurs des E.D.F. qui a abouti aux « résolutions d’Angoulême ».

« En 1946, j’ai créé un premier groupe F.F.E. d’éclaireuses sous l’influence de mon frère qui m’a dit : « Qu’est-ce que tu attends pour t’occuper des éclaireuses ? ». C’était aux Sables d’Olonne où nous habitions après être sortis d’Espagne en 1939.  Le principal du collège avait mis à notre disposition un local dans l’établissement, où les filles désireuses de devenir éclaireuses venaient me rejoindre le jeudi après-midi. Nous y débattions de la promesse et de la loi, nous chantions, nous faisions le programme de l’année, sorties, week-ends et camp d’été. Aux sorties du dimanche chaque clan (patrouille) invitait une fille susceptible d’être éclaireuse  et nous sommes arrivées ainsi à 35 (5 clans de 7). Il y avait aussi une envolée de Petites Ailes dirigée par la sœur d’un des éclaireurs de Tonio. Avec lui, on faisait des séances de techniques, les nœuds en particulier, et il avait beaucoup de succès !

S’il y avait eu une branche féminine aux E.D.F. j’y aurais adhéré, mais il n’y avait, à l’époque, que la section N de la F.F.E.. Je recrutais dans le même milieu que les E.D.F. et nous avions un groupe d’amis commun dont le président était le principal du collège.

Par la suite, j’ai fait un camp-école de formation de cheftaines dirigé par Henriette Lavoine, commissaire nationale des éclaireuses, et son adjointe commissaire E.U.. Il n’y avait pas d’E.I. à ce camp. Il y avait une très bonne entente entre E.N. et E.U.

En 1949, Henriette Lavoine m’a fait « monter » à Paris pour que je puisse préparer une licence d’espagnol et enseigner officiellement. Elle m’a offert un poste à mi-temps à l’échelon national et j’étais logée dans une chambre de bonne mise à disposition par le père d’une E.I.. Oui, j’ai été la seule représentante de la F.F.E. à Angoulême où les responsables nationales m’avaient désignée. J’ai fait le voyage Paris – Angoulême avec Jean Estève et j’étais pratiquement d’accord sur tous ses points de vue, sauf sur la coéducation à la branche verte.

À cet échelon national, j’ai ressenti une certaine animosité à l’égard des E.D.F. qui voulaient, selon certaines, s’emparer de la section neutre, surtout à cause de sa « dot ». La dot en question, c’était les finances de la F.F.E. que la secrétaire – trésorière n’avait pas envie de leur donner ! De plus, le terme de laïcité était considéré comme trop agressif, par elles, et la féminité des filles peu compatible avec les activités des garçons. Je ne suis restée que dix mois à cet échelon national, considérant mes fonctions au-dessus de mes moyens et de mon expérience… ainsi que de mes convictions : je fais allusion à ma position en faveur d’un « mariage » avec les E.D.F., dont la section Neutre ne pouvait que profiter, tant du point de vue administratif que pour son recrutement.

Par la suite, j’ai rejoint Tonio à l’Institut pour jeunes caractériels à Saint-Lambert des Bois en vallée de Chevreuse. Je suis devenue cheftaine de louveteaux, donc E.D.F..

Je garde un merveilleux souvenir des mes éclaireuses et de mes louveteaux ! »

Renée Rennes : de la F.F.E . N aux E.D.F. :

Renée Rennes  « Chat de Chine », a donné un témoignage pour le D.T. n°61 en 1996. Ancienne de la section de Paris-Naples, elle en rappelle les activités et donne son point de vue sur l’évolution de la Fédération après la seconde guerre mondiale. Sa perception n’est pas très éloignée de celle d’Henriette Lavoine, mais Renée Rennes a accepté de « sauter le pas » et de rejoindre les E.D.F. avec son groupe, pour y prendre des responsabilités nationales.

« J’en retiens que ce sont les protestants qui ont introduit le scoutisme en France, et ils ont fait, en même temps, le mouvement laïque avec le Pasteur Gallienne pour les E.D.F. et avec Elisabeth Fuchs pour les filles avec la section de la rue de Naples en 1912.

(…) Donc, en 1911, E. Fuchs a reçu de nombreuses demandes de jeunes filles, sœurs, cousines, amies des garçons faisant déjà partie du scoutisme, pour qu’elle aussi fasse quelque chose pour les filles. (Elle) s’est tout de suite laissée convaincre et, au mois de mars 1912, la section des Éclaireuses du 22 de la rue de Naples était créée, statuts déposés à la Préfecture de la Seine comme il se devait. Paris-Naples était une section neutre, ouverte à tous, et jamais il n’y eut de référence à une foi religieuse. Les réunions avaient lieu le samedi et non pas le jour de congé scolaire. Ce rythme a été maintenu jusqu’à la fin de la section (dans les années soixante).

(…) Donc, les Éclaireuses faisaient de grandes sorties avec la tenue copiée sur celle des garçons, avec chapeau à bosse et grands bâtons, pendant la première guerre (celle de 14-18 évidemment). (…) Premièrement : interdiction de porter un corset (bien avant, je pense, le fameux couturier dont j’ai oublié le nom, Poiret, je crois) ; deuxièmement, raccourcissement des jupes de dix centimètres…Pendant la guerre, elles ont aidé aux soins des blessés et cultivé les jardins ouvriers pour les familles en difficulté (Paris en ce temps-là était beaucoup moins étendu et la campagne était toute proche).

(…) J’avais quitté la section quelque temps avant la (seconde) guerre et, à mon retour, j’ai annoncé à Melle Fuchs que j’allais reprendre la section abandonnée par ses cheftaines obligées de fuir à l’arrivée des Allemands. Son visage s’est illuminé lorsque je lui ai fait part de mon intention. Comme le scoutisme était interdit, je lui ai proposé de fonder le « Cercle des Jeunes de l’U.C.J.F. ». C’était exactement la même chose, mais le thème était « la Ménestrandie ». Les filles étaient des « Escholliers », puis des Ménestrels et des Trouvères, et moi j’étais « Maistre Chat ». Les clans étaient des « escholles », Nous n’avions pas d’uniforme, et le dimanche nous allions au Bois de Boulogne en passant par l’Étoile où nous faisions une minute de silence autour de la tombe du Soldat Inconnu. (…) Au camp, nous ne pouvions pas faire de salut aux couleurs, mais j’avais apporté trois tissus de même taille, un bleu, un blanc et un rouge, chaque tissu caché dans une tente différente, et le matin trois filles apportaient les trois tissus qu’on assemblait dans un silence absolu…

(…) À Paris, après la Libération, nous étions très seules. (…) Au camp de la Rochette, en 1948, où je m’étais rendue avec enthousiasme, puis au Congrès de Moulins (24-25 septembre 1949) où je ne suis pas allée, les cheftaines devaient décider si, oui ou non, elles s’alliaient aux E.D.F. À ma grande déception, et à celle de plusieurs autres, la réponse a été « non ». Il y eut beaucoup de larmes versées par des cheftaines qui avaient déjà commencé des activités mixtes. Pour moi, je n’avais pas d’idée précise, mais je me trouvais à nouveau très seule car, malgré mes demandes répétées, je ne retrouvais pas ces bonnes sorties F.F.E., toutes tendances confondues : les E.U. allaient là, les E.I. ailleurs, et je me retrouvais seule.

En repensant à ces moments-là, et en écrivant l’histoire de Paris-Naples, je réalise que le même sentiment de solitude qui a poussé Cygne des Lacs Tranquilles et son adjointe à demander la création de la F.F.E. en 1921, nous a poussées, nous, les E.N. de 1949, à aller vers les E.D.F. où Pierre François m’a demandé de venir encadrer les quelques centaines d’E.N. venues les rejoindre après le « non » de la Rochette…. »

Commentaire de cet extrait :

La description que fait Renée Rennes des débuts de la section d’éclaireuses de Naples peut sembler en contradiction avec la présentation qui en est faite par « le Muguet » puisque Renée insiste sur le fait qu’il s’agissait d’une section « neutre ». Mais il est exact que l’intervention de Melle Fuchs dans ce document ne fait aucune allusion à un engagement religieux.

Ce témoignage confirme par contre le rôle important joué par le foyer de la rue de Naples dans les débuts du scoutisme féminin en France à partir de 1912, immédiatement après ceux du scoutisme masculin, et, une dizaine d’années après, dans la création d’une « fédération » à laquelle Chat fait allusion. Ce rôle a donc été fondamental dans les trois étapes majeures de la vie du scoutisme féminin : sa création, la fondation de la fédération sous forme « multi-sections », son évolution vers la coéducation.

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