1950 : les Éclaireurs Français en Métropole et en Algérie

Jeu29Déc201109:42

1950 : les Éclaireurs Français en Métropole et en Algérie

Peu implantés en France métropolitaine, les Éclaireurs Français ont continué leur activité en Algérie jusqu'à l'indépendance et la création du Nouveau Mouvement

 

Dans les années 50 , on trouve en métropole cinq groupes encore actifs: deux sur Paris et sa région, « Union Paris-Est » et  « Union Vieux Donjon », un sur Nice, un sur Lyon, un sur Limoges, déjà évoqué comme dissident d’un groupe E.D.F.. Par contre, le Mouvement trouve en Algérie une réelle implantation : sur Alger même, sept groupes correspondant à des quartiers, mais également à Ménerville, Tlemcen, Blida, Philippeville, Orléans ville, Oran… Jean-Michel Company nous dit : « Les Éclaireurs Français, dont le siège social de la Fédération Nationale était à Paris, étaient divisés en associations régionales dispersées sur le sol métropolitain et en Algérie. Il faut savoir que les Éclaireurs Français en Algérie ont pris, après la deuxième guerre mondiale, un essor important  et ont dépassé, en nombre et en moyens, les autres associations régionales de métropole. Cet essor s'explique notamment grâce aux moyens financiers dont ils disposaient. En effet, la Fédération Nationale des E.F. n'étant pas inscrite au Scoutisme Français, ne touchait aucune subvention des services de la Jeunesse de l'État. Alors qu'en Algérie, les règles étant différentes, les E.F. étaient subventionnés par les services de la Jeunesse et des Sports au même titre que les autres Fédérations de Scoutisme. »

Il nous paraît important, pour rendre compte de l’activité du Mouvement, de nous arrêter quelque peu sur cette implantation, son historique et ses activités.

Les Éclaireurs Français en Algérie : les grandes étapes :

Jean-Michel Company nous communique l’historique suivant, très démonstratif :

-   23 Novembre 1913 : Création d'une section Algéroise des E.F., la troupe Guynemer.

-   1920 : après la guerre de 1914-1918, c'est la reprise des activités pour la troupe Guynemer

-   23 Février 1921: Nouveaux statuts annoncés au journal officiel le 23 Février 1921.

-   Janvier 1922 : dans les textes d'assemblées générales, il est fait mention de nouvelles sections des E.F. à Blida et à Oran.

-   Janvier 1923 : il est question de la création d'une ligue entre les E.F. et les E.D.F. représentés par le Dr Lucas. Ce projet restera sans suite…

-   7 Novembre 1927 : création de la Fédération Nord Africaine des Éclaireurs Français. Elle regroupe les différentes sections E.F. existantes en Afrique du Nord.

-   Août 1936 : congrès national des Éclaireurs Français à Roquebrune. À la suite de ce congrès, la section Algéroise devient section de l'union nationale des associations régionales des E.F., avec le sous-titre de « Boys-Scouts laïques de France. ».

-   Avril 1937 : adoption de nouveaux statuts.

-   Décembre 1945 : après la période de guerre, reprise des activités sous le signe du renouveau avec l'impulsion du nouveau commissaire local René Steïb.

-   7 Mai 1948 : les E.F. d'Algérie obtiennent l'agrément des mouvements de jeunesse.

-   27 Juin 1948 : la section Algéroise devient groupe E.F. et se dénomme donc Groupe Guynemer.

-   Août 1951 : camp Fédéral des Éclaireurs Français à Cayres en Auvergne.

-   Août 1952 : camp itinérant des E.F. en Espagne.

-   Juillet-Août 1953 : camp Éclaireuses, Éclaireurs et Louveteaux à Tala-Guilef en Kabylie.

-   Janvier 1954 : les Éclaireurs Français d'Algérie achètent un bureau 40-42 rue d'Isly qui devient la permanence et le siège social.

-   Mai 1954 : réorganisation des E.F. d'Algérie avec un découpage en différents districts composés de plusieurs groupes.

-   Décembre 1954: la Fédération Nord-Africaine des E.F. devient « Association des Éclaireurs Français d'Algérie ».

-   Janvier 1955 : création du concept de « camp-colonie ». Il s'agit de créer une structure basique de colonie (Cuisines, réfectoires, lingerie, sanitaires) qui pourra accueillir plusieurs camps scouts (appelés sous-camps) qui, ayant leur propre lieu de vie, utiliseront la structure globale. . Ainsi structurés, ces camps scouts pourront durer jusqu'à deux mois!

-   Juillet-Août 1955 : premier camp-colonie à Gouraya en Algérie.

-   Janvier 1956 : de nombreux nouveaux groupes se créent : Pointe-Pescade, Bouzaréa, El-Biar, Maison-Blanche, Hussein-Dey, Diar Es Saada, Blida, Orléanville, Cherchell, Telemly.......

-   Juillet-Août 1956 : à cause des événements en Algérie, le deuxième camp-colonie ne peut avoir lieu à Gouraya. Il s'effectue quand même, mais en Métropole, dans un village de l'Allier nommé Saint-Clément, où les E.F. d'Algérie louent des terrains et les bâtiments scolaires du village.

-   Décembre 1956 : un camp de Noël est organisé à Perpignan, et un camp de chefs à lieu en Hollande. La Fédération E.F. demande, sans succès, à être affiliée au Scoutisme Français.

-   1957 : les E.F. d'Algérie achètent un grand domaine, au dessus du village de St-Clément dans l'Allier. Ce domaine s'appelle Bel-Air. Il servira de base pour les futurs camps-colonies.

-   Avril 1957 : en association avec les autres Fédérations Scoutes en Algérie, les E.F. participent aux fêtes du cinquantenaire du Scoutisme à Alger. Camp de chefs à Nice.

-   Juillet-Août 1957 : troisième camp-colonie des E.F. d'Algérie, et le premier (d'une longue série) sur le domaine de Bel-Air à St-Clément dans l'Allier.

-   Août 1960 : en plus du classique camp-colonie à Bel-Air, une troupe d'Audax (Routiers) fait un camp itinérant en Italie qui a pour but les Jeux Olympiques de Rome.

-   Août 1961 : pendant le camp-colonie à Bel-Air, les E.F. organisent, sur le même lieu, les festivités du cinquantenaire de la création des Éclaireurs Français avec l'ensemble des E.F. d'Algérie et de Métropole.

-   Juillet-Août 1962 : la fin de l'Algérie Française entraîne le départ de tous les E.F. vers la Métropole. Le Camp de Bel-Air sera à la fois camp-colonie et camp de rapatriés d'Algérie. Ce camp -  exceptionnel ! -  durera quatre mois, de Juin à Septembre…

-   Octobre 1962 : création à Paris d'un nouveau groupe E.F.: Le groupe Pasteur. Il est initié par certains E.F. rapatriés d'Algérie.

-   Juillet-Août 1963 : le neuvième camp-colonie a bien lieu à Bel-Air. Il permet les retrouvailles d'un grand nombre d'anciens E.F. d'Algérie dispersés sur tout le territoire.

-   Juillet-Août 1964 : dixième et dernier camp-colonie à Bel-Air. Après la disparition de l'association des E.F. d'Algérie, les finances de la Fédération nationale ne permettent plus la gestion d'un tel domaine.

-   20 Septembre 1964 : Assemblée Générale extraordinaire des E.F. à Vincennes. Les Éclaireurs votent à la majorité pour la création, aux cotés des Éclaireurs de France et de la section neutre de la Fédération Française des Éclaireuses, d'un nouveau mouvement scout, laïque, qui prend le nom d'Association des Éclaireuses et Éclaireurs de France.


Les années 30 sont surtout représentées par un « carnet de chef de patrouille » édité à la Revue Française, 11, rue de Sèvres à Paris 6ème. On y trouve des fiches individuelles concernant les membres de la patrouille, avec l’indication des « examens » d’aspirant, deuxième classe, première classe, puis des badges acquis.

Pour la deuxième classe, les épreuves concernent chant, nœuds, signalisation, secours, observation, camp, orientation, lecture, économie, étude nature et… « religion ». Pour la première classe, s’y ajoute natation, cuisine, topographie, travail manuel, élocution et « apost ». « Religion » et « apost » y son barrés et nécessitent la recherche d’une explication : il semble que ce carnet ne soit pas édité par les E.F., mais par une association catholique, et ait été utilisé par le chef d’unité. Mais il est clair que, malgré les réticences de Coubertin envers la conception britannique du scoutisme, on ne trouve pas de différence notable avec la mise en œuvre observée dans d’autres associations à la même époque… La formation est assurée par des « camps écoles » comme dans les autres Mouvements.

Cette méthode perdurera, comme en atteste le diplôme de deuxième classe de Jean-Michel Company obtenu le 21 avril 1957 à Alger. Un « carnet de l’éclaireur et de l’éclaireuse » présente les Éclaireurs Français sous une forme qui, sans faire directement allusion au scoutisme  (qui y est explicité en pages 3 et 4) les y apparente en insistant sur l’ouverture à tous : « Ils admettent les enfants (…) de toutes conditions sociales, sans distinction d’opinions, de races ou de religions. La liberté de tous les cultes est à leurs yeux chose sacrée qui ne relève que de la conscience de chacun et dans laquelle le mouvement E.F. ne peut et ne doit intervenir ». Cette précision nous semble importante dans une région très « multi-culturelle ».

Une page de ce carnet rappelle la Loi :

1. l’Éclaireur aime sa Patrie

2. L’Éclaireur fait honneur à ses parents, à ceux qui le dirigent

3. L’Éclaireur a le culte de l’honneur et respecte sa parole

4. L’Éclaireur est chevaleresque et fait chaque jour une bonne action

5. L’Éclaireur est l’ami de tous et le frère de tout autre Éclaireur

6. L’Éclaireur obéit joyeusement et est toujours de bonne humeur

7. L Éclaireur est serviable et respecte le bien d’autrui

8. L’Éclaireur aime les plantes et les animaux

9. L’Éclaireur est ordonné, travailleur et persévérant

10. L’Éclaireur est propre dans ses paroles, ses pensées et ses actes.

Loi en dix articles, dont l’esprit est le même que pour les autres associations.

Dès 1947, le Mouvement est ouvert aux filles, et de nombreuses photos montre des camps de Petites Ailes (apparemment en coéducation avec les garçons) et d’éclaireuses. Sur ce plan donc, les Éclaireurs Français semblent avoir pris un peu d’avance sur les Éclaireurs de France, qui n’adopteront réellement la coéducation qu’après l’échec de la tentative de rapprochement avec la section neutre de la F.F.E. au début des années 50. Le « rapport d’activité » (déposé en Préfecture) précise : « En effet, nous voyons naître parmi nous une « branche féminine » qui, à l’heure actuelle, est l’unité la plus importante du groupe. Des cheftaines et chefs viennent parmi nous compléter l’oeuvre entreprise et se dévouer sans compter pour l’idéal si beau qui est celui des Éclaireurs Français ». On peut penser que cet élargissement s’est fait naturellement, à partir des souhaits des familles, au vu des résultats et des enthousiasmes des garçons…

Une unité de Maison Carrée

Deux autres orientations méritent un développement : les activités internationales, et le concept de camps-colonies.

 


 

Un article d’Alphonse Company paru en 1956 s’intitule « Pourquoi nous sommes allés en Grèce ? » et explique bien le problème :

«  C’est toute une histoire… qui se rattache au jamboree ;

En effet, notre Fédération, fondée le 27 octobre 1911, n’a jamais été invitée à ces manifestations de fraternité internationale. Parce qu’il y a 45 ans nos fondateurs n’ont pas jugé bon de participer à la constitution du Bureau International du Scoutisme, les Éclaireurs Français doivent être écartés, jusqu’à la consommation des siècles, des réunions mondiales, et ainsi ne pratiquer qu’un scoutisme en vase clos.  C’est ce que nous ne voulons pas.

Cependant, à l’occasion du Jam de 1951, les Éclaireurs de France, en vertu d’un projet de protocole toujours en instance, nous ont proposé d’inclure des éléments E.F. au sein de leur propre délégation. C’est un premier pas de fait.

Nous pensions que ce même geste serait renouvelé en 1955 et nous avons créé et entretenu une certaine émulation parmi nos unités en vue de ce voyage. En raison de la faible importance de la délégation française, les Éclaireurs de France n’ont pu nous inviter comme en 1951. »

Se pose donc le problème des activités internationales pour une association non reconnue par le Scoutisme international. Alphonse Company cherche des solutions alternatives, d’abord du côté de l’Afrique francophone,  puis vers la Grèce où Pierre de Coubertin a trouvé l’inspiration de ses Jeux Olympiques et où son cœur est déposé dans une stèle à Olympie. Ce contact serait donc « l’occasion d’un pèlerinage aux lieux chers à celui qui est à l’origine de notre Mouvement et de témoigner ainsi de notre fidélité à sa mémoire et à ses principes de fraternité et de rapprochement des peuples ».

Cette rencontre se déroule en 1956, avec un accueil assuré par l’association des Boys-Scouts Grecs. Elle permet de former « le vœu de pouvoir envoyer chaque année un groupe d’Éclaireurs Français visiter un nouveau pays et se faire ainsi des amis nouveaux. » Moyen également de rompre quelque peu l’isolement évoqué par Company au début de son article.

Cette orientation vers des contacts avec d’autres associations scoutes est confirmée par la suite, en particulier par un article intitulé « Aux écoutes du Monde : à propos des voyages des E.F. » : « Les E.F. n’étant pas affiliés au Bureau International du Scoutisme, cela leur pèse énormément de se sentir à l’écart « officiellement ». Aussi recherchons-nous tous les contacts extérieurs avec nos frères scouts pour leur faire connaître notre Mouvement et découvrir les leurs ».

C’est ainsi que les Éclaireurs Niçois se rendent en Italie et en Autriche, les Limousins en Suisse puis en Espagne, les Parisiens en Italie, les Algérois, après la Grèce, prévoient un camp de Noël en Hollande. D’où la conclusion de l’article :

« Souhaitons qu’à l’image du chef Karl Wimmer, secrétaire régional autrichien et commissaire international, d’autres chefs unissent leurs voix à Londres et que très bientôt nous ayons notre place au sein de la grande famille internationale des scouts du monde entier. »

Il faudra attendre 1964 et la création du « nouveau Mouvement » des Éclaireuses et Éclaireurs de France pour que ce vœu se réalise pleinement.

 


 

Le concept de camp-colonie semble avoir vu le jour en 1955. Un article paru en 1958 pose le problème et présente la solution proposée, solution qui va être mise en application jusqu’aux années 60, avec la création d’un lieu d’accueil en métropole. Le problème posé est, pratiquement, celui qui conduit, dans la même période, les E.D.F. à la notion de « camps ouverts » et à une politique d’investissements. Si le camp d’unité « classique » continue d’exister, il va être complété par une organisation adaptée à cette ouverture, présentée par une plaquette éditée spécialement.

L’article est intitulé : «  Bonnes vacances ». Il constate « une certaine désaffection des enfants pour les camps au bénéfice des colonies de vacances. (…). Voilà le problème qui se pose aux Éclaireurs Français, qui se pose au Scoutisme tout entier :

1°- le Scoutisme a-t-il encore un rôle à jouer dans l’organisation des vacances pour la jeunesse ?

2°- doit-il se limiter à satisfaire une jeunesse sélectionnée, entrainée, mais forcément limitée ?

3°- ou bien doit-il rechercher une nouvelle formule qui non seulement permette de conserver tous ses adeptes pendant les vacances, mais encore d’attirer vers lui la     masse des jeunes sollicités par les colonies et autres organismes de vacances ? »

La suite est cla ire : « Poser le problème c’est le résoudre. C’est pourquoi nous avons tenté de réaliser le troisième point par notre formule de « camps colonies de vacances ».

Elle répond par avance à une critique classique de toutes les innovations (On se croirait aux E.D.F. !) : «Une critique trop facile parce que vague, trop imprécise, consiste à dire que le camp-colonie de vacances n’est pas du Scoutisme.  Je ne vois pas en quoi une base de départ comportant un confort supérieur au camp scout classique, et surtout des installations sanitaires indispensables (…) peut nuire aussi bien à l’esprit qu’aux techniques classiques du Scoutisme. (…). »

Et le coup est parti : « C’est pour atteindre ce but qu’un camp-école a été organisé durant les vacances de Pâques à Saint-Clément. Il avait pour but une préparation minutieuse du camp-colonie de vacances 1958. (…). Ceci ne peut présager que de « bonnes vacances » pour 1958, et c’est le vœu que je formule, tant pour le camp-colonie de Saint-Clément que pour tous les camps organisés par les autres groupes E.F. »

Cette conclusion, signée « Mouflon » (le totem d’A. Company), semble indiquer que cette initiative est, à l’origine, celle d’un groupe, mais elle ne tarde pas à être mise à la disposition de l’ensemble du Mouvement et, comme l’atteste l’historique repris plus haut, reçoit des séjours jusqu’en 1955 en Algérie même. Les événements conduisent à supprimer le séjour de 1956 prévu à Gouraya et à l’organiser en métropole, dans l’Allier à Saint-Clément où l’association achète, l’année suivant, le domaine de Bel-Air qui les recevra sans interruption jusqu’en 1964, avec une manifestation particulière en 1961 à l’occasion du cinquantième anniversaire du Mouvement.

Le camp Bel Air à Saint-Clément

La dernière étape – celle de la fusion avec les autres associations de scoutisme laïque – sera évoquée dans le chapitre « le nouveau Mouvement ».

Imprimer