2018 : Dans les branches…

Mer14Mar201808:51

2018 : Dans les branches…

 

… le passage à l’acte, pas toujours facile…

 

 

À la branche louveteaux, une démocratie voulue et vécue.

 

 

 

Adeline Eloy-Gavazzi, ancienne responsable nationale de branche,

 

en coopération avec Andrée Mazeran-Barniaudy, ancienne Commissaire nationale

 

 

À la branche louveteaux, il s’agit d’amener des enfants de 8 à 11ans à percevoir et à s’approprier le fonctionnement démocratique (il s'agit de démocratie participative) de la micro-société qu’ils constituent.

 

Une démocratie voulue : la mise au point d’une méthode.

 

 

 

Ce mode de fonctionnement n’est ni « naturel » ni ancré dans le scoutisme défini initialement.

 

 

 

 

 

 

On peut lire dans un rapport du congrès de 1920 à Dijon : « Les meutes bien conduites peuvent préparer d’excellents scouts pour les troupes éclaireurs »

 

 

En 1938, au congrès de Vizille, André Lefèvre (Vieux Castor) tirait, à partir d’un exposé de Grandjouan, responsable de la branche Louveteaux, les conclusions suivantes : « La ligne Louveteaux est restée à peu près stable depuis près de 20 ans, elle s’enrichit de jeux, danses, histoires ».

 

 

La méthode repose sur le Le livre des louveteaux de Baden Powell et la fiction du Livre de la jungle de Kipling utilisés d’une manière systématique, sans remises en question.

 

 

 

 

En 1949, le congrès national des chefs Éclaireurs de France, au lycée Michelet de Vanves est une étape déterminante dans l’histoire du Mouvement. Sous l’impulsion du président Gustave Monod et du commissaire général Pierre François, les éclaireurs s’engagent dans la formation du citoyen au sein de sociétés de jeunes. Cette orientation est la résultante des besoins de changement nés après la guerre, de la prise de conscience du prix de la liberté, de la place et du rôle que l’individu peut et doit avoir dans la société.

 

 

 

Les jeunes adultes qui appartiennent au Mouvement, la route, les cadres, s’expriment et agissent… La direction de l’Association, très sensible à ce nouveau dynamisme, va avoir à organiser ce « bouillonnement » et lui donner un cadre. La démocratie participative (on ne prononce pas ce mot, mais ce qui est proposé correspond à la définition que l’on peut en donner) est en marche.

 

 

 

À partir de là, il est nécessaire de concrétiser ces nouveaux objectifs aux différents niveaux. Ce travail est possible car le Mouvement a une histoire, une structure solide, des responsables nationaux, régionaux, locaux, engagés, conscients des problèmes de notre société d’après-guerre. Des pratiques éducatives nouvelles, adaptées à chaque âge devront être inventées. La branche louveteaux devient autonome.

 

 

 

 

Pas à pas, elle va mettre au point sa méthode.

 

 

Un aller-retour entre pratique et théorie, à la fois sur le terrain et dans les bureaux de la Chaussée d’Antin, permet à une équipe nationale solide et stable, de retenir et de structurer les fondamentaux, publiés dans la brochure Esprit et Méthode (1956).

 

 

 

 

L’évolution se fait progressivement.

 

 

 

 

Il n’y a pas de rupture. La plupart des meutes vont, peu à peu, donner plus de place aux Louveteaux dans les décisions. Le groupe meute prend plus d’importance. Les sizaines demeurent mais leur rôle est limité à l’organisation matérielle. La coéducation, tant au niveau des responsables que des enfants, facilite l’adoption de nouvelles pistes…

 

 

Le travail de réflexion qui a initié ce changement voulu s’est exprimé d’une façon profonde. Au-delà des nouvelles structures, des termes réinventés, la démocratie a été mise en action grâce à un « esprit » que nous allons essayer de cerner.

 

 

 

Une démocratie vécue : « l’esprit » ou les fondements du fonctionnement d’une meute

 

 

 

Cet « esprit » est indispensable. Il repose sur des fondements solides qui s’inspirent des valeurs humaines et éducatives du scoutisme et des caractéristiques démocratiques des sociétés d’enfants. Ils sont vécus au quotidien et ponctuent la vie de la meute de moments plus exceptionnels.

 

 

Le louveteau adhère librement :

 

 

 

 

Il n’y a pas 24 louveteaux et 3 ou 4 responsables, mais une société d’enfants basée sur un type particulier de relations entre les enfants et entre les adultes et les enfants.

 

Chacun des membres respecte l’autre quel que soit son âge, son sexe ou son origine, il a confiance en lui, il en a le souci. Il s’ajuste aux besoins de l’ensemble car il a conscience qu’il en est un élément indispensable tout en conservant son originalité et sa créativité.

 

L’enfant perçoit la nouveauté du mode de vie en collectivité qui lui est proposé, différent de celui de sa classe et de sa famille. Sans en avoir une conscience claire, il en accepte les contraintes même si elles limitent son indépendance.

 

Pour y adhérer librement il doit identifier clairement les caractéristiques et les règles du jeu de la meute. Sa permanence, les rites qui ponctuent sa vie quotidienne, le symbolisme lié au mouvement et à la branche sont des repères nécessaires.

 

 

Il s’engage dans un groupe clairement identifiable

 

 

 

 

Le groupe d’enfants est stable. Après une ou deux sorties, l’enfant s’engage à venir régulièrement. Il participe volontairement aux activités. Il sait que le groupe compte sur sa présence, qu’il a besoin de lui. Il est le membre à part entière d’une collectivité où il n’existe pas de hiérarchie, mais des fonctions, des responsabilités. Si les louveteaux sont répartis dans des sizaines, c’est essentiellement pour faciliter les regroupements au cours des rassemblements ou des jeux, par exemple. Les sizeniers n’ont aucun pouvoir. Tout au plus, ils veillent à renforcer le lien entre les membres de la sizaine, à intégrer les nouveaux en les informant et en les aidant.

 

 

Le symbole trouve sa signification dans ce qu’il représente pour les personnes à qui il s’adresse. Aussi n’a-t-il pas le même sens pour tous. En particulier, il ne parle pas de la même façon aux adultes que nous sommes et à l’enfant à qui il s’adresse. Son maniement demande du discernement.

 

 

 

Comme dans toutes les sociétés, ils célèbrent des moments particuliers : l’accueil, l’engagement au moment de la promesse, la remise des étoiles, le départ au moment du passage à la branche éclaireurs. Ils marquent l’évolution personnelle au sein du groupe. Ils n’ont rien de rigide. Il ne s’agit pas de célébrations orchestrées, mais plutôt de traditions comme on en trouve dans les familles au moment des anniversaires ou de la chasse aux œufs de Pâques…

 

 

 

 

La conquête de l’autonomie, différente de l’indépendance, est essentielle. Sans elle, il ne peut y avoir ni liberté, ni démocratie. Elle permet de décider par soi-même, avec un esprit critique qui tient compte des contraintes de l’environnement. « Je suis de moins en moins dépendant de l’adulte, je suis de plus en plus capable de me débrouiller seul et de réfléchir par moi-même »

 

Afin que chaque enfant acquière une estime de soi suffisante pour participer pleinement aux prises de décision il est nécessaire que les activités soient variées afin que chaque enfant trouve un moment d’expression privilégié et valorisant. Les réalisations concrètes et l’imaginaire, le jeu et le « travail » cohabitent.

 

 

 

 

On voit bien que le rôle des responsables est primordial. Formés au cours des camps écoles, ils créent les conditions pour que leur unité vive « démocratiquement ». Il est difficile de le qualifier en quelques mots. Lorsqu’il devient chef, le jeune adulte prend pleinement conscience qu’il existe au sein du scoutisme, un style de relation adultes/enfants ou adultes/jeunes basé sur le respect, la confiance, l’authenticité. Il n’y a pas celui qui sait et celui qui apprend. La parole donnée est une parole vraie, même si l’humour et la plaisanterie sont souvent de mise.

 

 

Il n’est pas un chef au sens habituel du terme mais plutôt un chef d’orchestre qui permet à chaque enfant de jouer au mieux sa partition tout en tenant compte de celle des autres. Il est à l’écoute de chacun, en ralentit certains, en stimule d’autres. Il est le garant de l’obtention des résultats visés et de l’harmonie générale. Conscient qu’il a beaucoup à apprendre du groupe, il est ouvert aux propositions auxquelles il donne forme tout en les respectant.

 

 

Il vit au rythme de la meute, partage les activités des louveteaux. Il n’a pas de statut particulier qui lui donnerait du pouvoir, qui définirait ses droits spécifiques. Cependant, en tant qu’adulte il nourrit le besoin de sécurité et d’appartenance de l’enfant : il le tranquillise, le console si besoin est.

 

 

Il est le représentant des valeurs du scoutisme auxquelles l’enfant adhère en devenant louveteau. Il est entouré et soutenu par des pairs et des adultes plus expérimentés. Il fait partie d’un groupe local, de la branche louveteaux qui a des représentants au niveau départemental, régional et national. Sa place lui confère donc une sorte d’ascendant. C’est un capital qu’il lui revient d’utiliser avec sagesse.

 

 

 

Une démocratie mise en pratique : deux moments clés

 

 

 

 

Tout d’abord le conseil de meute au cours duquel se décident les projets et se traitent les questions de la vie quotidienne. Chacun apprend à écouter l’autre, à prendre la parole à bon escient, à maitriser ses impulsions, à respecter la décision prise même si elle ne correspond pas à un choix personnel.

 

 

Les conseils de meute sont des moments privilégiés et majeurs. Ils n’ont pas lieu par hasard, parce que l’on dispose d’un peu de temps. Le cadre et le moment en sont soigneusement choisis. Ils contribuent à lui donner une certaine solennité. Le louveteau doit prendre conscience que c’est un moment essentiel.

 

 

 

Responsables et enfants forment un cercle sans qu’aucun signe ne les distingue. Une règle de fonctionnement claire a été définie. Un président volontaire et coopté propose un ordre du jour à partir des demandes ou des suggestions exprimées. Il anime ensuite la réunion en donnant la parole à tour de rôle aux louveteaux ou responsables qui ont levé le doigt. Il veille à maintenir une qualité d’expression qui évite les excès, les accusations violentes… Chacun apprend à écouter l’autre à prendre la parole à bon escient, à maîtriser ses impulsions, à respecter la décision prise même si elle va à l’encontre de son propre choix.

 

 

 

C’est le lieu où se traitent les questions de la vie quotidienne. On y aborde tout ce qui pourrait menacer la cohésion du groupe. En bonne place figurent les tensions entre enfants. Les plaintes sont fréquentes : il y a celui qui joue au lieu d’aider à ramasser les papiers, celui qui a réveillé les autres, celui qui a triché pour gagner au cours d’un jeu… Ces « chamailleries » en apparence anodines peuvent prendre des proportions démesurées pour certains enfants hypersensibles qui ont un fort sentiment de la justice ou du respect de la règle.

 

 

 

Le responsable agit en sourdine de façon à équilibrer les interventions, réorienter une discussion qui pourrait devenir trop passionnée ou s’engager sur des chemins risqués. Le conseil est le lieu où il peut préciser l’utilité des règles de vie, la nécessité de les respecter pour préserver l’individualité de chacun. Il est le garant de l’authenticité de ce moment de démocratie participative. Il évite l’autoritarisme sans sombrer dans la démagogie, amène l’enfant à se comporter sans ni se soumettre ni se révolter. C’est un peu la quadrature du cercle et pourtant les enfants comprennent et s’approprient les objectifs de ces réunions

 

 

 

C’est au conseil que l’on organise ensemble l’emploi du temps. Par exemple, au cours des camps, la sieste y est, chaque année, remise en question. Sa suppression est le plus souvent souhaitée. On en débat, une décision est prise qui assouplit souvent son caractère obligatoire. On tiendra compte de la chaleur, de l’heure du coucher la veille… Plus largement, chacun peut faire part de ses souhaits, proposer des activités nouvelles ou déjà faites, des idées de jeux pour la veillée ou de postes pour les Olympiades. Le louveteau sait qu’il a « voix au chapitre ».

 

 

 

 

Un moment important du conseil est celui où l’on décide d’une entreprise. Souvent l’idée émerge spontanément. Ce serait bien si dans ce coin de forêt riche en hautes fougères, on fabriquait une cabane. Les enfants, impatients, commenceraient tout de suite. Mais comment faire sans outils, sans avoir choisi un type de cabane ?… Il est nécessaire d’y réfléchir, d’en discuter et de décider ensemble.

 

 

 

Au conseil, un secrétaire volontaire écrit la liste des outils et des matériaux nécessaires. Ensemble on définit qui se les procurera et à quel endroit. Des équipes se forment : il y a les constructeurs et les architectes, les faucheurs, les spécialistes du gros œuvre, les tresseurs de murs, les décorateurs, les chargés de relations publiques qui lanceront les invitations pour l’inauguration, les artistes qui offriront un spectacle… et si un louveteau ne trouve pas sa place, on crée un rôle sur mesure. Il pourrait être un lutin des fougères faisant des pirouettes pour encourager les équipes, ou bien un reporter-dessinateur, ou bien il veillera à ce que personne n’ait soif. Tout est noté, ainsi que la date de l’inauguration et les moments que l’on consacrera à la réalisation de ce projet. Chacun devient un artisan indispensable, fier de son rôle. Sans lui, sans son équipe, la cabane ne pourrait pas voir le jour.

 

 

 

Souvent la persévérance que demande la réalisation vient à bout des enthousiasmes. De nouveaux conseils permettent de prendre conscience de l’avancée des travaux, donnent une vue d’ensemble gratifiante et redonnent de l’énergie aux plus fatigués.

 

 

 

Parfois, le thème de l’entreprise est imposé. Par exemple, la meute est invitée, ainsi que les éclaireurs et les routiers, à participer à la kermesse organisée par un groupe voisin. Comme nous sommes dans le Gers, le thème en est « D’Artagnan et les mousquetaires du roi », thème suscitant spontanément l’intérêt des garçons plus que celui des filles. Le rôle des responsables est de susciter l’implication de tous. Un jeu préalable est organisé. Il met sur la piste des ferrets de la reine qui permet à chacun de se projeter dans un rôle à sa mesure.

 

 

 

L’entreprise fait éclater les sizaines et permet aux louveteaux de choisir un des ateliers définis au cours du conseil. Leur variété permet à chacun, fille ou garçon, d’exprimer ses besoins et ses désirs en tenant compte des contraintes inévitables (temps, argent, compétence, présence des autres…).

 

Le projet de l’entreprise a souvent été prévu par les responsables compte tenu d’impératifs extérieurs ou liés à la vie de la meute. Ils veillent à ce que chacun se l’approprie et ait envie de le réaliser avec les autres. Les enfants participent à sa définition, à son organisation, à sa réalisation. Les responsables assurent son aboutissement après des ajustements souvent nécessaires.

 

 

 

Conclusion

 

 

 

 

À travers les situations qu’il vit au sein de sa meute, le louveteau perçoit la nécessité d’en respecter les valeurs et les règles afin d’y trouver sa place, de s’y exprimer librement. Il découvre que les contraintes imposées ne sont pas des empêchements mais, au contraire, un cadre qui permet l’épanouissement personnel.

 

 

 

Ce serait une erreur de penser que, parce que les enfants sont jeunes, ils ont une approche mièvre des valeurs fondamentales qui sous-tendent la notion de démocratie. Bien au contraire, ils en ont souvent un sens aigu, loin des compromissions auxquelles notre vie d’adulte nous a confrontés. C’est donc l’âge d’or pour les amener à se l’approprier.

 

 


 

 

À la branche « verte », une « révolution culturelle » :

 

de l’organisation militaire à la démocratie participative

 

 

 

Jean-Claude Darmengeat, ancien responsable régional de branche

 

 

 

 

Ce texte n’est qu’un témoignage de ce que j’ai vécu, constaté, entendu, ressenti, sur la période allant  de 1950, année où j’ai débuté ma « carrière » d’éclaireur, jusqu’à 1972. Cela en région parisienne exclusivement. Très exactement dans la « province Paris Sud ». À cette époque, l’ancien département de la Seine était, chez les E.D.F, découpé en trois provinces, sud, ouest et est. Provinces qui se sont ensuite intégrées dans la « Région de Paris » après la réforme territoriale menée par Jean Estève.

 

 

 

E.E.D.F. ? « Expression française et laïque d’une méthode éducative inventée à l’aube du 20e siècle par un officier en retraite d’une armée coloniale. »

 

 

 

Il est clair que la démocratie ne fait pas partie des valeurs fondatrices du Scoutisme !

 

 

 

 

LES ORIGINES :

 

 

 

 

Dans l’esprit de Baden-Powell, il s’agit de former des citoyens utiles. Pour cela il faut proposer des règles de vie exigeantes et pratiquer des activités qui développeront les qualités qui font un citoyen plus responsable dans la vie de la cité, du pays, du monde…

 

Il est à noter que B.P. estime que ce citoyen plus responsable, plus fraternel, œuvrera plus efficacement pour la paix entre les peuples.

 

 

 

 

LA TROUPE D’ÉCLAIREURS MODÈLE 1911 :

 

 

 

 

Pour bien mesurer le chemin parcouru depuis les origines, il me semble utile d’imaginer ce qu’était une troupe d’éclaireurs à partir de 1911, pendant la guerre et dans les années suivant le premier conflit mondial.

 

Personnellement, ce que j’en sais vient de la lecture d’articles de l’époque et aussi des photos du « Livre d’Or » de ma troupe fondée en 1929.

 

 

 

La troupe est l’unité de base :

 

-   un groupe de 25 à 30 garçons de 11/12 ans à 15/16 ans subdivisé en sous-groupes de 6 à 8 membres : les « patrouilles » ;

 

-   un aspect « para-militaire » : uniforme kaki, foulard, chapeau à 4 bosses. (C’est la coiffure de la police montée canadienne et des soldats américains qui débarquent en 1917.) Et le « bâton scout » d’environ 1,80 m. Il remplace le fusil dans les rassemblements et les défilés ; il a aussi de nombreuses utilisations pratiques comme fabriquer rapidement un brancard. Le vocabulaire est d’inspiration militaire : troupe, patrouille, chef. Il ne faut pas oublier que nous sommes, en France, avant, pendant et après un conflit particulièrement meurtrier et que l’armée est au sommet de sa gloire et de sa popularité. Enfin le souvenir de la défaite de 1870, la perte de l’Alsace-Lorraine ont entretenu un besoin de revanche et un patriotisme exacerbé.

 

Sur son uniforme l’éclaireur arbore les marques de son « savoir-faire » : deuxième classe, première classe, brevets de spécialités.

 

L’éclaireur doit respecter la loi scoute et, lorsqu’il est bien intégré dans la troupe, lorsqu’il se sent apte à s’engager, il prononce sa promesse au cours d’une cérémonie solennelle.

 

La troupe est dirigée par un chef expérimenté (ou supposé tel) et ses assistants, la « maîtrise ». Elle décide des activités, de tous les aspects de la vie du groupe et, en particulier, de la progression individuelle de chaque éclaireur. L’autorité du chef est relayée par les chefs de patrouilles. Pas vraiment « démocratique », cette organisation toute militaire !

 

 

Notre Mouvement étant à l’époque une fédération de groupes, il est vraisemblable que les réalités étaient sensiblement différentes d’un lieu à l’autre. Il semble que, de la fin du premier conflit mondial jusqu’à 1940, le mode de fonctionnement ait peu évolué. Seul le décor change pour valoriser les qualités, la volonté de progrès et de dépassement de soi de l’éclaireur : Indianisme, Chevalerie, etc. Mais je n'étais pas là pour en juger !

 

Je reviendrai plus loin sur le système des patrouilles, fondement de la méthode branche « verte » et, à mon sens, ébauche d’une démocratie participative.

 

 

 

 

LE DEUXIÈME CONFLIT MONDIAL. LA DÉFAITE ET L’OCCUPATION DU PAYS :

 

 

 

 

La défaite et l’occupation du pays vont conduire de nombreux responsables et aînés à s’engager dans la Résistance à l’occupant nazi et au régime de Vichy. Leurs motivations sont évidentes. Dès l’origine, le patriotisme est une valeur fondatrice du Scoutisme. L’origine militaire et la guerre 14/18 ne sont certainement pas étrangères à la formulation de la Promesse : « L'éclaireur s’engage à servir son pays. »

 

 

 

Le scoutisme, même en l’absence de tout fonctionnement démocratique, était formateur de citoyens responsables capables d’assumer leurs engagements.

 

 

 

Si l’objectif premier des Mouvements de Résistance était la libération du pays, leur ambition était aussi de construire une France nouvelle plus démocratique, plus forte, plus juste, plus sociale. Cette ambition se concrétisera pour le pays dans les travaux du Conseil National de la Résistance. Et dans cette optique les résistants E.D.F, comme Jean Estève, Louis François et de nombreux autres, envisagèrent les évolutions indispensables de notre Mouvement vers des pratiques plus démocratiques.

 

 

 

Le besoin de démocratie à la branche verte, comme dans l’ensemble du Mouvement, découle donc directement des combats et des réflexions des Résistants pour l’avenir de la Nation.

 

 

 

 

L’APRÈS-GUERRE ET LA MARCHE VERS LA DÉMOCRATIE :

 

 

 

 

… à partir de 1945 sous l’impulsion de Pierre François, Commissaire Général, de son frère Louis François, président de l’association, et de Jean Estève, Commissaire national branche verte puis Commissaire Général :

 

Le « Congrès des Chefs de Patrouilles » en 1946, organisé par Jean Estève, fut une initiative fondatrice, et, à mon avis, une idée de génie.

 

 

À la suite de ce rassemblement, d’autres initiatives régionales virent le jour et à ce propos je veux rappeler ce qui se faisait en Province Paris-Sud à l’époque où j’étais Chef de Patrouille.

 

Chaque année un Chef de patrouille (C.P.) issu de chaque troupe participait au congrès de province au cours duquel deux ou trois d'entre eux – je ne me souviens plus exactement – étaient élus par le collège des chefs de patrouilles pour participer avec des responsables élus par le collège de branche, aux travaux d’une équipe animée par les adjoints de branche. Le rôle de cette équipe était d’organiser les activités de la province pendant l’année. En 1952, je crois, j’avais été élu et j’en garde un excellent souvenir. Dans cette équipe, ma voix, mes propos avaient autant de valeur que ceux d'un « Chef ». Il me semble que c’était une bonne illustration de ce que voulait Jean Estève.

 

 

 

 

LES RÉSOLUTIONS D’ANGOULÊME :

 

 

 

 

Avant le choix de la coéducation pour les filles et les garçons, elles proposent une première révolution pédagogique, ce qui ne voulait pas dire « jeter aux orties tout ce qui existait avant » et seront préservés :

 

 

 

-   les symboles : tenue (uniforme) et insignes, foulard identifiant l’Unité.

 

-   l’engagement : La Loi, la Promesse.

 

-   l’appartenance au Scoutisme français et au Scoutisme mondial.

 

-   etc.

 

 

 

Ce qui change :

 

 

 

La mise en œuvre d’une démocratie participative et représentative par de nouvelles pratiques d’animation :

 

-   clé de voûte de l’organisation démocratique, la généralisation des conseils à tous les niveaux, de la patrouille à l’ensemble de l’unité, où chacun(e) a le même droit à la parole pour décider des activités, par exemple d’une « entreprise » et de son thème, ou encore du lieu du prochain camp d'été ;

 

-   l’entreprise, qui par sa nature permet de pondérer le système des patrouilles, en permettant à l’éclaireur de faire le choix d’un atelier, d’une mission qui correspond à ses « envies », à son savoir-faire ou à son désir de découvrir quelque chose de nouveau ;

 

-   l’abandon d’une formation individuelle autoritaire, de nature scolaire – « tout le monde doit savoir faire un nœud de chaise double » – au profit d’une progression individuelle choisie par l’éclaireur lui-même en fonction de ses goûts, de ses centres d’intérêt. Il pourra ainsi développer son autonomie à son rythme ;

 

-   l’abandon du vocabulaire militaire : la patrouille devient « équipage », la troupe « unité », l’uniforme  « tenue », le chef « responsable ».

 

 

 

 

LE SYSTÈME DES PATROUILLES :

 

 

 

 

À ce stade, il me semble utile de revenir sur le « Système des Patrouilles » largement vilipendé par des responsables qui n’avaient peut-être pas eu le bonheur et le privilège de se confronter à un groupe d’ados et pré-ados : « La patrouille, une bande de 6 à 8 garçons dirigée par un chefaillon autoritaire et imbu de lui même. » Cette caricature n’est pas exagérée, je l’ai entendu de mes propres oreilles !

 

 

 

Plus sérieusement :

 

L’animation démocratique des unités n’a pas remplacé la patrouille par une « société de jeunes » ; la patrouille est une société de jeunes, à la mesure de ceux qui la composent. Elle est une société démocratique où le conseil de patrouille décide de tout ce qui la concerne. Je me souviens fort bien de nos discussions dans notre « coin de patrouille » au local de notre groupe.

 

Dans la patrouille on apprend à vivre ensemble, à prendre en compte les besoins et les souhaits des autres. Chacun/e découvre que sa propre liberté doit s’arrêter là où elle commence à piétiner celle de ses camarades.

 

On apprend à partager les tâches obligatoires à la vie et à la sécurité du groupe : par exemple, au camp, faire la vaisselle, entretenir la propreté du coin de patrouille, etc.

 

Dans sa patrouille, l’éclaireuse/eur sait que l’on a besoin d’elle, de lui, comme elle/il a besoin des autres dans un groupe où tous sont solidaires.

 

Enfin la patouille a un rôle primordial dans l’accueil et l’intégration des nouveaux, qui vont « apprendre » avec leurs camarades plus expérimentés.

 

Le fonctionnement de cette petite société est donc bien propice à l’apprentissage de la démocratie. Il se poursuit au niveau de l’Unité avec les différents conseils :

 

-   conseil des C.P., journalier en camp,

 

-   conseil de Haute Patrouille (CP + Seconds de Patrouilles) avec parfois des activités spécifiques dans ce dispositif. J'ai le souvenir, après un camp dans les Hautes-Pyrénées, d’un camp volant de H.P. entre Arreau et St Jean de Luz,

 

-   conseil d'unité.

 

 

 

En ce qui me concerne, mais cela n’engage que moi, le système des patrouilles est effectivement une condition absolue à l’animation des Unités de la branche.

 

 

 

 

LES FREINS À LA MISE EN ŒUVRE :

 

 

 

 

Ces nouvelles pratiques d’animation, beaucoup plus exigeantes, demandaient à chaque responsable d’être attentif à la personnalité de chaque éclaireur, de l’aider à exprimer ses attentes, ses envies et à prendre toute sa part dans la vie du groupe, dans le choix des activités. Bref à se comporter en citoyen dans une société démocratique.

 

Dans la plupart des groupes, les responsables n’étaient pas préparés à une telle évolution et quelques-uns décidèrent de continuer à faire comme avant… Non par opposition mais par crainte de l’inconnu.

 

Un autre type de réaction fut celle de quelques « groupes forteresses ». C'est-à-dire des groupes qui avaient la réputation, non usurpée, de « bien fonctionner », à la satisfaction unanime des adhérents, des parents, des responsables locaux et régionaux. Et voilà que, brutalement, on leur disait que ce qu’ils faisaient n’était plus au goût du jour mais ringard, et qu’il fallait passer à des méthodes nouvelles ! Beaucoup refusèrent de se plier à ce qu’ils considéraient comme une hérésie et ne modifièrent en rien leurs pratiques, sauf le vocabulaire.

 

En fait nous étions devant un déficit évident de formation qui ne pouvait se combler qu’avec le temps.

 

Pour pallier cette situation chaque région aurait dû mettre en œuvre ce que j’appelle une « proposition de vente ». C’est-à-dire réunir sur un temps court, un jour ou un week-end, les responsables en activité pour leur présenter verbalement ces propositions nouvelles et répondre à leurs questions, à leurs craintes, à leurs interrogations. Ce qui a pu être publié dans les revues était bien, mais insuffisant

 

Et puis, à l’époque, nous n’étions pas les seuls à innover, même si ce n’était pas avec des motivations semblables. Certains de nos responsables étaient tentés de copier, avec plus ou moins de succès, la méthode « Raider » des Scouts de France. Méthode à mon avis tout sauf démocratique, mais il ne m’appartient pas d’en juger.

 

Enfin il ne faut pas négliger la résistance naturelle au changement qui se manifeste, quel que soit le domaine, devant tout projet de réforme.

 

 

 

 

CONCLUSION ( Essai de… ! )

 

 

 

 

Pour ce que j’ai connu en région parisienne, nous n’avons pas d’idée précise, du moins moi, sur la manière dont s’est déroulée globalement la « transition démocratique ».

 

Certainement très rapidement et dans des conditions optimales d’application des méthodes nouvelles pour les unités encadrées par des responsables très compétents et bien formés. (Cappy branche verte)

 

Plus lentement pour la majorité des unités, au rythme du renouvellement des cadres et de leur passage en camp école.

 

Ceci étant, je pense qu’il faut être lucide sur la réalité du Mouvement. Si nous avions des « unités idéales » estampillées « Esprit et Méthode », avec des responsables au top, celles-ci n’étaient pas les plus nombreuses, du moins à la branche E/E en Région parisienne.

 

Plus fréquentes étaient sans doute les unités qui pratiquaient un scoutisme moins évolué, moins exigeant peut-être, avec des responsables parfois un peu « légers », mais qui n’en offraient pas moins à nos garçons (et, après le choix de la coéducation, nos filles) la possibilité d’épanouir leurs qualités dans une société démocratique et les moyens de devenir des citoyens utiles, selon le vœu du Fondateur.

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