2015 : Un peu d'histoire de la coéducation

Sam19Déc201510:23

2015 : Un peu d'histoire de la coéducation

Index de l'article

 

… à l'occasion de la Journée de la mémoire du scoutisme laïque le 28 novembre 2015

 

 

L’émergence de la coéducation dans le scoutisme laïque, une étape majeure de la formation à la citoyenneté

Intervention d'Yvon Bastide, président de l'association



Une étape :


Il s’agit bien d’une « étape » dans la longue histoire des relations entre hommes et femmes, garçons et filles, dont on peut trouver des exemples tout au long des siècles, depuis la Bible jusqu’à nos jours…

 

Étape donc : dans notre scoutisme français apparaît, en 1964, un « nouveau Mouvement » de « coéducation des filles et des garçons », les Éclaireuses & Éclaireurs de France. Il représente l’aboutissement d’une évolution, car la coéducation en question a été commencée dès 1947-1948 par les Éclaireurs de France (E.D.F.), association laïque de scoutisme pour les garçons.


De quoi s’agit-il ?

 

Avant d’aller plus loin, il convient de définir ce qu’on entend par « coéducation » des filles et des garçons. Il existe d’autres formes de coéducation, et le scoutisme lui-même en est un bon exemple puisqu’il pratique, depuis son origine, la coéducation des enfants, des adolescents et des adultes… Et le scoutisme laïque pratique, depuis sa création, la coéducation des spiritualités !

 

On en trouve une première définition dans la République de Platon, quatre siècles avant notre ère : « Dans notre État, hommes et femmes seront appliqués aux mêmes tâches et, pour s’y préparer, recevront la même éducation… ». L’encyclopédie anarchiste cite la Grande Didactique de Cornélius, vers 1630 : «… droit de tous, filles et garçons, à une instruction intégrale en commun » et les affirmations de Pestalozzi, au dix-huitième : « l'école doit être l'image de la famille et par suite grouper filles et garçons ». La Ligue Internationale pour l’Éducation Nouvelle, en 1921, va un peu plus loin : « La coéducation réclamée par la Ligue – coéducation qui signifie à la fois instruction et éducation en commun – exclut le traitement identique imposé aux deux sexes, mais implique une collaboration qui permette à chaque sexe d’exercer librement sur l’autre une influence salutaire ». Et on trouve un premier passage à l’acte avec le Mouvement de l’Enfance Ouvrière dans les années 30 : « Nous, filles et garçons de la classe ouvrière, nous voulons être élevés ensemble. »


Un nouveau Mouvement ?

 

Dans le scoutisme comme dans la société en général, il convient de remonter un peu le temps…

 

En 1907, nous trouvons la création en Grande-Bretagne du scoutisme pour les garçons, relayé en France dès 1911. Assez rapidement, certaines pensent que ça doit marcher aussi pour les filles et les premières expériences sont réalisées en France dès 1912 pour aboutir en 1921 à la création de la Fédération Française des Éclaireuses (F.F.E.), qui s’appliquera à définir les contours d’un scoutisme féminin. Suivie quelques années après par l’association catholique des Guides de France, elle réalisera un travail remarquable dans une structure originale, une fédération de « sections » respectant les valeurs de toutes les adhérentes.

L’aboutissement est donc l’existence de deux scoutismes parallèles, de même inspiration initiale mais sans liens entre eux dans leurs activités. Mais, dès la fin des années 30 et surtout après la Libération, apparaît le souhait d’activités communes, à la F.F.E. comme aux E.D.F., surtout à la branche aînée (plus de seize ans). Et dès 1947 les Éclaireurs Français (E.F.), la première association de scoutisme créée en France, inaugure à Alger une « branche féminine ».

 

Dans le scoutisme laïque (section « neutre », c’est-à-dire non confessionnelle, de la F.F.E. et E.D.F.), on trouve un premier début de rapprochement à la branche aînée, sous forme d’activités communes, d’une revue éditée ensemble, d’échanges et de réflexions, en particulier en ce qui concerne la formation. Le tout aboutissant à une tentative de structure commune, non adoptée en Assemblée Générale de la F.F.E.. Les E.D.F. décident alors, fin 1949, de devenir un « Mouvement commun aux filles et aux garçons ».  Il s’agit bien d’une innovation, compte tenu du contexte de la société, du scoutisme international, mais aussi, sur certains points, du Mouvement lui-même. 

 


 

En ce qui concerne la société, la « mixité » n’est pas généralisée, en particulier à l’école, et la femme se trouve systématiquement dans une situation de dépendance vis-à-vis de l’homme. Et il existe des réticences et des interdictions d’ordre moral ou religieux. Le texte ci-après, trouvé sur un site Internet, même s’il peut être considéré comme l’expression d’une position excessive, traduit bien cette crainte de la religion majoritaire : « C’est une erreur du même genre et non moins pernicieuse à l’éducation chrétienne que cette méthode dite “ coéducation des sexes ”, méthode fondée, elle aussi, aux yeux d’un grand nombre, sur un naturalisme négateur du péché originel. (…) Le Créateur a ordonné et disposé la parfaite communauté de vie entre les deux sexes seulement dans l’unité du mariage ; ensuite, elle les sépare graduellement dans la famille et dans la société… ».

 

En ce qui concerne le scoutisme international, la situation n’est pas plus ouverte. L’Organisation Mondiale du Mouvement Scout (O.M.M.S.), à laquelle appartiennent les E.D.F., décrète en septembre 1950 : « Enfin, et quant au fond du problème, il faut poser que le Scoutisme sadresse aux garçons et le Guidisme aux filles… Cest un non-sens de prétendre vouloir appliquer aux filles les méthodes de formation virile voulues par notre Fondateur pour les garçons… ».

 

Et l’introduction de la coéducation des filles et des garçons va conduire à aborder un autre sujet, celui de l’éducation sexuelle. Ici encore, nous trouvons des affirmations d’ordre religieux : « Bien plus, l’enseignement sans Dieu a entrepris cette abomination de révéler à des petits innocents les mystères délicats de la transmission de la vie, mystères qui relèvent uniquement de la compétence des parents, aidés de la grâce de Dieu, à eux seuls conférée par le sacrement de mariage ».

 

Chez les E.D.F., on trouve en 1944, dans une « tribune libre » de la revue des responsables, une première tentative d’aborder le sujet : « Devons-nous faire l’éducation sexuelle de nos garçons ? » suivie très rapidement d’une réponse rapide dans une série d’articles intitulée : « L’éducation à la pureté »…

 


 

Pas si simple donc, et pourtant…

 

En 1964, création d’un « nouveau Mouvement » par les trois associations « historiques » :

-      Les Éclaireurs Français, créés en 1911,

-      Les Éclaireurs de France, créés en 1911,

-      La section « neutre » de la F.F.E., créée en 1921.

 

Avec une difficulté tout aussi historique : les « retrouvailles » entre  membres de la F.F.E. restées fidèles & ex-membres  de la F.F.E. passées aux E.D.F. depuis 1949. Pour les E.D.F., pilotes de l’opération, l’objectif majeur va être de ne pas apparaître comme l’absorption par une association masculine de l’association féminine. Exemples de quelques précautions…  concrètes : la tenue, l’abandon du « chant fédéral » des E.F. et des E.D.F., le dessin d’un nouveau logo association trèfle et arc tendu…

 

Le résultat va être à la hauteur des ambitions : un nouveau Mouvement : les E.E.D.F. (les filles avant les garçons), une présidente issue de la F.F.E. N, des unités en coéducation dans toutes les branches.

 

Même si quelques groupes locaux E.F. ou F.F.E. refusent de rejoindre les E.E.D.F., le « congrès de l’An II », organisé à Montgeron par Jean Estève et Pierre Bonnet en 1966, témoigne de la concrétisation de cette création. Les objectifs en sont clairement définis :

« Depuis plus d’un demi-siècle, la condition féminine n’a cessé d’évoluer. Dans le monde moderne qui est le nôtre, la femme n’est plus entièrement dépendante de l’homme. Dans le monde où vivront nos enfants, la société ne pourra se passer de l’apport intellectuel, psychologique et affectif des femmes comme des hommes. Il faudra que s’instaure une coopération, débarrassée des images artificielles et paralysantes déléguées par le passé.

Mouvement de scoutisme laïque, ouvert aux filles et aux garçons, l’association des Éclaireuses & Éclaireurs de France prépare les enfants et les jeunes à vivre dans ce monde futur en leur proposant l’éducation en commun des garçons et des filles, l’éducation réciproque des uns par les autres, en un mot la coéducation. »

 


 

La mise en œuvre de ces objectifs va faire l’objet de réflexions au niveau des équipes nationales de branches, des stages de formation, et, bien entendu, des groupes locaux. Esprit et méthode seront progressivement définis pour chaque branche. Par exemple, la branche Louveteaux ajoute, un temps, une compagne féminine à Mowgli dans le livre de la jungle… Et on aborde le sujet difficile, celui de l’éducation sexuelle, dans une période où elle n’existe pas du tout à l’école, au collège ou au lycée… La revue des cadres et des aînés traite du sujet sous diverses formes, des expériences sont menées, des documents sont édités…

 


 

Il est évident que, pour la société comme pour le scoutisme lui-même, cette innovation était condamnée à réussir ou à disparaître. Elle a plutôt été suivie… Pour le scoutisme catholique, majoritaire en France, une tentative de rapprochement a eu lieu dans les années 70 (rencontre de La Trivalle), et le mouvement commun des Scouts et Guides de France a été créé en 2004.

 

En ce qui concerne l’éducation sexuelle, un document, très voisin de celui des E.E.D.F., a été édité en 1973 comme supplément à la revue « L’enseignement public ». Un bon exemple de passage à l’acte est d’autre part donné par les Guides du Kenya qui inscrivent dans leur parcours de progression un brevet de prévention de la grossesse adolescente et un brevet de prévention du SIDA…

 


 

 

En conclusion…

 

Dans un domaine difficile du fait de diverses pesanteurs, le Mouvement a perçu un besoin et s’est efforcé d’y répondre. Cette période a été, pour tous ceux qui l’ont vécue, particulièrement riche, chacun étant conscient des enjeux. Mais il est bien évident qu’elle ne marquait qu’un début, qu’elle devait être prolongée aussi bien dans la réflexion, dans les objectifs et dans le passage à l’acte. À nos successeurs d’assurer la relève de cette nouvelle étape !

 

Actualité…

 

Le colloque sur ce thème s’est déroulé à Paris le 28 novembre 2015, deux semaines après les attentats qui ont coûté la vie à plus de 130 personnes. La conclusion de cette évocation historique a été complétée par le texte suivant :

« Heureux de constater que notre Mouvement a su contribuer, dans son domaine, à donner à la fille et à la femme un peu de leur place “ normale ” dans une société qui a le droit de penser, d’écouter de la musique, de se promener, de vivre…

Autrement dit, qui croit à la liberté.

N’en déplaise à ceux qui ne savent que tuer. »

 


 

 

Quelques exemples d’ « étapes » dans l’avènement de la coéducation…

______________________

 

Dans la Bible, l’histoire de Loth

(Loth est un agriculteur de la vallée de Sodome, très pieux et respectueux des lois, en particulier en ce qui concerne l’hospitalité. Il vient de recevoir deux visiteurs qu’il a installés chez lui) :

«  Où sont les hommes qui sont entrés chez toi cette nuit? Fais-les sortir vers nous, pour que nous les connaissions ».

Loth sortit vers eux à l'entrée de la maison, et ferma la porte derrière lui. Et il dit :

« Mes frères, je vous prie, ne faites pas le mal ! Voici, j'ai deux filles qui n'ont point connu d'homme; je vous les amènerai dehors, et vous leur ferez ce qu'il vous plaira. Seulement, ne faites rien à ces hommes puisqu'ils sont venus à l'ombre de mon toit. »

_____________________________________________________________________________________

 

Vers 1960, l’orphelinat de Cempuis,

première expérience de coéducation des filles et des garçons

Extraits du site « Wikipedia » :


L'orphelinat de Cempuis est un orphelinat créé au début des années 1860 en région parisienne par Joseph-Gabriel Prévost. Il est connu pour avoir été dirigé de 1880 à 1894 par Paul Robin qui en fit le premier établissement expérimental d'éducation libertaire, où il mit en application ses principes sur l'éducation intégrale. Cet établissement fut la première école mixte française, et fit scandale à ce titre. Après avoir été géré par la Ville de Paris, il dépend aujourd'hui de la Fondation des Orphelins Apprentis d'Auteuil.

La création par Prévost :


L'orphelinat fut créé par Joseph-Gabriel Prévost, un philanthrope, dans son village natal de Cempuis2. Prévost était lié avec Ferdinand Buisson1, alors membre du Comité de secours et de patronage pour les orphelins de Paris. Celui-ci l'amena à signer, en 1871, un accord avec cette organisation philanthropique protestante afin de confier à l'orphelinat des enfants choisis par le comité.

Toujours sous l'influence de Ferdinand Buisson, Gabriel Prévost légua son œuvre et la totalité de ses biens au département de la Seine, pour entretenir son orphelinat de Cempuis en lui conservant son caractère d'établissement laïque ; il nomma Ferdinand Buisson pour son exécuteur testamentaire. Après le décès de Prévost, en 1875, et le règlement de sa succession, Ferdinand Buisson confia la direction de l'établissement à Paul Robin en 1880.

Les pratiques d'éducation intégrale sous la direction de Robin :


Paul Robin mit en pratique à Cempuis, sur un nombre important d'enfants, les théories sur l'éducation intégrale qu'il avait formulées dès 1869-1870. Cette éducation, basée sur la conviction de l'égalité de tous pour l'accès à l'éducation, voulait donner aux enfants des classes défavorisées, notamment, une éducation complète s'adressant aussi bien à leur corps et à leurs sens (pratique du sports et apprentissage manuel) qu'à leur intelligence et leur sensibilité (pratique de la musique notamment). Elle se caractérisait en outre, en raison du parcours personnel de Paul Robin, lui-même ancien Internationaliste, par son caractère athée et a-patriotique. Un autre aspect très novateur de l'œuvre que Robin accomplit à Cempuis, était la "coéducation des sexes" qui éduquait filles et garçons ensemble, côte à côte, comme dans les familles naturelles.

La fin de l'expérience :


En 1894, une campagne de presse très virulente fut menée contre Paul Robin par la Libre Parole. Octave Mirbeau prit alors sa défense et dénonça la collusion liberticide entre Cartouche (les politiciens républicains corrompus) et Loyola (l'Église catholique rétrograde). Si Paul Robin dut quitter la direction de l'orphelinat, son œuvre lui survécut sous la direction de maîtres et disciples formés par lui.

Bibliographie :


-   Christiane Demeulenaere-Douyère, « Cempuis. Un idéal d’éducation libertaire », Barricade, n° 4, février 2012.

-   Christiane Demeulenaere-Douyère, « Cempuis ou l’éducation libertaire aux champs (1880-1894) », dans Arnaud Baubérot et Florence Bourillon (dir.), Urbaphobie. La détestation de la ville aux XIXe et XXe siècles, Conseil général du Val-de-Marne-CRHEC-Editions Bière, 2009,

-   Christiane Demeulenaere-Douyère, « Buisson et l’Orphelinat Prévost de Cempuis », dans Laurence Loeffel (dir.), Ferdinand Buisson. Fondateur de la laïcité, militant de la paix, actes du colloque commémorant le 70e anniversaire de la disparition de Ferdinand Buisson, Grandvilliers, Oise (septembre 2002), Amiens, CRDP, 2004,

-   Christiane Demeulenaere-Douyère, Paul Robin (1837-1912). Un militant de la liberté et du bonheur, Paris, Publisud, 1994.

-   Nathalie Bremand, Cempuis, une expérience d’éducation libertaire à l’époque de Jules Ferry. 1880-1894, Editions du monde libertaire, 1992.

-   Renaud Violet, Régénération humaine et éducation libertaire. L’influence du néo-malthusianisme français sur les expériences pédagogiques libertaires avant 1914, mémoire de maîtrise, Strasbourg, 2002.

- Les anarchistes en France 1880-1910 André Nataf, Hachette, 1986.

Extrait du site « L’encyclopédie anarchiste » :

L’accueil dans la presse :

-   Le Temps : « la porcherie de Cempuis »

-   La Libre Parole : « La pudeur naturelle à tous les animaux n’existe pas à Cempuis »

À propos de Paul Robin :

« Cet ignoble polisson a converti l’orphelinat Prévost en maison de tolérance »

« Robin contamine les enfants du peuple en les initiant aux théories préconisées par Épicure et le marquis de Sade »

« Abominable fripouille dont la méthode, soi-disant philosophique, consiste à faire des expériences sur des petits innocents sans défense, sans appui, sans protection… »

(Félicie Numietska, la coéducation, 1905)

 

_____________________________________________________________________________________

 

Vers 1880, la création des lycées de jeunes filles :

Quelques pages extraites de l’ouvrage de Mona Ozouf « L’École, l’Église et la République, 1971-1914 », collection Kiosque :

 

__________________________________________________________________________________

 

Extraits du site « Vers demain »

Concernant la coéducation et l’éducation sexuelle

Par Pie XI. 31 décembre 1929 – Encyclique « Divini Illius Magistri »


Initiation téméraire


Il est un genre de naturalisme souverainement périlleux, qui, de nos temps, envahit le champ de l’éducation en cette matière extrêmement délicate qu’est la pureté des mœurs.

Très répandue est l’erreur de ceux qui, avec des prétentions dangereuses et une manière choquante de s’exprimer, se font les promoteurs de ce qu’ils appellent «l’éducation sexuelle». Ils se figurent faussement pouvoir prémunir la jeunesse contre les périls des sens, uniquement par des moyens naturels, tels que cette initiation téméraire et cette instruction préventive donnée à tous indistinctement, et même publiquement ou, ce qui est pire encore, cette manière d’exposer les jeunes gens, pour un temps, aux occasions, afin, dit-on, de les familiariser avec elles et de les endurcir contre les dangers.

Nature fragile

 

La grande erreur, ici, est de ne pas vouloir admettre la fragilité humaine, de faire abstraction de cette «autre loi dont parle l’Apôtre, qui lutte contre la loi de l’esprit»; de méconnaître les leçons de l’expérience montrant à l’évidence que, spécialement chez les jeunes gens, les fautes contre les bonnes mœurs sont moins en effet de l’ignorance intellectuelle que surtout de la faiblesse de la volonté, exposée aux occasions et privée des secours de la grâce.

Si, en matière aussi délicate, compte tenu de toutes les circonstances, une instruction individuelle devient nécessaire, en temps opportun, et de la part de qui a reçu de Dieu mission d’éducateur et grâce d’état, il reste encore à observer toutes les précautions que connaît si bien l’éducation chrétienne traditionnelle et que l’auteur Antoniano développe suffisamment en ces termes:

«Telle et si grande est notre misère, notre inclination au péché, que souvent ces choses mêmes que l’on nous présente comme remède au péché deviennent occasion et exaltation à ce même péché. Il importe donc extrêmement qu’un père, digne de ce nom, qui a à traiter avec son fils de matière aussi dangereuse, se tienne pour bien averti de ne pas descendre dans le détail des choses et des modes variées dont sait user l’hydre infernale pour empoisonner une si grande partie du monde. Autrement, au lieu d’éteindre le foyer du mal, il risquerait de l’allumer et de l’activer imprudemment dans le cœur encore simple et délicat de son enfant. Généralement parlant d’ailleurs, tant que dure l’enfance, il conviendra de se contenter de ces moyens qui, par eux-mêmes, font entrer dans l’âme la vertu de chasteté et ferment la porte au vice».


Coéducation


C’est une erreur du même genre et non moins pernicieuse à l’éducation chrétienne que cette méthode dite «coéducation des sexes», méthode fondée, elle aussi, aux yeux d’un grand nombre, sur un naturalisme négateur du péché originel.

En outre, pour tous ses tenants, elle provient d’une confusion d’idées déplorables, qui remplace la légitime communauté de vie entre les hommes par la promiscuité et le nivellement égalitaire. Le Créateur a ordonné et disposé la parfaite communauté de vie entre les deux sexes seulement dans l’unité du mariage; ensuite, elle les sépare graduellement dans la famille et dans la société. Il n’y a d’ailleurs dans la nature elle-même, qui a fait les sexes différents par leur organisme, par leurs inclinations, par leurs aptitudes, aucune raison qui montre que la promiscuité, et encore moins une égalité de formation, puissent ou doivent exister.

Les sexes, suivant les admirables desseins du Créateur, sont appelés à se compléter réciproquement dans la famille et dans la société, et justement par leur diversité même.

Cette diversité est donc à maintenir et à favoriser dans la formation et dans l’éducation, en sauvegardant la distinction nécessaire, avec une séparation correspondante, en rapport avec les âges différents et les différentes circonstances. Ces principes sont à appliquer en temps et lieu, suivant les règles de la prudence chrétienne à toutes les écoles, mais principalement durant l’adolescence, la période la plus délicate et la plus décisive de la formation. Dans les exercices de gymnastique ou de délassement que l’on ait particulièrement égard aux exigences de la modestie chrétienne chez la jeunesse féminine, pour laquelle sont de grave inconvenance tous genres d’exhibition et de publicité.


Par « Vers Demain » - Crimes contre nature


Rappelons-nous ce qu’a dit la Sainte Vierge à Jacinthe de Fatima en 1917: «Le péché qui entraîne le plus grand nombre d’âmes en enfer, c’est celui de la chair».

Or, le plus grand malheur de notre temps, c’est l’ignorance religieuse en général et en particulier des vertus morales et surtout de la pureté. De nos jours on n’aime pas parler de pureté, modestie, chasteté, mais la sexualité est exaltée… Un mot que sur les lèvres chrétiennes, on n’osait, autrefois, à peine prononcer. Aujourd’hui, la presse, la radio, la télévision, les discours, etc. nous rabattent les oreilles à la longueur de journées de ces termes grossiers évocateurs d’impureté.

Bien plus, l’enseignement sans Dieu a entrepris cette abomination de révéler à des petits innocents les mystères délicats de la transmission de la vie, mystères qui relèvent uniquement de la compétence des parents, aidés de la grâce de Dieu, à eux seuls conférée par le sacrement de mariage.

Au Québec, dans des écoles du Ministère de l’Éducation, la pilule est offerte aux jeunes filles à partir de l’âge de 12 ans et l’avortement est suggéré aux mineures concernées sans que les parents soient mis au courant. Quand cesseront tous ces crimes contre nature et contre Dieu? Quand arrêtera cette course vertigineuse vers les mœurs bestiales?

Il est temps de réagir contre cette décadence des mœurs qui met en péril la vie familiale et précipite les âmes en enfer.


Paroles de Pie XII, 18 septembre 1951


Il est un terrain sur lequel l’éducation de l’opinion publique, sa rectification, s’imposent avec une urgence tragique. Elle s’est trouvée, sur ce terrain, pervertie par une propagande, que l’on n’hésiterait pas à appeler funeste, bien qu’elle émane cette fois de source catholique et qu’elle vise à agir sur les catholiques, même si ceux qui l’exercent, ne paraissent pas se douter qu’ils sont, à leur insu, illusionnés par l’esprit du mal.


Intolérable effronterie


Nous voulons parler ici d’écrits, livres et articles, touchant l’initiation sexuelle, qui souvent obtiennent aujourd’hui d’énormes succès de librairie et inondent le monde entier, envahissant l’enfance, submergeant la génération montante, troublant les fiancés et les jeunes époux.

Avec tout le sérieux, l’attention, la dignité que le sujet comporte, l’Église a traité la question d’une instruction en cette matière, telle que la conseillent ou le réclament, tant le développement physique normal de l’adolescent que les cas particuliers dans les diverses conditions individuelles. L’Eglise peut se rendre cette justice que, dans le plus profond respect pour la sainteté du mariage, elle a, en théorie et en pratique, laissé les époux libres en ce qu’autorise, sans offense au Créateur l’impulsion d’une nature saine et honnête.

On laisse atterré en face de l’intolérable effronterie d’une telle littérature: alors que, devant le secret de l’intimité conjugale, le paganisme lui-même semblait s’arrêter avec respect, il faut voir violer le mystère et en donner la vision — sensuelle et vécue — en pâture au grand public, à la jeunesse. Vraiment c’est à se demander si la frontière est encore suffisamment marquée entre cette initiation soi-disant catholique, et la presse ou l’illustration érotique et obscène, qui, de propos délibéré, vise la corruption ou exploite honteusement, par vil intérêt, les plus bas instincts de la nature déchue.

Ce n’est pas tout. Cette propagande menace encore le peuple catholique d’un double fléau,  pour ne pas employer une expression plus forte. En premier lieu, elle exagère outre mesure l’importance et la portée, dans la vie, de l’élément sexuel.

Accordons que ces auteurs, du point de vue théorique, maintiennent encore les limites de la morale catholique; il n’en est pas moins vrai que leur façon d’exposer la vie sexuelle est de nature à lui donner dans l’esprit du lecteur moyen, et dans son jugement pratique, le sens et la valeur d’une fin en soi.

Elle fait perdre de vue la vraie fin primordiale du mariage, qui est la procréation et l’éducation de l’enfant, et le grave devoir des époux vis-à-vis de cette fin, que les écrits dont nous parlons laissent par trop dans l’ombre.

 


 




Platon et la coéducation : l’élitisme mixte de La République

Intervention de Damien Delorme, jeune agrégé de philosophie

 



Introduction :


Que faire de Platon dans une journée de la mémoire pour le scoutisme laïque ? Que faire de Platon dans un colloque sur la coéducation ? Ces questions renvoient à une question plus générale : Que faire de l'histoire de la philosophie dans une question politique c'est-à-dire qui produit du clivage (produit du clivage en ami-ennemi)  ?

Je crois qu'il faut se garder de l'écueil qui consisterait à mythifier Platon comme une figure d'autorité — « Platon, l'inventeur de la philosophie ! » — pour en faire un défenseur d'une position contemporaine. Il faut être très clair à ce sujet : Platon défend certes une position de coéducation. Mais il n'est ni un glorieux ancêtre (n'étant ni démocrate, ni féministe, ni rationaliste républicain), ni un repoussoir (n'étant ni un fasciste, ni un idéologue d'une société totalitaire, ni un sexiste forcené). Platon est simplement un philosophe qui fait ce que savent bien faire les philosophes : poser les problèmes, interroger des positions en formulant des distinctions conceptuelles et des arguments.

 

Quel est l'intérêt de Platon pour la question de la coéducation ?


Il y a, à mon sens, trois grands intérêts à mobiliser Platon sur la question de la coéducation :

-   [1] Platon pose le problème de l'éducation d'emblée comme un problème moral et politique. Bien sûr, il s'agit du développement d'individus, (physique et cognitif). Mais l'éducation est d'emblée morale (c'est-à-dire dictée par une idée finalisée de ce qu'est le bien). Elle est aussi politique (il s'agit de former des amis du collectif politique voir des conditions de possibilité de la constitution politique vertueuse). Il faut noter que les questions d'éducation sont abordée principalement dans deux ouvrages : le livre VII des Lois et le livre V de la République, ce dernier étant un ouvrage à la fois moral et politique centré autour de la question de la justice. De plus ces deux ouvrages envisagent le problème de la coéducation, comme condition d'une constitution politique. Enfin, Platon envisage le fait que la question de l'éducation des filles et des garçons produit du clivage politique parce qu'elle produit notamment une mise en cause d'une forme d'organisation et de hiérarchie des rapports de forces, c'est-à-dire aussi des réactions conservatrices véhémentes.

-   [2] Platon formule une analyse critique de la réaction spontanée de l'ordre social c'est-à-dire le refus de la coéducation. Platon explicite les présupposés et les arguments des adversaires ou des ennemis de la coéducation.

-   [3] Platon défend une position en faveur de la coéducation qu'on peut qualifier d'élitisme mixte. Ce qui me semble particulièrement intéressant est la stratégie de la défense de la position socratique : Platon défend la coéducation, non pas d'un point de vue moral (il est juste parce que chacun à un droit à l'éducation quelles que soient ses déterminations sociales, biologique, … ce qui sera plutôt le point de vue moderne) mais d'un point de vue politique (selon l'argument pragmatique « c'est bon pour la cité »). Il se permet ainsi de court-circuiter les présupposés moraux sur lesquels il peut y avoir désaccord. Et cette stratégie argumentative va peut-être amener Platon au-delà même de ce que ses présupposés machistes lui opposent comme limites : il y a une infériorité et faiblesse du genre féminin !

 

Recourir à Platon suscite donc un triple intérêt du point de vue philosophique : un intérêt problématique, un intérêt critique et un intérêt positif.

 

Dans La République, Platon met en scène Socrate discutant avec différents interlocuteurs sur la question de la justice. La thèse défendue par Socrate est une forme de justice aristocratique : Socrate défend en effet l'idée d'un « ordre juste » c'est-à-dire une hiérarchie vertueuse au sein d'un collectif. Pour établir cette thèse, Platon développe un parallélisme psycho-politique. Il va construire une analogie entre la justice au sein d'un individu (pensé comme collectif psychique, c'est-à-dire cohabitation de plusieurs instances) et la justice au sein d'une cité (pensé comme collectif politique). Socrate et ces interlocuteurs produisent alors le récit de la naissance d'une Cité juste, une cité idéale dont les acteurs normatifs principaux sont les Gardiens de la cité : ce sont ceux qui gouvernent et garantissent l'ordre juste. Ils remplissent donc une fonction de direction qui suppose la subordination de l'ardeur (cœur) et des désirs aux exigences de la raison. Cela pose un problème éducatif précis. Si en général, l'éducation vise à développer les plus belles facultés de l'âme et du corps, comment faire des militaires-musiciens-philosophes ? Comment former des êtres disciplinés mais émus par la raison ! Des corps vigoureux et des esprits réfléchis ? C'est au livre III, que Socrate propose pour répondre à ce problème un programme de gymnastique et musique. Mais, il est notable que ce programme, ne concerne alors que les garçons ! Et ce n'est qu'au livre V que Platon va envisager le problème de l'éducation des deux genres et de leur répartition des fonctions sociales.


L'éducation élitiste mixte :


Au livre V de la République, Platon fait jouer contre la cité idéale construite par Socrate et ses interlocuteurs les vagues de la convenance. Il s'agit de faire se briser sur l'édifice idéal les objections issues des normes conventionnelles l'intégration de femmes à l'éducation d'élite réservé au rang des gardiens, la communauté des femmes et des enfants ainsi que la justification du gouvernement par les philosophes. Il s'agit non seulement d'éprouver le modèle éthique et politique construit dans sa capacité à soutenir les critiques, mais aussi, positivement, d'en évaluer la possibilité et la profitabilité.

 

Les paralogismes entendus lors des manifestations contre le mariage homosexuel nous rappellent que la mer de l'opinion est toujours déchaînée. Et plus que jamais nous devons suivre le conseil Socratique, nous mettre à l'eau pour nager, quelle que soit la force des raz-de-marées doxiques et quoiqu'il soit peu raisonnable d'attendre comme Arion d'être sauvé de la mer houleuse par un dauphin. En quoi Platon peut-il nous servir de phare dans cette lutte contre les préjugés tenaces attachés à la différence des genres, des fonctions et des éducations ?

 

L'interrogation sur la fonction des femmes et des enfants dans la cité produit, au livre V de la République, [449 a-457 c] un examen remarquable. Sans exagérer la modernité de Platon, qui nous ferait courir le risque de l'anachronisme et d'une idéalisation mythique de l'égalitarisme platonicien, on peut tout de même reconnaître la puissance subversive redoutable de l'interrogation platonicienne concernant l'égalité ou de la différence de nature entre les genres, et par conséquent l'égalité ou la différence de fonction et d'éducation entre hommes et femmes. Le problème est exprimé clairement par Socrate : « La question [est] de savoir si la nature humaine, quand il s'agit de la femelle, est capable de s'associer avec le genre du mâle dans toutes ses tâches, ou alors, pas même dans une seule, ou bien si elle est capable de s'associer dans certaines tâches mais pas dans d'autres. » (453a).

 

Il faut d'emblée remarquer que la question de la différence sexuelle ou de la différence des genres ne semble pas d'abord le problème de Platon. Il s'agit ici, une fois la différence reconnue ou supposée manifeste, de s'interroger sur son statut et sur ses conséquences en matière d'éducation. La question apparaîtra d'autant plus polémique qu'il s'agit d'interroger la possibilité pour les femmes de devenir gardiennes de la cité, fonction supérieure dans la cité idéale consistant à protéger et gouverner la cité. L'éducation des gardiens a fait l'objet du livre III, et a permis à Socrate de montrer que la fonction (se battre et faire respecter la loi pour le bien commun) exigeait une éducation aux arts et à la gymnastique afin de produire des êtres justes ayant des affects et un corps harmonieusement régulés par la raison. Or pour la doxa athénienne – et bien au-delà d'ailleurs – la fonction militaire – avoir l'usage des armes, se battre, user de la force, de la violence et de l'agressivité pour protéger un territoire et un ordre social –, semblent d'emblée échapper à la féminité – repliée sur l'oikos, la gestion du foyer et des affaires privées, la sensibilité et le raffinement. Interroger la possible féminisation de l'art militaire, c'est se confronter au cœur de la domination masculine et des préjugés sexistes qui prétendent la légitimer. On comprend alors pourquoi, se transposant sur un terrain d'emblée moins polémique, Socrate mobilise l'exemple des chiens et chiennes de garde (451d). Tout athénien conviendra aisément que, à propos des chiens et des chiennes, si on veut la même fonction (i.e. garder), il faut la même éducation. Il existe donc au moins un domaine où la différence des sexes n'est ni exclusive d'une fonction de garde, ni cause originelle d'une exclusion éducative. C'est la première esquive contre la tendance essentialiste et discriminante de l'opinion qui permet d'amorcer la réflexion philosophique c'est-à-dire critique sur cette question.

 

Socrate a conscience de porter le débat sur un terrain polémique et friable : celui où la relativité des normes et des convenances attise les réactions émues avant de devenir, dans un oubli des conflits normatifs caractéristique des idéologies dominantes, « seconde nature » c'est-à-dire comportements habituels et d'usage. La mobilisation des affects, le changement dans ce qui satisfait potentiellement la convenance et la violence des critique contre les pratiques transgressives de cette normalité, jugées « contre-nature » ou « monstrueuses », invite le philosophe à la précaution. Le terrain est tout sauf apaisé et propice à la réflexion rationnelle.

Cependant tant de précautions face au « ridicule » et à « la raillerie » de la part de Socrate, par ailleurs irrévérencieux, pratiquant l'examen subversif des hiérarchies sociales (cf. Apologie de Socrate) et qui ne reconnaît comme seule autorité que l'intelligence (noûs) – avec ces deux idéaux que sont la vérité dans le domaine théorique et la vertu dans le domaine pratique – au mépris des conventions illégitimes, ne laisse pas d'étonner. Pourquoi donc tant de détours avant d'interroger la manière dont l'éducation (la formation) doit suivre la distinction des genres ou la transgresser ?

 

La question est d'emblée politique. Il s'agit non seulement d'interroger la légitimité des discriminations de genre au sein d'une structure hiérarchique. Mais il s'agit surtout d'interroger les présupposés amenant à la discrimination de normes éducatives fondées sur l'essentialisation de différence entre les genres. La question interroge donc à la fois des rapports de dominations et plus encore les moyens de rationaliser à posteriori des stratégies de domination par leur inscription dans des structures supposées transcendantes, universelles et contraignante : la nature.

 

La question est donc à la fois primordiale au plan socio-politique et potentiellement extrêmement subversive. Interroger la différence d'éducation entre les genres, c'est donc creuser jusqu'aux fondations d'une organisation sociale structurées autour de rapports inégalitaires. Et c'est interroger notamment les rapports de dominations masculines qui n'ont de cesse de se légitimer en se parant de la normalité naturelle, tout en délégitimant toute tentative critique, en rejetant d'emblée ces positions dans la monstruosité transgressive.

 

Le grand intérêt de la réflexion platonicienne dans ces pages, consiste [1] à formuler clairement la position de l'opinion comme essentialiste et discriminante, puis [2] à la problématiser pour en interroger le fondement à partir d'une réflexion sur la notion de compétence, avant [3] de soutenir une position qui est à la fois hiérarchisée (« tous les êtres n'ont pas les mêmes aptitudes à la compétence relativement à une fonction particulière »), critique de l'essentialisation de la différence sexuelle pour déterminer ces inégalités (« la différence sexuelle n'est pas un bon partage pour trouver la compétence ») et valorisant, comme réalisable et profitable, l'exigence d'offrir aux hommes comme aux femmes la même éducation dans toutes les fonctions en vue de l'excellence de la cité.

 

1-La position essentialiste : les hommes et les femmes ont des natures différentes qui leur confèrent des compétences et des fonctions sociales différentes.

 

L'opinion qui raille et juge ridicule l'égalité de fonction et d'éducation entre homme et femme soutient plus ou moins consciemment une position qu'on peut qualifier d'essentialiste. Il s'agit en effet de faire de la différence sexuelle une différence de nature, qui détermine des fonctions radicalement distinctes et par conséquent appelle des éducations radicalement spécifiques. Il y aurait donc des fonctions essentiellement masculines et féminines qui exigeraient des éducations essentiellement masculines ou féminines. Socrate explicite cette position en déterminant les objections formulées au nom de la convenance contre cette égalité éducative et fonctionnelle entre les genres.

 

L'argument essentialiste peut être reconstitué et mis en forme comme suit :

P1 : La fonction est relative à la nature. P2 : Les deux genres correspondent à des natures différentes.

C1 : Donc chacun des deux genres doit avoir des fonctions propres à sa nature.

P1' : Les mêmes fonctions appellent la même éducation et des fonction différentes appellent des éducations différentes.

P2' : Chacun des 2 genres est par nature destiné à remplir des fonctions différentes. C2 : Donc chacun des 2 genres doit avoir une éducation différentes, indexée sur la différence de fonction, fondée en dernier ressort sur une différence de nature.

 

Il y a donc deux prémisses déterminantes que Socrate va interroger :

[1] l'idée que la différence sexuelle appelle, par nature, une différence de fonction sociale et

[2] l'idée que la différence sexuelle appelle une différence d'éducation, pour correspondre à la différence de fonctions attribuées naturellement à chacun des genres.

 

La stratégie générale de Socrate va consister à opérer une distinction entre différences essentielles et différences contingentes et à nier la possibilité pour la différence sexuelle d'être une différence essentielle et suffisante en matière de compétence pour une fonction déterminée. Il s'agira donc de subordonner la différence sexuelle à une différence déterminante dans le choix des fonctions et des éducations – et ne recoupant pas la différence entre les sexes : la différence de compétence.

 

Par conséquent, la différence entre les genres sera redéfinie comme différence non de nature mais de degré au regard des fonctions sociales, potentiellement prise en charge indifféremment par les hommes comme par les femmes.

 

2-Les objections contre la doxa essentialiste : le différence sexuelle suffit-elle à discriminer des compétences ?

 

À la suite de l'exposé de la doxa athénienne en matière de différenciation sexuelle de l'éducation, Platon va mettre en scène le geste typiquement philosophique de l'élenkos, c'est-à-dire la méthode de réfutation socratique consistant à interroger la valeur d'une position en la mettant à l'épreuve de l'exigence rationnelle de cohérence.

Un préalable à la réfutation de la position essentialiste consiste à observer que certaines différences sont inopérantes pour fonder des différences de compétences. Il s'agit de porter la réflexion sur la distinction entre différences essentielles et différences contingentes. Pour faire sentir cette distinction, Socrate opère une analogie par transposition de la réflexion sur le terrain capillaire. Entre les chauves et les chevelus, il y a bien une différence capillaire essentielle. Mais cette différence devient contingente s'il s'agit de statuer sur la compétence à devenir « savetier » (454c). Nous sommes donc face à une différence de nature (entre le chauve et le chevelu) qui, sans être niée, et illégitime à discriminer entre savetiers compétents et incompétents. La remarque est fondamentale. Elle appelle la conscience d'un principe à respecter dans la discrimination des fonctions : la différence de compétence ne peut être indexée sur toute différence. Il existe des différences réelles qui ne sont pas le signe pertinents pour distinguer les compétences. Ainsi, apparaît implicitement la première mise en question de la position essentialiste : la différence des genres est elle essentielle ou contingente pour discriminer des fonctions ? La différence entre féconder et engendrer les enfants suffit-elle à fonder la différence de compétence en matière de connaissance et d'exercice (y compris gymnique et militaire comme c'est le cas ici dans la fonction de gardien de la cité) ?

 

La deuxième observation permettant de problématiser la position essentialiste consiste à mettre en doute l'adéquation supposée entre différence de genre et différence de compétence. Platon fait simplement remarquer que les différences de compétences peuvent s'opérer au sein d'un même genre. Ainsi, on peut, au sein d'un même genre, distinguer deux fonctions, par exemple la médecine et la maçonnerie. Chacun conviendra que tous les hommes ne sont pas également compétents en ces domaines. Il convient donc de distinguer les compétences, au sein d'un même genre. Non seulement, il n'est pas sûr que la différence de genre soit essentielle pour distinguer entre gardiens compétents, mais au demeurant, il ne suffit pas d'être un homme pour être un bon gardien ! La deuxième mine visant à saper la doxa essentialiste consiste donc à interroger la représentation mythique qui fonderait la compétence des gardiens sur leur masculinité et corrélativement invaliderait la compétence féminine à devenir gardien. Ou formulée en termes généraux : y a-t-il plus de différence entre les hommes et les femmes qu'entre les hommes entre eux pour attribuer une même fonction ?

Socrate aboutit alors à une reposition du problème inversant la charge de la preuve. Il ne s'agit pas de se demander quelles différences de fonctions correspondent à la différence des genres, supposée essentielle. Il s'agit au contraire d'examiner si cette différence réelle entre homme et femme suffit à fonder une différence de nature appelant des fonctions sociales et politiques distinctes. Il ne s'agit plus de présupposer une différence de compétence. Il s'agit d'apporter les preuves qui feront que la différence sexuelle pour l'éducation à la fonction de gardien, n'est pas de même nature que la différence capillaire pour juger la compétence à être savetier. « Par conséquent, dit Socrate, nous solliciterons celui qui nous tient un propos contraire, en lui demandant de nous apprendre la chose suivante : pour quel art ou pour quelle occupation, parmi ceux qui touchent à l'organisation de la cité, la nature de la femme et la nature de l'homme constituent-elles non pas une même nature mais des natures différentes ? » (454e-455a).

 

3-La position socratique : la différence de compétence doit s'opérer non entre les genres, mais au sein des genres entre des dispositions inégales.

 

La position platonicienne est déduite du refus d'attribuer à la différence sexuelle une pertinence pour fonder des différences de compétence en matière d'administration de la cité. Elle consiste à tenter de « montrer qu'il n'existe aucune occupation propre à la femme en ce concerne l'administration de la cité » (455b).

 

Le premier argument consiste à remarquer qu'il existe des critères précis permettant de discriminer entre des « natures douées » pour une fonction et des natures moins douées. Platon en donne trois – et aucun ne relève de la différence sexuelle – : la rapidité de l'apprentissage (vs un apprentissage laborieux), l'inventivité dans le domaine d'expertise (vs une imitation servile), la subordination du corps aux nécessités imposées par la fonction (vs le corps faisant obstacle à la fonction) (455b). Telles sont les différences essentielles à prendre en compte, en chaque domaine, et quel que soit le sexe de la « nature » en question, pour sélectionner les être aptes à la fonction visée.

 

Le deuxième argument affirme qu'il est impossible de soutenir de façon cohérente l'exclusion des femmes de certaines fonctions sociales par leur infériorité générale ou absolue par rapports aux hommes. En effet, remarque Socrate, il est des domaines sociaux où leur supériorité est reconnue de façon indéniable. Pour les athéniens, ce sont l'art du tissage, la confection de pâtisserie et de mets cuisinés (455c). Cependant, Socrate note qu'en chaque activité, de façon générale, un genre domine sur l'autre. Il établit donc à la fois, l'égalité d'accès à une activité et l'inégalité dans la compétence.

 

Ce n'est donc pas le genre mais la compétence qui doit déterminer la fonction et par conséquent l'éducation. Ces compétences sont à la fois également présentes dans chacun des genres (mais à des degrés différents) et inégalement réparties au sein de chacun des genres (tous les hommes ou toutes les femmes ne seront pas aptes à telle fonction). Il s'agit donc de sélectionner, non pas en fonction du genre, mais au sein de chaque genre, les plus aptes (naturellement doués) à remplir une même fonction, en tenant compte du fait que les performances en valeurs absolues risquent d'être inégales en fonction des genres. « Il n'y a donc pas, mon ami, d'occupation relative à l'administration de la cité qui appartienne à une femme parce qu'elle est une femme, ni à un homme parce qu'il est un homme, mais les dons naturels sont répartis de manière semblable dans les deux genres d'êtres vivants. La femme participe naturellement à toutes les occupations, l'homme de son côté participe à toutes également, mais dans toutes ces activités [la gymnastique et l'art de la guerre] la femme est un être plus faible que l'homme » (455 d-e).

 

En définitive, Platon soutient une inégalité foncière d'aptitudes et de destinations entre les membres du corps social qui est profondément étrangère à l'égalitarisme républicain. Cependant, il réfléchit les conditions pour qu'une hiérarchie soit légitime : une hiérarchie ne vaut jamais a priori ou de façon absolue mais toujours relativement à une fonction donnée. Pour telle fonction donnée, quels hommes et quelles femmes seront les plus compétents. L'erreur des essentialistes consiste à inférer de la différence de genre une hiérarchie entre les genres, indépendamment de compétences ou de fonctions particulières. La position de Platon est donc extrêmement moderne et toujours subversive dans la mesure où il soutient qu'il est non seulement possible mais encore profitable pour la cité de former les meilleures éléments de chaque genre dans chacune des fonctions sociales ! « Et quoi de meilleure pour une cité que de produire en son sein le femmes et les hommes les meilleurs possibles ? » (456e).

 

Ce n'est pas l'éducation pour tous, mais c'est radicalement l'éducation élitiste mixte. L'éducation la meilleure pour les plus aptes dans chaque fonction sociale, quel que soit leur genre ! Face à la prétention de la doxa à fonder des normes éducatives sur les simples convenances – masquant sous des naturalisation mythiques des dominations réelles – la critique platonicienne a encore toute sa vigueur. Face l'assignation de compétence ou d'incompétence inférée à partir de l'appartenance à un genre, la réflexion sur le statut des différences et le fondement des hiérarchies mérite toujours d'être mobilisée. Et, de façon positive, la promotion inouïe de la mixité comme idéal d'une humanité se construisant excellente par une éducation de chacun des genres, dans une logique de coopération et de partage des tâches, reste un idéal communautaire non encore réalisé et toujours à constituer.

 



Le contexte des années d’après-guerre : la place des femmes et des filles
dans la société, origine et évolution

Intervention de Nathalie Duval,

Professeure agrégée et Docteure en Histoire,  Université de Paris-Sorbonne

 

Nathalie Duval et Denise Zwilling qui la présente

 

En 1946, le préambule de la Constitution de la IVème République pose le principe de l’égalité en droit dans tous les domaines, des hommes et des femmes. Il est conforme au précepte de la Charte des Nations Unies publiée le 26 juin 1945. Il respecte aussi l’ordonnance d’Alger qui, en avril 1944, a rendu les femmes françaises électrices et éligibles. Cette pleine égalité des droits politiques et des droits dans tous les domaines entre les deux sexes sera confirmée en 1948 par la Déclaration universelle des droits de l’homme.


Pourtant entre le droit et la réalité, l’écart demeure important jusque dans les années 1970. Perdure notamment dans les mentalités la représentation traditionnelle de la femme telle qu’elle fut établie par le Code civil de 1804. En effet, l’ancien article 213 du Code civil selon lequel « le mari doit protection à sa femme, la femme doit obéissance à son mari » venait seulement d’être modifié, en 1942 : « Les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance ». En quoi les années soixante sont-elles un tournant décisif en faveur de la libération de la femme dans bien des domaines ?


I - Dans les années d’après-guerre : Éloge de la mère au foyer :


Au lendemain de la guerre, les pays industrialisés connaissent un « baby boom » avant de voir leur croissance démographique se ralentir. La France n’échappe pas au mouvement : la reprise de la natalité, débutée dès 1943, s’accentue comme jamais à partir de 1945 et cette explosion nataliste s’achève vers 1954, avec une traîne jusqu’en 1971.

 

Une jeune mère de 1947

 


Image du bonheur familial :

la mère à l ’arrière-plan veille, depuis la cuisine, torchon à la main, sur ses six enfants attablés.

 

 

A. Une politique familiale en direction des mères :


1. Des mesures incitatives :


En 1945, le congé de maternité devient obligatoire ; il est, de plus, indemnisé à hauteur de 50% du salaire et sa durée est augmentée : deux semaines avant l’accouchement et six semaines après. L’instauration de la sécurité sociale en France favorise la politique familiale  tout comme dans les autres pays industrialisés où elle se généralise. L’Etat-Providence bouleverse ainsi l’organisation de la vie privée en assumant une partie de la fonction paternelle au sein du foyer tout en consolidant la représentation de la femme mère, épouse et ménagère.


2. Les images d’une maternité épanouissante :


Les reportages photographiques sur cette course à la natalité se multiplient dans la presse grand public. La maternité y est vantée comme expression du bonheur et de la réussite. Les bébés joufflus posent sur des coussins de velours, figures de l’abondance retrouvée après les années de pénurie pendant la guerre. Les pères sont fiers d’immortaliser  leur progéniture avec leur appareil photo, objet en passe de devenir un bien de consommation courante et signe de réussite sociale. Les familles à deux, trois et quatre enfants se multiplient.


3. La figure emblématique de la fée du logis :


D’abord louée dans l’immédiat après-guerre pour sa participation à reconstruire la France, la mère est la figure emblématique de « la femme des classes moyennes » des années 1950 et 60. Son image est celle d’une femme d’intérieur accomplie et épanouie, heureuse de choyer ses enfants. Il n’est plus question de parler de « ménagère » mais bien de « femme au foyer » : ce glissement sémantique est important dans la mesure où l’image de la ménagère est jugée populaire et trop en prise avec les travaux domestiques jugés peu valorisants. Les campagnes promotionnelles mettent en valeur efficacité, rapidité et propreté des machines et appareils électroménagers qui préservent « la féminité ». Le temps gagné doit permettre de consacrer davantage d’heures aux enfants et au mari.

 

Jours de France, 1958 :

magazine féminin qui met en scène femmes privilégiées et vedettes qui font rêver les moins nanties

 

 

Affiche publicitaire de l’entreprise française en appareils électroménagers

datant de 1962 et à l’origine du célèbre slogan « Moulinex libère la femme »

 

B. L’envers du décor : les réalités :


1. Des maternités non souhaitées :


Des maternités sont subies par de nombreuses femmes qui en réalité ne les souhaitent pas ou plus quand elles deviennent répétitives. Certes la méthode dite Ogino a commencé à se diffuser : il s’agit d’une méthode de contraception naturelle grâce à laquelle l’ovulation est identifiée par la température. Mais c’est un moyen de contrôle des naissances dont les effets sont limités et qui ne parvient pas à empêcher les grossesses non désirées. L’avortement clandestin devient alors un recours pour celles qui s’y risquent. Les plus aisées partent en Angleterre ou en Hollande confier leur sort à des médecins. Les autres tentent l’avortement, seules ou avec une « faiseuse d’ange » en s’exposant aux risques de la stérilité ou de la mort.


2. Le ménage et des journées aux horaires sans limite :


La majorité des mères au foyer accomplissent seules leur ménage, tâche ingrate, lourde en peine et en temps. Considérées par les statisticiens et les politiques  « sans profession », elles ont pourtant des journées aux horaires sans limite et ne bénéficient d’aucune protection sociale. Des femmes renoncent aussi à chercher un emploi dans la mesure où les infrastructures demeurent encore insuffisantes pour accueillir les enfants en bas âge et le coût de leur garde éloignent de nombreuses mères du monde du travail. Celles qui sont salariées, souvent davantage par obligation de compléter le salaire de leur mari que par choix, assument alors seules une double journée de travail, faute d’un partage des tâches au sein du couple. Cette réalité, jointe à la sublimation de la mère de famille, invitent les femmes à souhaiter rester au foyer.

 

 

Photo de Janine Niepce, vers 1955, mettant en scène la famille d’un modeste artisan


3. Des voix discordantes :


Elles remettent en cause le bonheur féminin tant vanté par l’opinion commune et les images médiatisées. Dès 1949, la philosophe Simone de Beauvoir (1908-1986) publie Le Deuxième sexe ; elle y dénonce la condition faite aux femmes comme une aliénation. Elle récuse l’instinct maternel et l’imposition à la maternité. Sans se revendiquer elle-même féministe et sans relier sa pensée au féminisme, elle réfute le déterminisme biologique et le dénonce comme un prétexte à inférioriser les femmes. Son livre est qualifié, par ses adversaires, de pornographique, à cause de la revendication sexuelle qui y est revendiquée par son auteure.

 

La plupart des femmes, à cette époque, se montrent en effet réticentes aux thèses de Simone de Beauvoir. Mais, au cœur des années 1950, un mouvement féministe d’origine protestante et influencé après guerre par la pensée de Sartre et de Beauvoir prend de l’importance : il s’agit du Mouvement Jeunes femmes. Son congrès de 1955 s’élève ainsi contre ce qu’il appelle « l’aliénation domestique des femmes ».


Portrait de Simone de Beauvoir,

l’année de la parution de Le Deuxième sexe en 1949


Le 8 mars 1956, les statuts de l’association « La Maternité Heureuse », sont déposés. Cette association « La Maternité heureuse » est très importante car, sous couvert d’assurer l’équilibre psychologique du couple et de promouvoir la santé des femmes, elle pratique une propagande totalement interdite : revendiquer pour chaque couple, et chaque femme, le droit de contrôler les naissances. Lorsqu’elle est créée, avec le docteur Pierre Simon, la Maternité Heureuse a pour but de prévenir les drames de l’avortement en développant la contraception (qui sera autorisée légalement seulement en 1967). Dans les années qui suivent, des centres d’accueil s’ouvrent dans différentes villes, et en 1960, la Maternité Heureuse devient le « Mouvement Français pour le Planning Familial » (MFPF).

 

Enfin, tous les stéréotypes féminins antérieurs vont être balayés par une véritable bombe sexuelle, symbole d’une féminité renouvelée et moderne : le phénomène B.B.!

 

II - L’échappée belle des femmes :


Brigitte Bardot explose de sensualité et de séduction, en 1956, dans le film de Roger Vadim, Et Dieu créa la femme. Avec son corps jeune et sensuel, porteur d’amoralité et d’irrespect des valeurs traditionnels, elle devient la figure de la femme libre. Ce n’est plus l’image de la femme-objet « sois belle et tais-toi » magnifiquement incarnée par Marylin Monroe mais celle d’une femme sensuelle, libre de disposer de son corps dans la quête du plaisir et non pas de le réserver à la maternité.


A. Le phénomène BB :


1. Une nouvelle silhouette féminine :


Les photographes de plateau et de presse renforcent le phénomène BB et contribuent à en faire un mythe. Les clichés pris dans la rue capturent de maladroits sosies. Les jeunes filles nées du baby boom essaient de ressembler à Bardot avec ses cheveux blonds, sa coiffure en choucroute, ses robes Vichy. L’imitation est favorisée par l’essor du prêt-à-porter. C’est une nouvelle silhouette féminine  qui remplace celle du « New Look » proposée, à partir de 1947, par Dior qui alliait une silhouette inspirée des robes de la Belle Époque et une élégance séductrice, avec un corps à la taille marquée, un jupon très évasé, long jusqu’à mi-mollet. En revanche, avec le phénomène BB, la mode s’adapte, au tournant des années 1950-60, à la nouvelle vie de femmes actives et libres dont elle force même le trait. La naissance de la marque Courrèges en 1961 promeut une femme dynamique, habillée d’une robe écourtée au dessus du genou, de forme trapèze ou d’un tablier, chaussée de trotteurs à talons carrés, peu élevés et aux cheveux courts.

 

 

Affiche du film de Roger Vadim, Et Dieu créa la femme, 1956

 

 

La mode du début des années 1960 :

robes de forme trapèze dévoilant les genoux et souliers trotteurs

 

2. Un conflit de générations :


Quant aux baby-boomers, devenus des jeunes gens et jeunes filles, ils imposent tout particulièrement à partir de 1962, la liberté des années twist. C’est le temps des stars Yéyés, des copains et des copines ; le temps de l’âge tendre et des têtes de bois (nom de la célèbre émission de télé-crochet), du bikini (« rouge à petits pois » chanté par Dalida en 1961), toute une nouvelle génération  qui bouscule le genre et refuse les conventions, au prix d’un conflit avec la génération de ses parents.

 

En opposition aux aînés, la liberté corporelle s’affiche chez les plus jeunes : le port de la mini-jupe à partir de 1962 dévoile les cuisses tandis que les jambes sont désormais habillées par des collants qui démodent bas et porte-jarretelles. Autre facteur de libération de la femme et non des moindres : le travail.

 

 

La mini-jupe sur la Promenade des Anglais, été 1969

 

B. La conquête du marché du travail:


1. Les facteurs qui favorisent la féminisation du travail :


Les filles sont mieux formées d’un point de vue scolaire. La mixité des établissements commence à se généraliser à partir de 1957 dans les écoles primaires. La démocratisation de l’enseignement profite aux filles : prolongement de la scolarité obligatoire en 1959, création des collèges d’enseignement secondaire en 1963. Cette année-là, au baccalauréat, le nombre de filles reçues dépasse pour la première fois celui des garçons. Les bacheliers et bachelières représentent alors un peu plus de 14% de la clase d’âge des élèves nés en 1945. Mais les formations professionnelles restent tournées vers des métiers fortement sexués, ceux réservées aux femmes correspondant aux métiers de vendeuse, coiffeuse, secrétaire, assistante sociale, les métiers autour de la famille et de l’éducation des enfants…

 

Travail en pool de secrétaires-dactylos

qui impose concentration, concurrence et cadences accélérées

 

Néanmoins, les femmes sont de mieux en mieux acceptées sur le marché du travail d’autant que la reconstruction des Trente Glorieuses se heurte à une pénurie de la main d’œuvre. En 1962 : près de 42% des femmes âgées de 25 à 49 ans travaillent. Les mentalités évoluent. L’activité professionnelle féminine cesse d’être une honte pour le conjoint et cesse aussi d’être un simple appoint au salaire du mari même si « la femme qui ne travaille pas » reste la marque d’une réussite sociale, chez les cadres surtout.


Le secteur tertiaire est le grand pourvoyeur d’emplois féminins. La femme au travail est un col blanc et se doit de transposer dans son emploi les qualités liées à sa nature féminine à savoir  douceur, modestie et dévouement sans oublier, autant que faire se peut, la joliesse de ses traits et le soin de sa mise. De façon générale, la tendance est à l’exode rural, la ville attirant les femmes soucieuses de promotion sociale.


Faire carrière semble désormais possible à certaines. A partir de 1945, la prestigieuse École nationale d’administration, dès sa création, admet les femmes pour former les membres des grands corps d’Etat. Des bastions masculins cèdent face à la pression des diplômées du Supérieur : les premières « huissières » apparaissent en 1948, la première femme notaire en 1949 et la première femme Professeur de médecine à la faculté de Paris en 1959 !

 

2. Les conséquences de l’accès des femmes à l’indépendance financière :


Les femmes montent donc dans l’ascenseur social. En trente ans, le modèle de la mère au foyer se démode. Travailler devient pour une femme la norme certes par nécessité économique mais aussi par désir de socialisation et, de plus en plus, d’accomplissement de soi et d’indépendance. Ce maîtremot a des répercussions majeures dans le privé. L’autonomie financière des femmes, malgré des salaires inférieurs aux hommes, bouscule les rapports de sexe voire de force. Les femmes sont de moins en moins prisonnières de leur foyer et, en cas de faillite du couple, demandent davantage le divorce malgré un prix lourd à payer pour les divorcées : la charge des enfants et une double journée de travail.

-

La domination masculine finit par être ébranlée jusque sur le plan juridique : la loi du 13 juillet 1965 met fin à l’incapacité juridique des épouses qui peuvent désormais ouvrir un compte en banque et exercer une profession sans l’autorisation de leur conjoint. Quant à la la loi du 4 juin 1970, elle établit l’autorité parentale conjointe : c’est la fin de l’autorité uniquement masculine du chef de famille.

 

 

En 1965, cette femme a désormais le droit et la liberté

de retirer son argent d’un compte bancaire personnel, à son nom propre

 

3. Des citoyennes aux marges de la vie politique :


Pour ce qui est de la vie politique, les femmes jouent un rôle marginal malgré leur plein accès à la citoyenneté depuis 1944. La gouvernance reste très largement masculine. Aux élections législatives de 1946, auréolées de leur action dans la résistance, des femmes entrent, pour la première fois, au Parlement : elles représentent 6% des élus à l’Assemblée et 3,6% au Sénat. La présence d’une femme au gouvernement reste cependant encore exceptionnelle à l’exemple de l’avocate féministe, MRP, Germaine Poinso-Chapuis au gouvernement en 1947 avec le portefeuille de ministre de la Santé publique et de la Population. En 1958, les femmes députées ne sont que 1,5% à l’Assemblée nationale élue après la fondation de la Vème République.


En conclusion, les années 1962-1965 marquent un véritable tournant dans bien des domaines. Les partis politiques notamment, devenus conscients de l’enjeu que représentent les électrices, commencent à s’intéresser aux questions des femmes. À l’approche des élections présidentielles de décembre 1965, les initiatives en leur direction se multiplient. En octobre 1965, est créé par le ministère du travail le comité sur le travail féminin afin d’inciter, par des mesures, les femmes à travailler. En ce même mois d’octobre, une commission, surnommée « commission pilule » est nommée pour étudier les effets secondaires de ce nouveau contraceptif susceptible d’être mis sur le marché. Ainsi, est-ce dans ce contexte décisif où l’on passe de la maternité glorifiée à la contestation de la société patriarcale que se constitue le Mouvement des Éclaireuses et Éclaireurs de France, partisan et promoteur de la coéducation des sexes.


Après s’être spécialisée dans l’histoire de l’éducation nouvelle et des méthodes de pédagogie active, en particulier dans le cadre de sa thèse consacrée à l’École des Roches (publiée chez Belin, 2009, rééd. 2010), Nathalie Duval complète ses recherches sur l’histoire du scoutisme et des mouvements de jeunesse en s’intéressant à l’histoire de la F.F.E. : voir son article  «Le scoutisme pour « sortir de chez elles » : la Fédération Française des Éclaireuses et la promotion féminine (1921-1964) », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, tome 161, 2015, p. 109-133.


Signalons la thèse en cours sur l’histoire de la mixité en France de Geneviève Pezeu, doctorante sous la direction de Rebecca Rogers, à l’université de Paris-Descartes, CERLIS – Centre de recherches sur les liens sociaux, sous le titre : La mixité des sexes dans les établissements du secondaire, de la Première Guerre mondiale jusqu’au début des année soixante en France. Un article de sa composition proposant « Une histoire de la mixité » est lisible sur le site de Les Cahiers pédagogiques, n° 487, février 2011.

Plusieurs photographies illustrant cet article sont extraites de l’ouvrage, « Les femmes en France de 1880 à nos jours », Paris, Éditions du Chêne-Hachette Livre, 2007, de Yannick Ripa que nous remercions.

 

 


 


 








La coéducation à la branche Louveteaux

Intervention d’Andrée Mazeran-Barniaudy,

ancienne Commissaire nationale de branche





1949 : nous sommes à la meute de Tarbes, la cheftaine « Tupeenou » raconte :

-   « S’il y a des filles, nous on vient plus » me dirent mes Louveteaux frondeurs lors du Conseil de meute

-   « Eh bien, je serai seule avec elles » rétorquai-je.

À la sortie suivante, lorsqu’une « chasse au chevreuil » particulièrement essoufflante leur fit découvrir que le « chevreuil » était une fille en short, une véritable « Fifi Brindacier» (héroïne de bande dessinée).

-   « des filles comme ça, on en veut ! »

Et Josette amena Andrée… puis Suzette… etc.

Cette histoire vécue résume assez bien la mise en place de la coéducation à la branche Louveteau.

Les cadres du mouvement décident de faire, du Mouvement masculin des Éclaireurs de France, un mouvement mixte. Jusque-là les seules femmes étaient les cheftaines Louveteaux sans grandes responsabilités. Elles étaient sur des « strapontins »,  souligne un responsable de l’époque

  • Le contexte social de l’époque opposait des réticences (exprimées ici par le Louveteau frondeur)
  • La pédagogie réfléchie et vigilante du Mouvement a rendu cette coéducation facile, presque naturelle.

Je reprendrai ces trois points en développant bien sûr la partie pédagogie et en rapportant des témoignages.


La volonté du Mouvement de s’engager dans la coéducation


Après la guerre les responsables EDF ont souhaité que « le Mouvement prenne conscience de la nécessité d’une formation civique » dit Jean Estève.

À l’Assemblée Générale de 1947, la modification de l’article I des statuts engage l’Association.

Désormais pédagogie et citoyenneté sont liées


Cette nouvelle « orientation » est bien accueillie par les adhérents du Mouvement : chez les responsables, chez les Routiers souffle un vent de réforme.

Pour appliquer cette formation à la citoyenneté, un changement de méthode s’impose (les EDF n’ont pas attendu mai 68 pour parler de liberté, de participation aux décisions, de mixité).


L’idée novatrice de « Société de Jeunes » exprimée par Gustave Monod, directeur de l’enseignement du second degré, notre président ; Pierre François, Jean Estève… est vite adoptée par les jeunes responsables ou routiers. Le Congrès de chefs de Pentecôte 1949 va brillamment exprimer ce renouveau. Mais jeunes ne signifie pas seulement garçons. La société est mixte, hommes et femmes y ont leur place. Les EDF doivent – naturellement – se lancer dans la coéducation des filles et des garçons.


Le contexte social de l’époque


Dans la société, nombreux sont les freins. Conformisme, habitudes, religions, pouvoir des hommes, sexualité… conduisent à une éducation différente pour les filles et les garçons. Les stéréotypes sont courants et ne choquent personne. Un garçon est fait pour être chef, une fille fait la cuisine, le ménage…, elle a peur, elle crie pour rien.

Les écoles, sauf dans les villages, ne sont pas mixtes.

Les jeux des filles et des garçons sont différents.

Les enfants sont porteurs de ces préjugés – l’histoire de Tarbes le prouve – mais, en fait, dans la pratique, ils vont naturellement accepter la coéducation.


Ce qui, à mon avis, va faciliter le changement repose sur le besoin de renouveau ressenti après la guerre et sur le fait que cette génération était, en général, peu contestataire :

-        on a besoin de se rassurer dans le collectif,

-        on accepte les lois, les règles,

-        les enfants sont habitués à obéir…

Le Mouvement EDF, organisé, offre cette possibilité d’un renouveau, cette liberté mesurée. On en accepte les règles.


La pédagogie réfléchie et vigilante du Mouvement.


Petit rappel historique :


Dès 1949, quelques pionniers s’engagent dans la coéducation : Benjamine Astruc à Aix, Odile Victor à Tarbes, Andrée Barniaudy-Mazeran à Valence. Le compte rendu du camp de Bons-du-Mons-de-Lans en est un témoignage exceptionnel (Benjamine Astruc 1949).

Des rapprochements avec la FFE, section neutre,  sont entrepris mais les comptes rendus des réunions de cette époque notent que « la disparité des fictions » empêche une véritable collaboration.


Un travail de réflexion :


Coéduquer ne signifie pas seulement faire accepter les différences, cela signifie surtout rendre les différences enrichissantes par l’apport des uns et des autres.  Si la coéducation s’impose naturellement pour certains d’entre nous, son extension à l’ensemble de la branche Louveteaux nécessite une réflexion approfondie. Ce travail va être conduit par l’Équipe Nationale de branche, qui restera pendant de longues années très stable, avec des personnalités impliquées dans l’encadrement local et régional. Je citerai Sloughi Dejean, Tupeenou…, Gava venue un peu plus tard.


Le travail avec la branche cadette de la FFE se fait à l’équipe nationale et dans les camps de formation de cadres avec Violette Ginger, Hilda, I. Eliachar.


Dans les régions, dans les groupes locaux nous sommes à l’écoute des responsables, des louveteaux, des parents. Je ne me souviens pas de difficultés sur le terrain.

La coordination entre les deux Mouvements devrait permettre l’harmonisation des unités cadettes dans les groupes locaux.


La brochure « Esprit et Méthode » :

Elle est publiée en 1956 après une expérimentation de plusieurs années car nous avons voulu prendre beaucoup de précautions.


Les camps de formation de chefs de camp CCC :

Mis en place assez rapidement, ils vont permettre de mieux cerner cette coéducation au quotidien en particulier au moment de la toilette et du couchage. La coéducation se vit surtout au camp.


Quelques modifications nous sont apparues comme indispensables


…  dans la méthode :


-         L’entreprise et le conseil de meute

Ils donnent à l’enfant une place importante dans les décisions et permettent aux uns et aux autres de s’exprimer selon ses goûts, en harmonie avec les autres.

Le camp de Bons-du-Mons-de-Lans évoque les transformations dans la vie de meute : entreprise et apprentissage de « l’auto direction » vont de pair avec la coéducation.

-         La fiction jungle n’a plus eu une place essentielle dans le louvetisme

Le Grand Conseil Louveteaux de novembre 1949  souhaite conserver le cadre jungle mais demande de faire « sortir Mowgli de la jungle afin qu’il soit en contact avec la ville des hommes où triomphe la civilisation moderne ».

Nous pensons à introduire dans la jungle une petite fille – sœur ou amie de Mowgli – Bengali, du nom de l’oiseau gracieux et chantant (en référence aux petites ailes de la FFE avec lesquelles nous travaillons). Les meutes ont pris le nom de cercles.

L’expérience montre que c’est inutile, les filles trouvent dans le Cercle les activités qu’elles souhaitent, principalement dans l’entreprise. De fait, le cadre jungle s’estompe (on l’utilise principalement dans les grands jeux). Ainsi le personnage féminin de Bengali va-t-il tomber en désuétude.


…et aussi dans la pratique :


-         Une organisation rigoureuse des règles de vie était nécessaire.

Elles sont établies de façon précise. Les responsables de cercle sont tenus de les appliquer. Les adultes du groupe seront vigilants sur ce point.

La tenue des filles est définie (un short fermé est exigé sous la jupe).

Les activités de la meute sont toujours pensées pour que les filles et les garçons y trouvent leur place. B. Astruc note qu’elle n’a jamais organisé d’activité proprement masculine ou féminine. Cependant pendant les temps libres on voit parfois des filles se regrouper.

La toilette et le couchage sont l’objet d’une attention particulière.

Les témoignages qui suivent illustrent ce quotidien des Louveteaux.


Conclusion


Pour conclure, je voudrais insister sur le fait que la coéducation n’a été possible que parce que le Mouvement  a su lier coéducation et formation à la citoyenneté en mettant l’accent sur le conseil de meute et l’entreprise.

Encore une fois relisons le compte rendu du camp de B. Astruc en 1949 dont le titre  parle de lui-même Coéducation, entreprise et auto direction ont donné de bons résultats au cantonnement d’Aix et de Grenoble.


Dans un groupe d’enfants, le rôle des responsables est primordial. Le responsable propose des activités appropriées où chacun trouvera sa place et pourra s’exprimer ; il veille au comportement du groupe ; il intervient quand le besoin s’en fait sentir ; il met en valeur le rôle de chacun, fille ou garçon. Il intervient comme guide car il est lui-même membre du groupe. Il vit avec les enfants, s’implique. On retrouve là la caractéristique principale du scoutisme, l’éducation « à partir de l’intérieur ». C’est cette coopération de chaque instant, cette coéducation à deux niveaux (entre filles et garçons, entre enfants et cadres) qui rendra naturelle, par la suite, la participation à la vie citoyenne.


Nous avons été sur le terrain, nous, les jeunes responsables Éclaireurs des années 50, des novateurs sans le savoir. Si la mise en place s’est faite naturellement, c’est parce que nos maîtres mots ont toujours été  sérieux et vigilance.


Pierre Joxe, qui a été éclaireur après la guerre, écrit dans un hommage à Pierre François en 1986 : « Avec le recul du temps, on se rend compte que dans les années 50, les expériences éducatives (il cite la coéducation) menées aux Éclaireurs de France ont été parfois prémonitoires. »


Compléments :

  • Jean Estève écrivait en 1946 :

« La formation du citoyen est un de nos buts principaux. Combien de chefs y pensent ? »

  • Assemblée Générale de mars 1947

Modification de l’article I des Statuts qui deviennent :

« L’Association a pour but final des préparer des citoyens conscients des problèmes sociaux et soucieux de les résoudre. »

  • Les Sociétés de Jeunes sont fondées sur la liberté, la participation, la possibilité donnée au groupe de décider ensemble.

  • Tupeenou  nous écrit :

Souvenons nous que le mot « chef » en anglais « chief » a pour féminin « cheftain » ce qui, en Français devint « cheftaine ». Ce mot ne s’applique que dans le scoutisme



Intervention d'Adeline Éloy-Gavazzi, alors membre de l’équipe nationale Louveteaux :

Au sein de la société d’enfants qu’était la meute,  j’ai pratiqué la coéducation sans le savoir….


Les prémices …


C’était en 1957 et j’étais élève à l’École Normale d’institutrices (non mixte) de Tarbes. La vie y était monotone dans sa routine. Hugo et Koala, deux de mes compagnes de promotion revenaient tous les jeudis soirs, enthousiastes après leur après-midi passé avec les Louveteaux de la meute de Tupeenou.

Moi, comme toutes les normaliennes, j’étais allée aux Francas, activité qui était obligatoire car elle était censée nous préparer à notre métier d’enseignantes. Je ne sais plus s’il y avait des filles et des garçons ou seulement des garçons. Par contre, ce que je sais, c’est qu’il y avait des enfants qui n’avaient pas choisi d’y être. Avec eux, j’avais trouvé le temps infiniment long, dans cette cour d’école où j’enchainais des petits jeux à un rythme accéléré. Pour essayer de maintenir leur attention.

J’enviais mes amies qui étaient parties dans la campagne, avec des enfants motivés, pour des activités pleines d’inventivité et d’imprévus. Elles se racontaient des épisodes de fous rires,  des improvisations, des paroles de Louveteaux…

Le camp surtout m’apparaissait comme un lieu où même les contraintes quotidiennes (toilette, couchage…) devenaient des moments de vie commune pleins de rebondissement. Pour moi qui avais eu une enfance solitaire (la différence d’âge avec ma sœur et mes frères était trop importante pour que nous jouions ensemble), c’était un monde que j’avais rêvé, une sorte d’abbaye de Thélème.


La découverte des Louveteaux à Tarbes, à Auch et à Paris…


Mes premières activités dans la meute de Tupeenou ne m’ont pas déçue, bien au contraire. Nous préparions les sorties du jeudi la veille, dans le parloir de l’École Normale… un moment hors du temps et des contraintes hiérarchiques (Tupeenou était chef d’établissement et nous trois étions élèves). Nos suggestions étaient retenues et, à ma grande surprise, se concrétisaient le lendemain pour le plus grand bonheur de tous.


J’ai tout d’abord découvert et vécu la branche Louveteaux et, à travers elle, le scoutisme, au fil des sorties et des camps. Autrement dit sur le terrain.


C’est au cours du Cappy, effectué à Boulouris et ensuite pendant mes années d’assistante d’Andrée Barniaudy-Mazeran à la Chaussée d’Antin (de 1962 à 1966), que j’ai compris comment j’avais pratiqué, tel Monsieur Jourdain, la coéducation… sans le savoir. Je découvrais qu’elle était le corollaire de la vie d’une société d’enfants à laquelle j’avais pleinement participé au fil des sorties et des camps.


Elle m’apparaît maintenant, avec le recul, comme une formation citoyenne, permettant à chaque personne, quels que soient son sexe, son  origine…, d’être reconnue comme « membre d’une cité nourrissant un projet commun auquel elle souhaite prendre une part active ».

Quelques  souvenirs…

-        À Vieux Boucau au cours d’un camp… Nous étions au bord de l’étang de Moïsan. Marc s’était approché un peu trop près du bord et il glissa dans l’eau. Quand il fut tiré de ce mauvais pas, les chaussures trempées, il nous avoua avoir eu peur. Ce qui l’avait rassuré, c’est qu’il voyait un louveteau qui ayant prononcé sa promesse la veille, ne pouvait que venir à son secours. Peu importait que ce soit une fille ou un garçon, il ou elle s’était engagée et c’était là l’essentiel.

-        Toujours à Vieux Boucau, quand, au crépuscule, nous écoutions les bruits de la forêt et que je racontais la jungle. C’était une jungle revisitée, considérée comme un symbole parlant à l’imaginaire de l’enfant. Nous étions ensemble, tous transportés dans un pays lointain et hors du temps. Dans une forêt dense, habitée par des animaux sauvages, Bagheera et Baloo apprenaient à Mowgli le respect de règles nécessaires pour vivre ensemble. Ainsi, lorsque la sècheresse sévissait, carnivores et herbivores allaient boire ensemble sans crainte… (en ce mois de novembre 2015 cette union face à une menace nous parle).

-        Les conseils de meute étaient des moments essentiels. Chaque louveteau savait qu’il pouvait en demander la réunion pour traiter d’un sujet qui lui tenait à cœur : dispute avec un copain, sentiment d’injustice, proposition d’une activité nouvelle…

L’essentiel était que chacun sache qu’il pouvait s’exprimer librement et que sa parole serait suivie d’effets. C’est dans l’engagement pris ensemble que résidait la valeur de cette instance. Le responsable était le garant du respect de la parole de chacun et aussi de la décision prise ensemble. C’est là que la confiance, ciment de la meute, trouvait sa source.

-        Les entreprises étaient des moments exceptionnels. Décidées en conseil, elles aboutissaient à une réalisation concrète produite à une date donnée. Les idées en général fusaient de toutes parts, aussi séduisantes qu’irréalistes. À partir de là, nous étions tous, responsables et louveteaux, confrontés à nos limites, difficiles à accepter surtout pour les enfants. D’une part, il y avait celles qui nous étaient externes à la meute (le budget, le temps imparti, le matériel disponible…) et, d’autre part, celles qui étaient liées à chacun d’entre nous (aptitude, force, enthousiasme…).

Quelle que soit l’entreprise, nous avions besoin d’artisans aux compétences variées : menuisiers, bâtisseurs, couturiers, dessinateurs, botanistes, mécaniciens, comédiens, chanteurs, danseurs… Chacun, fille ou garçon, trouvait sa place. Les groupes se formaient selon les intérêts, les capacités… les amitiés aussi. Parfois, un louveteau qui ne s’était pas montré assez convainquant dans l’exposé de son projet se  retrouvait seul. Cela ne durait pas longtemps… les responsables veillaient.

-        Les « traditions » que nous inventions et qui soudaient les liens. Par exemple, comme nous étions la meute d’Artagnan nous avions décidé, lors d’une sortie, de manger les petits pois « à la Mousquetaire ». Nous fabriquions, avec des petites tiges assez robustes, des épées/fourchettes avec lesquelles nous piquions un à un les petits pois…

Nous avions aussi quelques mots à nous qui évoluaient selon le moment. Ils étaient soient fabriqués de toute pièce soit dévoyés de leur sens premier. Les anciens aimaient beaucoup dévoiler, dans le secret, ces  mots aux nouveaux arrivants. Cela créait une sorte de connivence et de mystère…


L’engagement volontaire de chacun, les décisions prises en commun, les réalisations tangibles,  les émotions partagées au cours des grands jeux ou des veillées/contes nous rassemblaient tout en respectant nos différences. Nous tous, responsables, enfants, filles ou garçons avions le sentiment  profond d’appartenir à une mini-société qui avait ses règles propres  afin que chacun trouve le chemin de sa liberté.


Pourquoi la coéducation filles/garçons me paraissait aussi évidente sur le terrain…


Tout d’abord, en arrière plan, il existait, depuis quarante ans, une culture liée au scoutisme, quelle que soit la branche. Chacun de vous la connaît. Je n’en évoquerai ici que quelques points qui me paraissent essentiels :

- la vie dans une nature que l’on apprend à connaître et à respecter,

- l’éducation par le jeu et la vie en équipe,

- les notions d’engagement et d’effort.


Ensuite, les activités  que nous proposions, à la branche louveteau, avaient été préparées et réfléchies, encadrées par la brochure Esprit et Méthode publiée en 1956. Je suis étonnée de constater aujourd’hui combien elles correspondaient à la satisfaction des besoins essentiels et permanents des enfants d’âge louveteau, filles ou garçons :

- besoin de sécurité physique et affective, besoin de confiance,

- besoin  de lien social en appartenant à un groupe qui respecte l’autonomie de chacun et  permet de réaliser des projets communs,

- besoin d’être reconnu pour ses qualités propres, d’être écouté,

- besoin de découvrir, de se dépenser, d’imaginer, de rêver…


Enfin la formation des responsables au sein des camps écoles avait été construite en s’appuyant surtout sur l’expérience de pionniers « visionnaires ». Elle était relayée dans chaque groupe grâce à la coéducation qui  rassemble toujours des  pairs différents par leur âge, leurs responsabilités, leur expérience…

…et  aussi  au cours des réunions avec la branche des Petites Ailes de la FFE

Lorsque j’ai participé, avec Andrée Barniaudy Mazeran, à ces réunions je n’ai entendu aucun argument percutant en faveur de la séparation des filles et des garçons. Bien sûr, la jungle était parfois discrètement évoquée comme une fiction inadaptée. À la fin des années 50, elle n’était plus un cadre de vie emprisonnant mais plutôt une sorte de conte à la fois poétique et philosophique.


En guise de conclusion


La vie avec des Louveteaux au sein de groupes EEDF continue…


Heureusement elle a évolué et quand j’écoute mes petits-enfants qui sont louveteaux dans la région toulousaine, je suis persuadée que mes souvenirs n’ont  aucune raison  d’être nostalgiques… Ce qu’ils vivent est passionnant et les concerne profondément. Ils en parlent peu : c’est leur « affaire ».

Même si je n’en dis rien, au fond de moi, je regrette cependant que la fiction, la poésie ne soit plus aussi présente.


Mon témoignage est simplement là pour traduire l'enthousiasme réfléchi qui nous habitait, même si celui-ci peut paraître, actuellement, un peu utopiste et décalé. Aujourd'hui comme il y a 50 ans, chaque responsable est, à sa façon, un pionnier. Il crée les activités permettant à chaque enfant de grandir au sein d'un groupe pour devenir un « citoyen conscient des problèmes sociaux et soucieux de les résoudre ».  Cet objectif demande d'ouvrir, au jour le jour,  des voies nouvelles en agissant tous ensemble quelles que soient nos ressemblances ou nos différences.



La coéducation à la branche Louveteaux

Quelques témoignages recueillis par Andrée Mazeran-Barniaudy


La coéducation, une évidence

Rainette (Aline Bonnahon)

« Garçons et filles, filles et garçons… Pour moi une évidence »

Jacqueline Boganski

« Le recrutement des filles s’est d’abord fait au sein des familles d’éclaireurs, puis les filles ont amené leurs copines. Cela n’a représenté aucune difficulté, ni chez les garçons, ni chez les filles. Dans le groupe, les parents adhéraient complètement. Les mêmes activités, les mêmes jeux rassemblaient facilement toute la meute (le ballon prisonnier par exemple).

Pour moi, alors sans expérience du Scoutisme d’alors, la coéducation à cet âge louveteau était une évidence. Avec des règles bien pensées pour assurer la sécurité et le respect de chacun, garçons et filles ne pouvaient que se développer harmonieusement en se confrontant dans un espace autre que familial ou scolaire.

Ensuite, dans les divers camps, j’ai pu constater que les filles prenaient bien leur place, et que cette expérience de vie partagée (on était encore dans les années 50) était une étape importante dans la structuration de la personnalité.

Comme enseignante j’ai regretté que la mixité des classes élémentaires ait été si lente à se mettre en place (1970/71 pour mon établissement) alors que cela aurait facilité même la vie des établissements à cette époque de classes surchargées… Les Éclaireurs de France avaient une longueur d’avance en éducation ! »

Jacqueline Boganski

« Lors du “ Rallye-roulettes ” rassemblant plusieurs meutes de la province Île de France, en 1952, la seule distinction a été celle de l’âge (moins de 10 ans, plus de 10 ans). Pour le concours de patins à roulettes pas de séparation des sexes. »

Cependant les garçons étaient prêts à applaudir les filles. « La môme elle est nylon »  s’exclamait un garçon nouveau venu devant l’exploit d’une gymnaste très douée aux Olympiades que j’organisais, en 1953, au stade de Versailles (Nylon mot passe-partout et à la mode, un peu comme super maintenant) »

Hugo (Huguette Gleizes)

« Les aventures vécues dans un cadre accueillant, lors des sorties hebdomadaires et surtout, dans nos camps, véritables « lieux de vie », permettaient à chaque sexe d’exercer sur l’autre une influence salutaire pour vivre en bonne intelligence.

L’expérience collective commençait par une bonne organisation des sizaines.

Chacun pouvait s’épanouir grâce à l’émulation dans la meute et acquérir dans le respect et la tolérance de l’autre, les valeurs citoyennes pour le fonctionnement du groupe.

Personnellement je ne me souviens pas de problèmes qui n’aient jamais pu être réglés en conseil de meute. »

La coéducation vécue au jour le jour demande de la vigilance, du discernement.

Tupeenou (Odile Victor)

« Un seul incident lors du 1er camp d’été mixte en montagne. Tous faisaient leur toilette dans le torrent proche, les filles en amont… les garçons en aval (à une distance étudiée).

Malgré la surveillance, un matin, deux garçons réussissent, cachés dans les buissons, à épier les filles… se permettant ensuite, dans la journée, des rires goguenards et des allusions moqueuses… du coté des filles, il y eut des… pleurs…

Et dans un conseil (qui fit l’objet d’une réflexion préalable entre chefs de meute) il y eut une mise au point explicative… « Honteux et confus » comme le corbeau de la fable, nos deux lascars, furent par la suite, exemplaires… ! »

Jacqueline Boganski

« Mon frère, ex-Chef de meute, m’a relaté qu’il avait été gêné une fois, au moment de la toilette des filles, quand, dans un rassemblement de meutes, une cheftaine lui avait adressé une louvette déjà en préadolescence. Il avait alors demandé que ce soit une cheftaine qui assure le bain des filles. Cela démontre combien il était important de penser à ce genre de détails : le comportement d’un jeune chef de 20 ans auprès de filles pubères. L’organisation précise du couchage et des toilettes devait mobiliser toute notre vigilance. »

Benjamine Astruc

« Dans le compte rendu de 1949 du camp de Bons-du-Mont-de-Lans elle parle de la meute mixte d’Aix qui réunissait 9 garçons et 5 filles  âgés de 7 ans et demi  à 10 ans. On lit

… Après avoir longuement réfléchi à l’affaire des dortoirs (séparés ou communs), j’opte pour le dortoir commun non sans en avoir discuté avec les parents des enfants. Je n’ai pas rencontré d’opposition à ce sujet, la majorité des enfants est jeune….

Au début du camp trois filles se regroupent dans le même coin, les deux autres se placent avec les garçons de leur sizaine. Dès le 4e jour du camp, les enfants rangent spontanément leurs paillasses  par sizaine….

Des petites questions de déshabillage ont été réglées…

Je n’ai jamais surpris de réflexions malsaines au sujet de la toilette, ni au sujet du couchage. La toilette était commune aux filles et aux garçons. Elle se faisait au lavoir public….

Dans les activités, les enfants n’ont jamais manifesté le désir d’être séparés.

De petites mises au point ont porté uniquement sur des questions de vocabulaire. Les enfants emploient des mots qu’ils ont appris de la bouche des adultes et dont ils ne connaissent pas la signification. Ils savent, la plupart du temps, que « c’est mal » de les employer, par exemple Cocu.

Ils emploient le mot fiancé dès qu’ils voient une fille et un garçon en sympathie.

En conclusion, les enfants ont vécu trois semaines ensemble dans une atmosphère très saine, leurs rapports ont été tout au long du camp d’une grande franchise. Ils ont témoigné d’une grande confiance dans leur cheftaine. »

Filles et garçons vivent différemment la coéducation

On remarque :


  • · Chez les garçons, un sentiment de supériorité et souvent d’admiration à l’égard des filles


Hugo

« Les garçons se sentent plus forts physiquement, ils ont envie de jouer aux petits coqs.

On peut noter par ailleurs : « On ne veut pas trop de filles dans la sizaine, parce qu’elles courent moins vite et nous font perdre. »

Andrée écrit :

« En 1949,  au camp du Vercors, Bernard, un garçon plein de vie et rieur, regarde les filles avec admiration. Elles sont particulièrement adroites pour faire du “ tricotin ” : leurs doigts habiles manipulent la laine pour faire une chaînette.

Je ne sais pas comment les choses se sont passées mais j’ai très vite constaté que la laine utilisée était celle du pull vert de Bernard, tricoté à la main.

Bernard est revenu du camp avec la moitié de son pull. Heureusement c’était le fils de Charles Jeudi  (instructeur nature EDF mort en 1952) et nous avons ri ensemble. »


  • · Une plus grande maturité chez les filles


« Hugo écrit  « Elles s’occupent des plus fragiles et, dans le conseil de meute, font preuve de sagesse pour calmer les colères de certains. »

Garçons et filles ont des comportements semblables à ceux des adultes. (voir le compte rendu du camp de Bons-du-Mont-de Lans).


Comment les Louveteaux voient leur cheftaine.

Tupeenou écrit :

« À ma première visite d’une meute d’Auch, je dis à un Louveteau qui traînait un peu la jambe

- « Dépêche toi de rejoindre la jeune fille là-bas… »  Courroucé il répond :

- « C’est pas une jeune fille, c’est une cheftaine »

Bien plus tard, retardée par des obligations professionnelles, je n’ai pas le temps de me mettre en uniforme complet de responsable pour notre rendez vous… Stupéfaction générale, regards critiques. Je dus m’expliquer…

Que conclure ? Prestige de l’uniforme ?  Impression de rupture avec le groupe ? Une cheftaine ce n’est pas une dame comme les autres ?

Des parents demandent à leur fils venu pour la première fois et apparemment satisfait :

- « Alors, comment as-tu trouvé ta cheftaine ?

- Petite, répondit-il, mais alors… vraiment petite ! »

Cela suffisait. Que voulait-il signifier : petite par la taille ou par le comportement ?

 


 


La coéducation vécue à la branche Éclaireurs dans les années 60

Contribution de Claude et Michel Francès :

 

Des trajectoires qui convergent « pour le meilleur et pour le pire »

Claude, 72 ans

(c’est une fille, même si le prénom peut prêter à confusion).

En 1950, elle entre chez les « petites ailes » de la section unioniste de la Fédération Française des Éclaireuses à Saintes (17). Elle devient éclaireuse et en 1954 elle intègre un clan « libre » de la F.F.E. et participe à un camp de formation de responsables réservé aux filles. En 1961, à la suite de la disparition du groupe F.F.E. de Saintes, elle rejoint le groupe  E.D.F. (Éclaireurs de France) de la même ville, qui, bien qu’officiellement réservé aux seuls garçons, accepte déjà des filles. Elle découvre alors les attraits et le surprises de la coéducation puisqu’elle encadre, avec un responsable garçon, une unité « mixte » où, cependant, les  patrouilles sont séparées selon les « genres ».

En 1962, elle quitte le département pour aller à Orléans où elle va commencer une formation d’infirmière. Bien sûr, son attachement au scoutisme la conduit, tout naturellement, à poursuivre son parcours chez les E.D.F., très nombreux dans cette région. Elle a 19 ans et entre alors dans une équipe expérimentale chargée de développer le scoutisme laïque en milieu rural. Cette équipe de quatre responsables est dirigée par un assistant du commissaire départemental., spécialiste de la branche verte , un certain Michel Francès qui a 24 ans et un passé scout déjà affirmé. Ils vont créer, dans chaque canton du département, deux « patrouilles libres », une de filles et une de garçons. Celles-ci sont autonomes mais pratiquent des activités communes. De même, au sein de l’équipe dirigeante, on apprend à travailler, décider et agir ensemble.

Les rapprochements naturels se concrétisent, notamment entre l’ancienne responsable F.F.E., Claude, et le responsable E.D.F., Michel. En 1964 ;, ils décident de se marier et, simultanément, ils participent au mariage, la même année, des deux associations. Et à la naissance du nouveau et premier Mouvement scout laïque ouvert aux filles et aux garçons, les Éclaireuses & Éclaireurs de France ».

Michel, 77 ans.

Il découvre les louveteaux à Toulouse en 1947, puis les éclaireurs. N’est pas « routier ».

Devenu responsable branche éclaireurs, son parcours universitaire et professionnel le conduit au nomadisme… À Cahors d’abord, où il est « chef de troupe ». Celle-ci comprend trois patrouilles de garçons. Pas de filles dans le groupe. En 1955, à Garches, en région parisienne, il découvre la branche « Extension » du Mouvement et pratique le scoutisme avec des jeunes garçons en rééducation de séquelles de poliomyélite. Toujours pas de filles…

En 1960, il rejoint le Loiret, important fief E.D.F. (quatorze groupes). D’abord chef d’une troupe de garçons, il côtoie des filles puisque, dans le même groupe, il y a également une troupe d’éclaireuses. Cependant, à part quelques manifestations concernant l’ensemble des unités du groupe (par exemple, la fête de groupe) les unités ont des activités distinctes et campent séparément filles et garçons.

En 1962, Michel, chargé du développement pour le département, créée un équipe de responsables qui va sillonner le territoire, tels des V.R.P. de l’association, pour proposer dans chaque chef-lieu de canton une structure légère, permettant aux jeunes de la ville de découvrir les bienfaits du scoutisme. Ils sont quatre responsables, deux filles et deux garçons, issus de la branche « verte », âgés de 18 à 24 ans, qui vont mettre en place deux « patrouilles libres », une pour les filles et une pour les garçons. Mais, cette fois, les activités proposées sont communes à tous. Cependant l’autonomie de chaque patrouille est respectée : elles élisent leuyr chef de patrouille (C.P.) et conservent leur organisation spécifique. En été, l’équipe « foulard vert » (les jeunes de toutes les patrouilles libres portent tous le même foulard distinctif) organise un camp qui regroupe toutes les P.L. du département – environ une  vingtaine. Toute la vie au camp est commune aux deux sexes. Toutefois, pas de « mixage » dans les patrouilles, toilettes et couchage sont séparés.

Pour conclusion ce témoignage, il faut relater un événement anecdotique que la région Midi Pyrénées des E.E.D.F. reprendra comme symbole pour l’organisation en 20014 d’un grand rassemblement à l’occasion du cinquantième anniversaire de la création de l’association.

Comme cela vient d’être présenté, Claude et Michel ont pratiqué le scoutisme chacun de son côté, l’une dans une association réservée aux filles, la Fédération Française des Éclaireuses, l’autre chez les garçons, aux Éclaireurs de France. Au fil des années, ils ont, petit à petit, découvert les richesses de la coéducation entre filles et garçons et mis en pratique celle-ci. Certes, ils l’ont expérimentée pour les jeunes qui leur étaient confiés, mais aussi pour eux-mêmes, au sein de l’équipe départementale des patrouilles libres du Loiret, en découvrant les avantages d’une vie commune quotidienne naissante au-delà du scoutisme. Ainsi, tandis que les deux associations décident, en 1964, d’officialiser le rapprochement, par la naissance d’un nouveau Mouvement, officiellement ouvert aux filles et aux garçons, Claude et Michel décident, eux aussi, d’officialiser leur rapprochement en célébrant leur mariage la même année. C’est pourquoi, en 2014, on a fête, chez les E.E.D.F. de la région toulousaine, le cinquantième anniversaire de la naissance de l’association et celui du mariage de deux anciens responsables, vétérans de la F.F.E. et des E.D.F., devenus, eux aussi, des E.E.D.F.

 


 

 

 

Contribution de Jacques Piraud,

actuellement membre de l'Equipe de Groupe du "FRAM"

et de l'Équipe régionale d'Ile de France des E.E.D.F

 

 

En 1964, j'ai fondé un Clan avec cinq de mes élèves d'un Collège d'Enseignement Technique  (les C.E.T. étaient les ancêtres des Lycées professionnels). Que des garçons au départ, puis il y a eu des filles. Les activités étaient mixtes, mais pas question de coucher sous les mêmes tentes !  Nous donnions une information sexuelle, les flirts étaient déconseillés, voire réprimés ; l'idéal proposé était le couple homme femme marié...).  Il faut se rappeler qu'à cette époque, la vente aux mineurs de contraceptifs était interdite, l'interruption volontaire de grossesse un crime ! On parlait d'ailleurs d'avortement. Les relations sexuelles étaient dangereuses, la majorité était à 21 ans.

Mai 68 a un peu, mais un peu seulement, desserré cette pratique restrictive et moralisante de notre coéducation. Il a fallu attendre le grand chambardement qu'a connu notre Mouvement en 1972/1974 pour que le "FRAM", Groupe EEDF de Sartrouville, pratique une coéducation totalement libéralisée : couchage mixte, flirts possibles, conseils de pratiques contraceptives.  Exemple: en juillet 1973, le FRAM avait organisé à Prélenfrey, au pied du Vercors, un camp  « communautaire ». 300 personnes de tous âges, une très grande diversité d'activités proposées, y compris « ne rien faire est une activité ». Alors que la vente aux mineurs de contraceptifs était encore interdite par la Loi, la boutique du rassemblement vendait des contraceptifs, des militants du Planning familial de Grenoble y donnaient une information sur la contraception.

 

 













































Imprimer