2018 : l’adaptation au handicap : et demain ?

Mer13Fév201908:48

2018 : l’adaptation au handicap : et demain ?

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d’hier à aujourd’huiet maintenant… et demain ?

 

 

Résumé d’une intervention lors de la « journée de la mémoire du scoutisme laïque » le 24 novembre 2018

D’hier à aujourd'huiet maintenant… et demain ?

 

Jean-Yves Talois,

Membre du Comité Directeur des E.E.D.F.

 

Je reviendrai quelques instants sur la fin du propos de Yvon Bastide, propos qui questionne le lien à la famille, à l’école, au « monde éducatif » au sens large ; j'ai entendu parler pour la première fois des E.E.D.F. en 1974 au travers d’une annonce, à l’École Normale d’Instituteurs à l’époque, pour un stage « Enfance inadaptée » préparant à des séjours vacances pour « déficients intellectuels », donc organisé par les E.E.D.F.… à St Clément, sous la patronage d’un Inspecteur Général de l’Instruction Publique.

Le lien, la complémentarité  avec l’école, du scolaire à l’extra scolaire, est alors situé ; notre action est reconnue alors comme contributive à celle du service public d’éducation, au côté de la famille et du secteur médico-social, des « établissements spécialisés ».

 

Évolution du cadre, de la perception, évolution de la demande et des besoins :

En fait, jusqu’aux années 60, la législation ne permettait pas « d’admettre » dans les colonies de vacances les enfants présentant une anomalie ou une infirmité psychique :  « les colonies de vacances sont l’œuvre d’institutions qui, sous la responsabilité d’un personnel qualifié, accueillent des enfants sains. » (décret du 19/11/1963) ; « pour être admis dans une colonie de vacances tout enfant doit être pourvu d’un certificat du médecin scolaire attestant que son état n’est pas incompatible avec un séjour dans la collectivité considérée, en raison d’une affection exigeant des soins ou un régime alimentaire spéciaux, ou en raison d’anomalies, d’infirmités d’ordre ostéo-articulaire, nerveux, psychique ou sensoriel. » (décret du 20/11/1963). Cependant, dans les années 50, les E.D.F. avaient mis en place un camp à destination de garçons hospitalisés à St Alban en Lozère, sous l’égide du Dr André Haïm, psychiatre, membre de l’équipe nationale Extension : nous étions bien précurseurs « capables d’exception » !

Un arrêté de juillet 1966 autorise les établissements spécialisés à effectuer des transferts. Ce n’est qu’avec la loi d’orientation de 1975 que la ségrégation introduite par la notion « d’enfants sains » va disparaître.

Progressivement des circulaires du secteur médico-social vont insister sur l’évolution des pratiques… qui avaient souvent précédé les textes : « Comme leurs camarades valides, les enfants et adolescents handicapés ou inadaptés doivent pouvoir pratiquer des activités nouvelles, dans des cadres de vie privilégiés. » (circulaire du 18/12/1980). C’est dans ce contexte que s’est développé aux E.E.D.F. le secteur des « vacances adaptées ».

Évolution de l’image, évolution de textes autorisant les transferts d'établissements (installation temporaire de jeunes handicapés avec leur encadrement habituel hors institution habituelle), les vacances  hors institution de jeunes présentant un handicap.

Notre action a alors concerné très majoritairement des jeunes puis des adultes en situation de handicap mental, personnes pour lesquelles la demande est vite apparue la plus forte, les recherches de réponses indispensables.  Action également vers les jeunes sourds, déficients auditifs ; création de l’association « LEJS, Loisirs Éducatifs de Jeunes Sourds » et partenariat avec le groupe de l’INJS à Paris.

 


 

Aventure Vacances : évolution de l’accueil :

Le secteur médico-social s’est tourné alors vers nous, association très impliquée en ce domaine au travers du scoutisme d’extension, association reconnue complémentaire de l’Éducation Nationale, comptant bon nombre d’enseignants et de travailleurs sociaux dans ses rangs.

Des séjours pionniers évoqués ce matin en 1965-1966, à St Clément, au Moulin de Lavaure, à La Couturanderie (jeunes déficients intellectuels), au Fieux (jeunes sourds), nous sommes passés à un accueil de :

-   250 participants en vacances en 1969,

-   1000 en 1979,

-   2500 en 1981,

-   5000 en 2011,

-   4000 en 2016.

 

Ainsi 100.000 journées vacances ont été organisées en 1995,  mais plus que 70 000 en 2013, un peu moins de 50 000 actuellement.

 

 

 

 

 

 

D’un accueil de jeunes exclusivement, enfants, adolescents, nous sommes passés à un accueil également d’adultes :

Sous la pression de la demande, avec l’émergence des possibilités offertes en ce domaine, par la structuration de la prise en charge des adultes en situation de handicap, en particulier mental ou psychique,  par souci de fidélisation de « nos anciens » : 2/3 des  vacanciers accueillis reviennent l’année suivante… pourtant la « concurrence » ne manque pas.

D’un accueil de jeunes et d’adultes déficients intellectuels, donc avec handicap mental, un glissement s’opère vers des jeunes et adultes avec handicap psychique, troubles du comportement ; il est à noter que la loi de 2005 « loi pour l’égalité des chances, la participation, la citoyenneté des personnes handicapées » reconnaît la notion de handicap psychique à côté des notions de handicap moteur, sensoriel, mental, cognitif.

 

Actuellement notre accueil s’organise à partir de 3 sites, 3 services nationaux, à Caen-Colombelles, à Orléans, à Chalon-sur-Saône :

-   accueil de mineurs majoritairement à Caen

-   accueil d’adultes majoritairement à Orléans et Châlon.

Une forte demande, des besoins émergents, des actions s’inscrivant « bien avant l’heure » dans notre « utilité sociale » affirmée dans nos orientations nationales votées en 2016 ; mais être utile socialement, n’est-ce pas l’une des raisons d’être d’un mouvement de scoutisme laïque ?

Forte demande ? cependant, on le constate ci dessus, notre accueil en vacances a considérablement diminué sans que l’accueil au local, au sein d’unités « ordinaires » ou d’unités Défi  (constituées localement autour de personnes handicapées mentales, petits groupes homogènes au niveau de l’âge et de l’autonomie, menant un projet d’année) se soit développé.

Environnement externe :

Diminution importante de l’accueil, en particulier d’adultes, accueil organisé sur un plan associatif ou par des organismes locaux ou régionaux divers, tournés le plus généralement vers des adultes de bonne autonomie.

Les vacances d’adultes en situation de handicap mental, autonomes au quotidien, sans troubles psychiques importants, sont devenues « un marché concurrentiel » malgré le cadre et la lisibilité mis en place par les pouvoirs publics.

Le financement est un frein dans de nombreux cas.

Si nous avons été il y  a quelques temps  le premier organisateur de « vacances adaptées » en France, à l’intention de personnes handicapées mentales ou psychiques, ce n’est plus le cas en ce qui concerne les adultes ; sans doute l’est-ce encore pour les mineurs.

Au-delà de ces causes externes, il nous faut regarder les causes internes, sur lesquelles nous pourrions avoir plus prise ; nous y reviendrons sans doute.

 


Aventure vacances, le temps des possibles :

Nous avons été un lieu d’expérimentation pédagogique ; refusant les limites a priori, refusant de considérer la personne au travers de manques, incapacités, déficiences mais cherchant à mettre en exergue son potentiel, ses envies, refusant les « barrières dites infranchissables », nous avons été dans les premiers à faire camper des jeunes, issus de structures psychiatriques, dans des milieux ouverts, à  emmener en camp itinérant, à faire monter à cheval des jeunes ou adultes considérés déficients profonds, disait-on, à adapter pour eux des voyages-découvertes au delà des frontières.

Nous avons sans doute un peu perdu cette  volonté, cette compétence de « l’éclaireur ouvreur de chemins » : contexte interne, mais aussi freins d’un environnement sécuritaire et consumériste qui impacte l’ensemble de l’association… parmi d’autres, mais un peu plus encore un domaine touchant des personnes dites fragiles ou vulnérables.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Retrouver cette capacité à créer, innover, est indispensable.

Pour ce faire, formation, accompagnement, complémentarité « groupes locaux, secteur vacances » sont sans doute plus que jamais nécessaires.

La question de l’inclusion, que je vais juste effleurer, Jean-Jacques et/ ou Thierry en parleront mieux que moi, illustre bien cette difficulté : quelle réalité de notre accueil au local ?

Sentiment, mais ce n’est que cela, que nous sommes en régression ; si je me trompe, tant mieux !  Ainsi, en 1980 et environs, différentes initiatives dites alors d’accueil en intégration avait germé, tant vers des enfants que des adultes. Un simple exemple, un film intitulé « à toi de jouer », fruit d'une expérience partagée entre un groupe local et un service vacances, en camp,  avait posé les bases d'une démarche pédagogique – « à toi de jouer » n’a pas trouvé beaucoup de joueurs…

 

Temps des possibles, réponse à un besoin, complémentarité :

Besoin de l’enfant, de l’adulte, de la famille.

Oui, de l’enfant, qui a besoin de vivre autre chose, un temps, en dehors de son cadre habituel, qu’il soit familial ou institutionnel.

Oui, de l’adulte, considéré en tant que tel, avec des besoins d’adulte, sur le temps des vacances et des loisirs, comme sur les autres temps de sa vie.

Oui, aussi de la famille, confrontée à la difficulté majeure parfois d’accompagner un enfant, un frère, une sœur, dont le comportement désarme la famille qui, alors, aspire à un peu de répit, à un temps de « vacance » et qui exprime, lors d’un départ en séjour, une forme de reconnaissance, de soulagement, de pouvoir s’appuyer sur les Eclés pour pouvoir « souffler », exercer son droit au répit.

Oui, de l’équipe médico-sociale pour laquelle le regard autre, l’adaptation de l’enfant ou de l’adulte à un cadre nouveau, peut  être un apport substantiel.

 

 


 

 

Le CROBS (compte rendu d’observation) envoyé après le séjour s’avère alors un outil permettant de situer cette adaptation dans le cadre du séjour, de formuler des propositions (y compris pour des enfants de séjours ultérieurs dans un cadre d’inclusion) tout en veillant « au tiroir secret » de la personne. Cet outil, mis en place dès les premiers séjours, il y a une cinquantaine d’années, conserve toute sa pertinence et fait partie de nos engagements qualité.

Qualité, charte Qualité :

En 1992 élaboration de « l’aventure Vacances » alors premier né de la  nouvelle collection pédagogique de l’association, document de référence pédagogique qui sera suivi d’outils pratiques, déclinaison d’une charte qualité (1995).

Cette charte qualité précise alors  nos engagements avant, pendant, après un séjour, afin d’en faire un séjour adapté répondant aux besoins de la personne accueillie et s’inscrivant dans l’esprit, les valeurs de l’Association.

À partir de 1997, notre action s'inscrit aussi dans le cadre de la charte nationale « vacances et loisirs non spécialisés » puis de la charte du CNLTA (Conseil National des Loisirs et du Tourisme Adapté) dont nous sommes membres actifs, organisme  qui coordonne le champ des séjours et voyages d’adultes en situation de handicap, interlocuteur privilégié des pouvoirs publics en ce domaine.

 

 


 

Vacances adaptées et scoutisme adapté :

Le développement de notre accueil a rapidement posé la question, non résolue de manière régulière, de la « transcription » sur le terrain des vacances de la méthode scoute : vie en petits groupes, éducation par l’action, cadre symbolique, recours à l’imaginaire, vie dans la nature, dans son environnement, progression personnelle, engagement, relation éducative, sont des éléments dont la concrétisation, parfois, interroge dans un cadre de vacances, de loisirs courts, de manière générale ; encore plus, peut être avec des jeunes en situation de handicap mental ou psychique. Pourtant, la vie en petit groupe, privilégiée pour des jeunes ayant besoin de repères stables, l’imaginaire, incontournable pour certains, la progression personnelle, voir le Crobs ci-dessus, le passeport d’aventure de ses vacances, la vie dans un environnement à découvrir, exploiter, s’approprier, tellement importante et stabilisante pour certains, etc. ; pourtant… ; oui, la méthode scoute est adaptable à condition de s’interroger, parfois de l’interroger ! Ainsi, que signifie le petit groupe pour un enfant qui « vit dans son monde » qui n’accepte pas la proximité de « l’autre » ; en tout cas, la « méthode » nous aide à offrir un cadre, un environnement favorable pour des jeunes et adultes en situation de handicap, nous fournit une base  solide pour mettre en œuvre ces projets.

 

 


 

Derrière ces interrogations la question fondamentale est celle du recrutement, de l’accompagnement, de la formation, de l’encadrement, du responsable de séjour-directeur, au responsable d’animation-animateur ; une autre question est celle de l’implication ou non de responsables d’animation issus de structures locales au sein de ces séjours (la plupart des groupes étant en camp en juillet, la plupart des séjours vacances, en regard de la demande médico-sociale ayant lieu en août) ; une autre question est celle de la possibilité d’implication locale – et de l’information en ce sens – d’animateurs vacances au sein d’un groupe de proximité ; ces différentes questions peuvent se résumer en une seule : les Éclés, association inclusive ??

En terme de formation, l’accompagnement par le plan de formation AVLA /DVLA mis en place en 2010 (Animateur, Directeur Vacances et Loisirs Adaptés) indispensable, ne peut prétendre répondre à l’ensemble de ces problématiques.

 


 

Et maintenant ? Être association inclusive… c’est l’affaire de tous,

et les expérimentations réussies ont un effet d'impulsion : « Il  y a ceux qui savent faire parce qu’ils ont beaucoup essayé. »

Notre action envers des personnes en situation de handicap repose sur un cadre commun  de références :

-   le scoutisme, et la méthode, avec un souci d’adaptation ,

-   la charte qualité Éclés / vacances (sans doute à réviser)

-   le contexte de l’adhésion au CNLTA (séjours adultes)

-   l’agrément VAO (Vacances adaptées organisées pour adultes)

 

-   la loi de 2005 (loi pour l’égalité, la participation, la citoyenneté… des mots forts, dont nous devons être porteurs).

 

 

Une règle d'or : complémentarité des actions et des acteurs

Trois approches envisageables :

vacances adaptées pour ceux, celles pour lesquels nous n’avons pas de solution locale, de proximité, inclusive ou en unité Défi ; actuellement l’immense majorité des vacanciers accueillis ;

-   accueil au local, en inclusion (principalement pour des jeunes) ou unités Défi ;

-   formules d’accueil à inventer, ou réinventer : innover, expérimenter.

 

Une obligation : stratégie d’accompagnement, de formation.

 

Des questions ? Quelle que soit la formule d’accueil, en vacances ou au sein d’un groupe, en inclusion, unité Défi ou autre :

Nous sommes mouvement de jeunesse : ne doit-on pas prioriser l’accueil d’enfants et adolescents ?

Sans « exclure » les adultes, en particulier dans un souci de fidélisation, continuité ? et de réponses à un besoin crucial parfois ?

Citoyenneté et handicap dans l’association ?

Quelle limite à notre accueil ? Selon les problématiques, les pathologies ?

La proposition du scoutisme convient très bien à des jeunes qui ont des troubles du comportement, mais avec quel encadrement ? Accompagnement, formation ? Partenariat ?

Ouverture au local, en particulier, à d’autres types de handicap que mental ?

Le camp de groupe ou unité en juillet ?

Une durée minimum d’accueil ? Sur un plan pédagogique, oui, mais financièrement…

 

Au niveau « accueil en vacances » :

Partir est parfois une obligation pour certains(es) et non l’exercice d’un choix, et alors ?

Préparation au départ, au retour ? Parfois dans l’inconnu ?

Les aides financières au départ ?

Les besoins spécifiques de certaines personnes ? Un accompagnement spécifique ?

 

Quelques repères chronologiques :

-   1965 : premier séjour  pour mineurs,

-   1970 : ouverture aux adultes,

-   1989 : « séjours vacances et handicap mental : l’espace potentiel »; ouvrage I.N.J. (Institut National de la Jeunesse) et EEDF, de Jean-Jacques Jousselin,

-   1990 : Cap Handi : références pédagogiques « pour l’accueil et l’intégration de jeunes et d’adultes handicapés aux EEDF »;

-   1992 : l’Aventure Vacances,

-   1995 : Charte Qualité,

-   2006 : agrément VAO (Vacances adaptées organisées),

-   2010 : AVLA, DVLA…

 

Quelques bonnes lectures :

-   « Jeunesse en danger » Editions Fayard (Henri Joubrel)    

-   « Séjours vacances et handicap mental, l’espace potentiel » Institut National de la Jeunesse, E.E.D.F. (Jean-Jacques Jousselin)

-   « Huit décennies d’éducation populaire au service des jeunes sourds », A.H.S.L., Accent du Sud, (Catherine et Yvon Bastide)

-   « La société inclusive, parlons-en ! Il n’y a pas de vie minuscule » (Charles Gardou, anthropologue, professeur d’Université)

 

 

« Ce qui accroît la souffrance et crée le manque, c’est la comparaison ;

Rencontrer l’autre, c’est se reposer un peu de soi. »

Alexandre Jollien (écrivain et philosophe)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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