1965 : la coéducation à Boulogne-Billancourt

Mer25Mar201509:07

1965 : la coéducation à Boulogne-Billancourt

 … avec la création d’une troupe de filles issues de la F.F.E. N.

 

Notre ami Cédric Weben, ancien du groupe et membre de l'équipe régionale île de France, a entrepris la rédaction des « mémoires » du groupe, que chacun pourra consulter à l’adresse : http://appareillage.net. Un premier article, qui décrit la création de la troupe, est complété par une contribution d’un « ancien » qui, en 19714, se pose des questions sur la coéducation et ses modalités.

Merci à Cédric de cet apport, qui aide bien à comprendre comment a été vécue, à la base c’est-à-dire dans un groupe, la rencontre entre les membres des E.D.F. et de la F.F.E..

 


 

 

 

1965 : Naissance de la troupe de l’Astrolabe

L’arrivée des filles au groupe date de 1949. À cette époque, le scoutisme en général n’est pas mixte.

Il faut dire qu’il a fallu attendre 1945 pour que les femmes aient le droit de vote en France, et les années 1970 pour la généralisation de la scolarité mixte.

Avant guerre, les Éclaireurs de France (qui n’étaient pas encore les EEDF), ont accepté les filles comme responsables louveteaux, puis comme Routier(e). À la Libération, les Éclaireurs de France ont tenté un rapprochement avec la Fédération Française des Éclaireuses (F.F.E.), et ont accepté l’arrivée des filles comme éclaireuses. C’est dans ce contexte, et donc assez tôt, que la Compagnie du Hameau a rejoint notre groupe pour créer une première troupe. Il s’agissait du groupe de la F.F.E. du lycée Jean de la Fontaine (Paris XVIe) ; les groupes laïques étaient souvent rattachés à des lycées à l’époque.

Sur les effectifs des premières années, elles sont, bien entendu, moins nombreuses que les garçons. En 1950, elles sont 12 à partir pour la Grèce quand 22 éclaireurs partent au Maroc.
En 1960, elles sont déjà 23, soit 3 patrouilles (autant qu’aujourd’hui). 
En 1965, elles ne sont plus que 7 à partir au camp – quand les éclaireurs sont 25.
 En 1967, elles sont à nouveau 23. Dans les années 1963-1967, les activités à l’année sont encore « féminines » : une année de la poterie, une autre du tennis à Puteaux ou des ateliers – émaux sur cuivre, marionnettes, inclusions sous plastique.

En 1964 a lieu la fusion effective des Éclaireurs de France, de la partie laïque de la Fédération Française des Éclaireuses et des Éclaireurs Français (peu nombreux) pour donner naissance à une nouvelle association : les EEDF (Éclaireuses & Éclaireurs de France). On ne retrouve pas trace de changements particuliers au sein de notre groupe – sinon un changement de loi, de promesse et d’uniforme (la chemise devient grise).

La troupe féminine a du avoir plusieurs noms, mais en 1965, elle s’appelle troupe Lapérouse II, ce qui n’était pas très romantique. Ce sont les filles qui ont choisi un nouveau nom pour leur troupe fin 1965 : « l’Astrolabe » qui est, à la fois,  un instrument qui permet de prendre la mesure des astres afin de calculer l’heure, mais surtout le nom d’un des vaisseaux de Jean-François de Lapérouse.

C’est début 1967 qu’est choisi le chant de la Troupe de l’Astrolabe : il s’agit de « À nous la liberté » tiré du film éponyme de René Clair en 1931. Il s’agit d’un film culte qui devint une sorte de slogan pour la jeunesse lettrée au cours des années 1930.

Voici les paroles :

Refrain :

Partout, si l’on en croit l’histoire,

Partout, on peut rire et chanter,

Partout, on peut aimer et boire.

À nous, à nous la liberté !

1er couplet :

La liberté c’est toute l’existence

Mais les humains ont créé les prisons

Les règlements, les lois, les convenances

Et les travaux, les bureaux, les maisons

Ai-je raison ? Alors, disons :

Mon vieux copain, la vie est belle

Quand on connaît la liberté

N’attendons plus, partons vers elle

L’air pur est bon pour la santé.


Point de vue d’un ancien en 1971

Cédric Weben, Groupe Lapérouse, rédaction mars 2015

Adresseoriginale : http://appareillage.net/ancien-1971/

Le vendredi 26 novembre 1971, une conférence-débat est organisée pour les parents avec la participation très active d’Yvon Bastide – Commissaire Régional EEDF. Les thèmes sont les suivants :

– raison d'être et fonctionnement des EEDF,

– rôle des adultes dans un Mouvement de jeunes.

 

À la suite de cette réunion, chaque parent a été invité à donner son point de vue par écrit. Un Appareillage spécial « de diffusion restreinte » et « consacré à la réunion expérimentale d’information-parents » est réalisé en reprenant l’ensemble de ces lettres.

 

 

La lettre ci-dessous a été réalisée par un ancien anonyme et n’est pas du tout représentative des avis des autres parents. Elle illustre en revanche les questions que se posaient certains jeunes, et les difficultés que l’association et le groupe Lapérouse en particulier ont pu rencontrer dans ces années-là dans l’avancée de certains de leurs valeurs que sont la coéducation et la démocratie.

« Étant un ancien qui a quitté le groupe voici bientôt deux ans, j’adresse à Appareillage un article sur certaines réflexions que m’inspire avec un léger recul mon passage à Lapérouse.

Pour me présenter, mon nom ne disant certainement rien à personne, je dirai simplement que je suis entré au groupe à l’âge de neuf ans et que je l’ai quitté à dix-sept ans après avoir fait trois ans de louveteaux, quatre ans de troupe, et un an de clan. Sur mon passage aux louveteaux je ne m’étendrai pas, mes souvenirs sur cette période n’étant plus très précis. Je sais cependant qu’ils m’ont laissé une très bonne impression et qu’à mon avis ils répondent exactement aux besoins des moins de douze ans de s’évader de la ville, de jouer avec des jeunes de leur âge, de profiter des bois. Je crois qu’il n’en faut rien changer.

J’en viens maintenant à parler des éclaireurs et éclaireuses où je fis mon entrée à l’âge de douze ans, au moment où commençait à prendre forme une véritable troupe fille. C’est à ce moment, qu’à mon sens, commencent les difficultés. La troupe accueillait alors des garçons et des filles de douze à seize ans, soit des jeunes ayant quatre ans de différence d’âge. Et si, aux louveteaux, la même différence n’est pas gênante, il est certain qu’à l’âge de la puberté, elle pose certains problèmes, car si ceux de douze ans n’ont pas commencé cette puberté, ceux de seize ans ont souvent terminé. Ceux-là même qui auront aimé les jeux de piste à douze ans, les trouveront puérils et dégradants à seize ans ; de plus, les plus jeunes n’aimeront pas jouer au ballon avec ces grandes “ brutes ” de seize ans et ils resteront timidement dans leur coin.

Mais il existe un autre problème pour ces adolescents qui sortent de la puberté : celui que représente la troupe du “ beau sexe ” : quoi de plus attirant, en effet, pour ces jeunes gens que ces jeunes filles qui occupent leurs loisirs de la même manière qu’eux, qui sont souvent mignonnes et dont certaines ne recherchent souvent que la compagnie d’un garçon de leur âge (ce qui est normal) ?

Alors il y en a un, plus téméraire que les autres, qui commence à flirter avec l’une d’entre elles, et les autres pour ne pas avoir l’air ridicules ou pour ne pas être en reste l’imitent. Il est certain que ces jeunes à partir de ce moment rechigneront au travail pour pouvoir se retrouver entre eux.

Il y aurait une solution à ce problème : séparer les garçons et les filles. Je n’y crois pas, car j’estime que ce doit être un des buts du scoutisme que de faire cohabiter des garçons et des filles dans une atmosphère de franche et saine camaraderie et, s’il y arrivait, ce serait tout à son honneur. Je sais que la tâche est ardue et comme je l’ai montré, il suffit d’un jeune pour tout faire écrouler.

Je crois donc raisonnable de faire comme chez les Scouts de France des troupes allant de douze à quatorze ans. Il ne faudrait pas que j’omette un autre problème qui a son importance : celui de l’encadrement. Il est certain que de plus en plus on est obligé de recourir à un encadrement jeune étant donné que les plus âgés ne peuvent sacrifier des études souvent très prenantes aux Éclaireurs.

Alors se pose le problème de l’obéissance, car il faut bien se rendre compte qu’il est très difficile pour un chef de patrouille de respecter des ordres émanant de quelqu’un qui n’est son aîné que d’un an, et qui, de plus, est un ancien chef de patrouille avec lequel il avait l’habitude peu de temps auparavant de “ discuter ” les ordres des précédents chefs.

Il est donc souhaitable, sur tous les plans, d’arrêter la troupe à l’âge de quatorze ans. Mais alors, que faire une fois cet âge atteint ? Abandonner le scoutisme ? Certes non. J’en arrive donc à parler du clan. Je n’ai fait l’expérience de ce que l’on appelle la branche aînée du groupe ou clan que pendant un an. Néanmoins je crois pouvoir dire que cette expérience fut profitable. Le petit groupe que nous formions avait émis le désir de ne pas avoir de responsable. Notre désir fut satisfait. En fait, nous faisions une grosse erreur.

Il faut, en effet, un responsable pour un clan, accepté par tous certes, mais un responsable. En effet, dans toutes les occasions, il faut quelqu’un pour décider et proposer car si chacun émet son opinion et que personne ne tranche, on n’aboutit à rien ou on ne tombe pas d’accord. Soit on ne fait rien, soit on touche un peu à tout.

Mais pour ce clan il existe un autre problème. Il faut bien voir que ces jeunes, de quatorze ans et plus, ne vivent plus exclusivement pour les Éclaireurs. Ils ont souvent d’autres distractions et, par conséquent, ils ne peuvent plus consacrer deux jeudis et deux dimanches par mois au scoutisme. Je me rappelle de réunions le jeudi où nous n’étions que deux pour aménager la baraque. Les autres arrivaient tranquillement vers six heures, prétextant toutes sortes d’activités qui les avaient occupés toute l’après-midi. Et ceux-là, à qui l’on aurait pu faire grief de ne plus apprécier les activités du clan, je les revois aujourd’hui et tous continuent à faire des week-ends dès qu’ils en ont la possibilité.

Pour conclure, que penser de tout cela ?

Il existe des problèmes et je ne prétends pas les résoudre. Si les Éclaireurs doivent être réformés, ils ne doivent pas disparaitre pour autant, car ils correspondent au besoin d’une certaine jeunesse. À mon avis, l’idéal serait donc une meute de louveteaux allant de huit à onze ans, une troupe allant de onze à quatorze ans, et un clan.

Ce clan serait une occasion pour les anciens de la troupe de se rencontrer une à deux fois par mois, ou peut-être plus s’ils en ont la possibilité. Ces garçons et ces filles pourraient se fixer un but ou une activité (sport, photo, théâtre…). Nous n’avons pas réussi à le faire, mais je ne désespère pas de voir d’autres y arriver. »

L’article n’est pas signé. Plus bas figure une note manuscrite :

 

Nota : Cette lettre n’a pas été publiée dans Appareillage, journal du groupe diffusé à toutes les familles, mais elle a été communiquée à tous les responsables et délégués et discutée en conseil de groupe.

 

 

 

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