1913 : Les débuts en Languedoc-Roussillon

Mer12Oct201108:58

1913 : Les débuts en Languedoc-Roussillon

À partir de 1913, « L’Éclaireur de France » permet d’identifier les sections locales et leur fonctionnement.

 

Les informations ci-après ont été recueillies en 2000 et 2001 par Nelly Pagès, aidée de quelques anciens, pour la préparation, sous la direction de M. G. Cholvy, professeur à l’Université Paul Valéry de Montpellier, de son mémoire d’histoire contemporaine qui a obtenu la mention Bien : "Contribution aux recherches sur le scoutisme et sa pédagogie : les Éclaireurs de France dans la province du Languedoc-Roussillon (1913-1961)".  Excellent exemple de coopération entre générations !

Ce document complète les informations apportées par les journaux locaux car il donne une vue « géographique » de l’implantation du scoutisme au cours des premières années, dans la région Languedoc-Roussillon qui couvre  départements assez disparates (Pyrénées-Orientales, Aude, Hérault, Gard, Lozère) allant de la Méditerranée aux confins du Massif Central.

Sans qu’on puisse affirmer que le scoutisme s’est développé comme « une trainée de poudre », il semble évident que, ayant intéressé un certain nombre de personnes de toutes origines, il s’est implanté relativement rapidement et suivant un mode relativement répétitif d’une section à l’autre, ce qui n’était pas évident.

Contrairement à ce qui est quelquefois affirmé, il ne semble pas que ces initiatives soient toujours le fait des militaires locaux, ce qui aurait conduit à la création de sections dans les villes de garnison, en liaison avec leur implantation : ce n’est pas le cas. Mais les militaires sont en général très présents et jouent un rôle important d’instructeurs, dans une période qui prépare une « revanche » - voir dans un article précédent le pèlerinage des éclaireurs de Meurthe et Moselle au « poteau frontière » de l’Alsace Lorraine perdue en 1870. Nelly nous dit « De nombreux Français languissent la revanche contre l’Allemagne ». En fait, dans la même période commence à apparaître un réel intérêt pour une évolution de l’éducation vers des activités non scolaires, comme le sport, la gymnastique, le naturisme ou le jeu. Ce qui nous permet d’émettre une hypothèse : l’intérêt pour le scoutisme naît de la rencontre de deux besoins, celui d’une éducation élargie et celui d’une formation patriotique. Cette rencontre ne semble pas provoquer de conflit – sauf, peut-être, les divergences de vues entre Nicolas Benoit et Pierre de Coubertin – compte tenu du contexte politique des premières années. Notons qu’une Assemblée Générale, au début des années 20, évacuera la composante « militaire » au bénéfice de l’éducation, dans un « retour aux sources de B.P. » et une volonté délibérée de donner un contenu à une formation commune.

Ces remarques ne concernent pas que la région Languedoc-Roussillon mais apparaissent dans l’analyse qu’apporte le document. À l’issue de recherches menées à la fois dans les archives municipales et départementales et dans la collection de « L’Éclaireur de France », on peut identifier les créations de groupes.


« À Montpellier, le 15 mai 1913, M. Henri Bel, bibliothécaire en chef de l’Université, fonde le groupe « avec l’aide de quatre ou cinq jeunes élèves du lycée qui ont fait une active et précieuse propagande auprès de leurs camarades. En novembre, un nouveau groupe dont l’organisateur s’appelle M. Verp est en formation dans l’Hérault, à Béziers.  En 1914, M. Barbe est président de cette section. Il envoie au sous-préfet de la ville le 13 mars 1914 une déclaration et deux exemplaires des statuts de l’association. (…) dans l’Aude, deux groupes sont en formation en 1913. L’Éclaireur de France de novembre indique les noms et la profession de leurs organisateurs. M. Justin Freu, professeur d’éducation physique à Narbonne, se consacre à la mise en place d’une section E.D.F. dans sa ville. À Carcassonne, cette responsabilité revient à M. Charles Lordat, négociant. Les unités E.D.F. de Nîmes, Alès, Cette (devenue depuis Sète) et Castelnaudary sont toutes formées avant la guerre mais la date de leur création et le nom de leurs fondateurs sont inconnus ».

On peut constater, à la lecture de cette énumération, que les créateurs ne sont pas des militaires. Ceux-ci vont apparaître dans la constitution des comités locaux, avec un rôle d’instructeurs.

En effet, le groupe, au départ limité à une troupe d’éclaireurs, a besoin d’une structure d’accompagnement dénommée « comité ». La composition de cette structure est précisée dans le bulletin de l’association ; elle est très clairement définie mais il n’est pas toujours facile d’en garnir toutes les fonctions. « Une adéquation existe fréquemment entre le travail d’un responsable dans sa vie active et sa fonction au sein du comité ».  En fait, c’est surtout le cas pour les membres en charge des finances !

À Montpellier, le président est Monsieur Bel, bibliothécaire ; le vice-président est M. Rey, ingénieur ; le secrétaire est M. Badie, officier d’active ; le trésorier est M. Costesèque, délégué du Touring-Club. Vient s‘y joindre M. Girbal, chef de bureau à la Mairie, lieutenant de réserve, qui sera le premier instructeur de la troupe.

À Carcassonne, le comité est rapidement constitué dès décembre 1913 : le créateur, M. Lordat, en a laissé la présidence au Comandant Dupech et en assure le secrétariat ; un comptable, M. Marty, s’occupe des finances. La troupe dispose de deux instructeurs. À Narbonne, le comité est plus difficile à installer, apparemment autour de « civils » : le trésorier est « commerçant » et le secrétaire « journaliste ». Un instructeur s’occupe de la troupe.


 

En ce qui concerne les activités, les objectifs en sont précisés par la section de Béziers : développer « la vigueur et l’adresse physique, l’initiation, l’esprit de ressources, le courage et le patriotisme, les sentiments de solidarité, la responsabilité morale et l’honneur » chez les éclaireurs. Vaste programme, qui suppose un minimum de formation. Le scoutisme reste à découvrir, et, souvent, à définir. Les éclaireurs vont prendre « le temps de discuter et de réfléchir avec leurs instructeurs » : « La section de Carcassonne a rendez-vous tous les mercredis pour une « causerie-théorie » pendant laquelle les jeunes et leur chef commentent leur dernière rencontre. Ils se réservent un moment identique lorsqu’ils sont en sortie. Le jeudi 21 mai 1914, les garçons se rassemblent à 4 heures et demie du matin pour entamer leur marche, qui doit les mener au château d’Alzau ; Après le repas, des jeux, entrecoupés de théories-causeries faites par les instructeurs, sont organisés jusqu’à la fin de la journée.

Ces activités sont présentées dans la revue E.D.F. : l’Éclaireur de France de janvier 1914 présente celles de la section d’Alès qui dispose d’une maison en bois construire par les éclaireurs. Cette section, qui s’intéresse aux moyens de communication, a installé un téléphone de campagne et un poste récepteur de T.S.F.. Les scouts ont quelquefois les honneurs de la presse locale, comme le montre un article paru le 27 octobre 1913 dans « Le Petit Méridional » : la veille, les éclaireurs « ont encore une fois fait preuve de bravoure en éteignant un incendie qui aurait pu occasionner les plus grands désastres ».

Pour accompagner leurs activités, les sections ont besoin de locaux, souvent attribués par les municipalités grâce à l’influence des responsables du comité : c’est le cas à Montpellier ou à Carcassonne. Dans d’autres villes, la section fait des demandes de subventions « au même titre que les autres sociétés sportives » pour l’achat de matériel ou la location d’une salle.

En ce qui concerne l’organisation, on trouve une articulation en « partis » où les éclaireurs sont répartis suivant leur âge : des photos de la section d’Alès montrent deux adultes dirigeant le parti vert qui réunit les garçons les plus jeunes, ceux qui ont entre dix et onze ans. Il est également question de partis dans l’article cité plus haut, au sujet de l’incendie : « les partis jeune et vert sont partis au pas gymnastique pour assurer l’ordre et maintenir la foule (…) ; pendant que le parti violet pompait à perdre haleine, le parti rouge assurait l’alimentation de la pompe en faisant la chaîne ». le système des patrouilles est évoqué et, dès 1917, "les 59 éclaireurs constatent les bons résultats que donne son application" mais, "pendant les sorties, les éclaireurs sont regroupés le plus souvent en partis ou en section complète et aucune réunion de patrouille n'apparaît dans leur programme"."

 

Une sortie de la troupe de Montpellier : à bord de deux vapeurs, elle rejoint à Cette  le voilier-école "Gabès" où les éclaireurs exercent leur talent de grimpeurs dans les haubans :

 

 

Les trois "partis" de la section d'Alès (alors dénommée Alais) :

 

 

Le parti vert est composé de deux patrouilles de garçons de 10 et 11 ans ; le parti bleu, de deux patrouilles d'éclaireurs de 11 et 12 ans ; le parti rouge, de deux patrouilles d'éclaireurs de 13 et 14 ans.


 

Dans la période de création de ces sections, dans l’année qui précède celle de l’entrée en guerre, le patriotisme est évidemment présent, pas uniquement par l’influence des militaires dans les comités locaux. Il va se traduire par la remise de drapeaux à plusieurs sections de la région.

La première sera celle de Montpellier. Les éclaireurs « ont décidé de le payer eux-mêmes et le reçoivent le 6 juillet 1913. L’Éclaireur de France de janvier 1914 relate la cérémonie qui a lieu dans la cour d’honneur de l’Université en présence d’une nombreuse et sympathique assistance. Le Commandant Odier, représentant le général commandant du 16ème Corps d’armée, remet le drapeau à la section et reçoit les premières prestations de serment des garçons. »

À Carcassonne, les éclaireurs offrent à leur instructeur, le 31 décembre 1913, un bronze représentant « un officier français qui serre sur sa poitrine un drapeau que les ennemis veulent lui  arracher. Sur socle du bronze, il est écrit le mot « jamais » ».À cette occasion, le président annonce que la section aura son drapeau avant la fin de l’hiver. La remise la plus médiatisée sera celle de Narbonne, le 5 avril 1914, en présence des éclaireurs d’autres sections et de nombreuses personnalités civiles et militaires. « Pendant cette cérémonie, la prestation de serment ne se fait pas comme à son habitude. Pour gagner du temps, chaque guide prête serment au nom de ses camarades puis se retourne vers eux et leur demande s’ils jurent de le respecter. Les éclaireurs « étendant leur main sur un ton énergique et convaincu » répondent d’une même voix « nous le jurons ». (…). Après chaque prestation de serment, une musique entame le célèbre « Gloire immortelle de nos aïeux ». La fête se termine par un défilé qui est longuement applaudi par la foule. »

L’auteur du mémoire fait remarquer : « Cette mise en scène relève d’une nouveauté : le serment, destiné à être prononcé à l’origine devant ses camarades, devient rapidement l’instrument d’une véritable politique d’édification de la société tout entière et le cérémonie une circonstance publique, véritable spectacle où les jeunes donnent aux anciens l’exemple de la mobilisation patriotique. »

Une remarque à noter, trouvée par Nelly dans un ouvrage de P. Laneyrie sur les origines des Scouts de France : "L'enthousiasme de la population, heureuse d'avoir assisté à un défilé, ne fait pas l'unanimité. Les éclaireurs suscitent aussi, de la part d'une large fraction de l'opinion française, des objections qui portent essentiellement sur son aspect militaire".

La section de Narbonne reçoit son drapeau des mains du Général Riou :


« En France, contrairement à la Grande-Bretagne, la mobilisation des scouts a été très partielle. Dans l’armée, de nombreux éclaireurs-soldats sont décorés et certains se sont engagés volontairement, très jeunes. En dehors des champs de bataille, cet élan patriotique est beaucoup plus réservé. Les groupes organisés (…) n’ont pas fourni la base d’un mouvement général, contrairement au mythe solidement établi du boy-scout héroïque (référence : « La guerre des enfants 1914-1918 » de S. Audoin-Rouzeau). Seuls quelques groupes se rendent utiles auprès des autorités locales en mettant à leur disposition une main d’œuvre juvénile. Les garçons sont employés à diverses tâches pour remplacer les paysans absents et pour suppléer les agents des services hospitaliers, administratifs et de la sécurité. »

« Dans la région, tous les groupes sont évidemment touchés par la mobilisation de leurs cadres. Le comité des sections se réduit à quelques personnes, et souvent il n’y a plus d’instructeurs pour assurer les activités. Les situations extrêmes sont vécues par le groupe de Carcassonne et celui de Béziers qui se gèrent sans leurs principaux administrateurs. L’E.D.F. de septembre-octobre 1916 donne la liste des responsables mobilisés : le président, le vice-président, le secrétaire, le trésorier, le chef de troupe et les instructeurs ; deux chefs de patrouille ont choisi de s’engager volontairement et l’un d’eux est « tombé glorieusement au mois de septembre 1916 ». Il en va à peu près de même pour la section de Béziers. L’E.D.F. donne des nouvelles des mobilisés et ouvre une rubrique « Tableau d’Honneur » où figure au moins un membre des sections de Carcassonne, Alès, Béziers et Montpellier.

« La section de Nîmes interrompt son programme de sorties et est supprimée pendant la guerre. Les autres unités subsistent plus ou moins, et certaines vont faire participer leurs garçons à la défense du pays. (…) Les éclaireurs de Carcassonne occupent plusieurs postes de nature très variée. Ils travaillent à la Préfecture, à la Trésorerie Générale, à la Mairie, au Bureau de Bienfaisance, au Commissariat central, à la Recette Municipale, à l’Union des femmes de France, à l’Hôpital, dépôt des convalescents… Ceux de Castelnaudary rendent des services aux ambulances et à diverses formations intéressant la défense nationale ».

Malgré les difficultés de la période, deux nouvelles sections sont créées dans l’Hérault, à Cournonterral et Agde. Ils ‘agit d’un petit village et d’une petite ville. En 1917, la liste des sections ajoute également celles de Roujan et Lodève, toujours dans l’Hérault. La section de Lodève est présidée par un Commissaire principal à la Préfecture et cellee de Roujan par un directeur d’école. En Lozère, une section est déclarée en formation à Mende dans un numéro de l’E.D.F. en 1917.

Au total, dans la région comme dans l’ensemble du pays, le Mouvement se trouve très affaibli à la fin de la première guerre mondiale et aura du mal à retrouver un dynamisme : en 1920, seule la section de Montpellier apparaît encore comme solide.

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