1912 : Les débuts du scoutisme féminin

Sam20Nov201007:11

1912 : Les débuts du scoutisme féminin

Qui a commencé ? suite : chez les filles, c’est un peu plus simple…

 

Tout aussi passionnante que chez les garçons, l’histoire du scoutisme féminin en France suit, de très près, celle du scoutisme masculin, et met aussi en évidence quelques personnalités remarquables qui méritent d’être évoquées.

Il est clair que si, pour les garçons, l’arrivée du scoutisme et de ses principes, dans les tout débuts du XXème siècle, était une nouveauté, on peut considérer que, pour les filles, c’était une véritable… révolution.

 

Les débuts : le foyer de la rue de Naples en 1912 :

Les débuts ? Ils se situent rue de Naples, à Paris, dans un foyer de l’U.C.J.F., Union Chrétienne de Jeunes Filles,  donc d’obédience protestante, mais avec, dès le début, une volonté d’ouverture à toutes. Le numéro de juin 1912 du « Muguet », organe mensuel du foyer, évoque la création d’un « corps de Girls-Guides » et annonce la couleur, sous l’impulsion d’Elisabeth Fuchs :

« Le mois de mai est marqué d’une grande nouvelle, notre Union a fait un pas décisif dans sa marche en avant : le corps des Girl-Guides est organisé.

Nous avons déjà parlé le mois dernier de notre projet pour les cadettes, et nous avons donné quelques explications sur le mouvement des Girl Guides anglaises. Notre but n’est certes pas d’imiter en tous points l’institution anglaise : autres pays, autres mœurs, et bien des détails qui s’accordent parfaitement avec le caractère, les occupations et les coutumes britanniques, ne conviendraient pas du tout aux jeunes françaises et, encore moins, aux jeunes parisiennes.

Toutefois, si des différences d’ordre secondaire sont nécessaires, les points fondamentaux restent les mêmes pour tous les peuples. Partout on sent la nécessité de développer, de fortifier la jeunesse, afin de préparer une génération plus vigoureuse tant au point de vue physique qu’au point de vue moral.

L’idéal du mouvement des Girl-Guides est le perfectionnement général de la jeune fille. Le perfectionnement physique fera d’elle une femme capable de supporter toutes les fatigues avec courage et joie et une mère heureuse de la bonne santé qu’elle aura transmise à ses enfants. Le perfectionnement moral et intellectuel fera d’elle la compagne tendre et dévouée de son mari, l’éducatrice douce et éclairée de ses enfants. (...)

Le corps a été définitivement organisé le dimanche 19 mai, jour où eut lieu le premier examen d’aspirantes. (…). Une quinzaine de jeunes filles furent reçues aspirantes guides. (…). Le 2 juin marque une date importante dans l’histoire des girl-guides : les Guides font leur première sortie ».

En 1913 : les « Éclaireuses » :

 

« Le samedi 17 mai a eu lieu la soirée au bénéfice de la Caisse des Éclaireuses. Mademoiselle Fuchs a prononcé l’allocution suivante :

« (…) Tout le monde connaît, pour les avoir vu passer à Paris et à la campagne, les Boys-Scouts ou Éclaireurs avec leur gentil petit costume kaki, leur air décidé et joyeux : que font-ils, et que sont-ils ? (…) En réalité, ce sont de braves garçons désireux de fortifier leurs qualités naturelles d’endurance, de développer leur âme, leur esprit et leur corps dans le but de rendre le plus de services possibles à leur prochain et à leur patrie.

Les Éclaireurs furent fondés par le Général Baden-Powell qui pensait avec raison que la jeunesse perdait, dans les facilités de la vie civilisée des temps actuels, les qualités d’endurance nécessaires pour devenir un être utile à ceux qui vous entourent. Ces qualités, après tout, sont aussi nécessaires aux filles qu’aux garçons et c’est pourquoi la sœur du général Baden-Powell, Miss Baden-Powell, fonda en Angleterre, il y a quelques années, les « Girl-Guides » qui eurent tant de succès qu’elles sont actuellement plus de 60000.

Mais d’ores et déjà, une préoccupation apparaît dans le même texte : « Qu’on examine un instant le terme anglais Girl Guide (…) Nous (en) connaissons la signification et nous aimons la noblesse de l’idée qu’il résume. Cependant nous voudrions trouver un nom français pour désigner le corps qui vient d’être créé ».

Et la suite en est décrite par le numéro de juin 1913 : « Je veux tout de suite réfuter une accusation qu’on lance assez facilement contre les Éclaireuses quand on ne les connaît pas : on craint que les Éclaireuses ne deviennent des sortes de garçons manqués et l’on se demande si l’organisation n’est pas trop militaire pour des filles. Eh bien, qu’on se rassure, car si le programme des Éclaireuses est le même que celui des Éclaireurs pour tout ce qui touche au côté moral, à l’honneur et au respect de soi, il reste un programme essentiellement féminin pour tout le reste. Les Éclaireuses apprennent tout ce qu’une femme doit connaître pour se préparer à être une bonne mère et une bonne citoyenne ».

Il ne faut pas s’arrêter aux définitions sous-jacentes du rôle de la femme, rappelons-nous que ce texte a été écrit au tout début du XXème siècle. Et retenons quand même, au passage, l’allusion au rôle de citoyennes, plus de 40 ans avant que la femme ait accès au droit de vote…

 

Entre 1913 et 1920 :

À partir de la première expérience du foyer de Naples en 1912, un certain nombre d’unités d’éclaireuses vont se créer, souvent en liaison avec les U.C.J.F. (Unions Chrétiennes de jeunes Filles). Elles ressentiront rapidement le besoin de rapprocher leurs expériences. En 1919, les statuts d’une association loi 1901, dénommée Mouvement  des Éclaireuses Unionistes, sont rédigés. Les dirigeantes doivent être chrétiennes, mais la définition initiale prévoit la possibilité de créer des sections qui « suppriment de l’engagement le nom de Dieu » et dont les cheftaines ne sont pas chrétiennes. Mais ce projet ne s’est jamais réellement concrétisé. La difficulté est évidemment de juxtaposer une origine et des références religieuses avec une volonté réelle d’ouverture à toutes. Quelques documents issus des archives de cette époque sont présentés un peu plus loin.

Le foyer de Naples semble d’ailleurs avoir tranché en affirmant un caractère « non-confessionnel ». Il va être l’une des deux influences déterminantes pour la création de la Fédération Française des Éclaireuses et de sa section « neutre ».

Remarque : sur ce document de 1916, le texte de la promesse ne comporte pas de référence religieuse

1919 : Marguerite Walther et la Fédération Française des Éclaireuses

S’il est une personnalité qui a marqué la création et l’organisation du scoutisme féminin dans notre pays, c’est bien celle de Marguerite Walther, à partir der son expérience à la Maison pour Tous de la rue Mouffetard où elle a créé une unité d’éclaireuses. Une plaquette éditée à sa mémoire en décrit le parcours, les engagements, les exigences et les actions. Elle commence par un article d’André Lefèvre qui met bien en évidence, en même temps que cette personnalité, sa participation à la création des Éclaireuses dans le cadre de la Maison pour Tous de la rue Mouffetard de Paris et de ce qui allait devenir la Fédération Française des Éclaireuses.

À la Maison pour Tous (résumé du texte d’André Lefèvre)

« En 1918, Marguerite Walther, à l’Armée d’Orient, entend parler, par une de ses camarades infirmières, du travail social au Quartier Mouffetard. En 1919, elle a pris la résolution de continuer à servir, et elle met sans réserve ses forces et son temps à la disposition du petit groupe qui va donner naissance à la « Maison pour Tous ». Aux premiers pionniers sont venues se joindre Renée Sainte-Claire Deville et dix autres. (…) C’est sur la demande de M. Walther et par l’intermédiaire d’un de ses neveux, chef Éclaireur, que le Scoutisme fut introduit à la « Mouffe » et envahit progressivement la Maison. M. Walther et R. Sainte-Claire Deville (devenues dans le scoutisme Renne et Coq) créent la première Envolée et jettent les bases de la méthode des Petites Ailes. Bientôt, Renne forme la section d’Éclaireuses et laisse à Coq l’entière responsabilité de l’Envolée. Tout ce petit monde grandit, et on constitue alors des Éclaireuses Ainées.

Les principaux pionniers avaient pris allègrement des responsabilités de chefs, plusieurs deviennent Commissaires, quatre d’entre eux, dont Marguerite Walther, assument des charges de Commissaires nationaux. Nombre d’autres Chefs doivent, sinon leur vocation, du moins une partie de leur formation scoute à l’influence exercée par la Maison ».

Elle nous raconte elle-même les débuts de la fédération et de sa section « nouvelle ». Un contact est pris avec les Unionistes mais la déclaration d’intention est claire : « Nous faisons du travail neutre. C’est conforme à la mentalité du quartier, et puis nous voulons recevoir toutes les enfants, d’où qu’elles viennent, et qu’elles se sentent toutes à l’aise. D’ailleurs, dans notre groupe de travailleurs, il y a des gens appartenant à diverses Églises ou sans Église, comme moi-même. J’ai cru plus loyal de vous en prévenir afin que vous sachiez d’avance que, si nous arrivons à mettre quelque chose sur pied, ce sera indépendant de votre Mouvement ».

Le congrès d’Épinal , en juillet 1921, aboutira à la création de la F.F.E., articulée, suivant une formule inédite, en « sections » permettant aux cheftaines et aux éclaireuses de vivre leur foi ou leur spiritualité dans un ensemble cohérent où la recherche pédagogique prend évidemment le dessus. Mais ce n’est pas joué tout de suite, et il faut noter l’importance de la position de la cheftaine du groupe Paris-Naples, groupe le plus ancien, qui fait appel à l’union et souhaite l’élargissement du Mouvement afin que son groupe puisse y entrer.

La suite est connue : de 1921 à 1964, la F.F.E. permettra à des filles d’origines différentes de vivre un scoutisme féminin « ouvert », indépendant de tout dogme, allant même jusqu’à créer des sections « libres » pour les éclaireuses d’origine catholique souhaitant un accompagnement religieux. À travers plus de 40 ans de la revue « Le Trèfle » et la collection du D.T. parcourus pour l’ouvrage "Cent ans de laïcité dans le scoutisme et l'éducation populaire", nous avons constaté que cette histoire est passionnante. Le rôle de la F.F.E. dans la construction et le développement en France d’un scoutisme féminin mérite d’être mieux connu.

Merci à Denise Zwilling, présidente de l'association des anciennes F.F.E., qui nous aidés à préciser certains éléments de cette histoire des débuts du scoutisme féminin.

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