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1968 : le parcours de Mireille Roux, éclaireuse à la FFE N puis Commissaire Nationale branche verte

 Tout au long des décennies, notre Mouvement, et les associations qui l’ont composé, ont connu un certain nombre d’évolutions, qui ont concerné aussi bien sa structure (par la création du « nouveau Mouvement » en 1964) que ses méthodes d’animation. De ce point de vue, le parcours de Mireille Roux, entrée à la F.F.E. N en 1941, nous a paru significatif puisque, après avoir connu cette association, elle a vécu les débuts de la coéducation aux E.D.F. puis accompagné l’évolution de la branche, au plan national, de 1953 à 1968.

 

 

 

De la F.F.E. N à une responsabilité nationale dans le nouveau Mouvement

 

Nous lui avons donc proposé une « interview » dont nous reproduisons ci-après l’essentiel. Il n’a pas été nécessaire d’intervenir très souvent, d’où la rareté des questions…

Pour commencer, raconte-nous un peu ta vie d’éclaireuse ?

1941 : réfugiée de Reims (Marne) avec ma famille à Trans en Provence, terre de mes ancêtres, j’entre en avril aux Éclaireuses à Draguignan. J’ai 13 ans, je découvre la F.F.E.. Partir dans la nature, vivre en petite société, clans de 7 à 8 filles de 12 à 16 ans – lire la carte d’État-Major pour savoir où l’on est, où l’on va – cuisiner en plein air par tous les temps et bien s’en sortir – converser en Morse au cours de grands jeux – et surtout découvrir la Loi de l’éclaireuse, guide moral accepté sans problème.

Décembre 1941, mon père nommé à Paris, toute la famille quitte Trans pour la zone occupée où le scoutisme est interdit. Recherche pendant trois mois de contacts avec le scoutisme, alors clandestin. Je vais au lycée avec, sous mon pull, un ceinturon de la FFE caché dans nos bagages en cas de fouille à la ligne de démarcation. Le miracle arrive au bout de trois mois. Une fille de ma classe me repère et j’entre au Groupe d’Éclaireuses de Paris-Naples.

Un groupe très important – une « envolée » de P.A., une « section » d’éclaireuses, un « feu » d’aînées, environ cent adhérentes ; nous sommes des « Trouvères », camouflage du groupe. Deux sorties ou week-ends et deux réunions par mois – camp de Pâques – camp d’été.

De 1942 à 1944, j’ai donc appartenu à la FFE Neutre clandestine. J’ai été éclaireuse, chef de clan, cheftaine adjointe, et cheftaine en 1947.

Je dois à ma famille, mes institutrices ou professeurs, une partie de mon éducation. Je dois à la F.F.E.N. ma construction d’adolescente et d’adulte.

Confrontation avec d’autres, réajustement d’une personnalité compte tenu du reflet toujours positif renvoyé par les autres, prises de responsabilités, vie dans la nature, découverte à travers les activités de talents méconnus, sens du service, et, surtout, valeur d’un engagement – la promesse d’éclaireuse, engagement préparé avec des adultes responsables, ouvertes, attentives à notre devenir et respectueuses de nos personnalités.

Confrontation aussi dans notre groupe : nous étions 200 en 1949 de milieux sociaux différents, d’engagement religieux ou non, catholiques, protestantes, israélites, libres penseuses, agnostiques ou athées, qui apprenaient le respect des convictions de l’autre, au cours de discussions approfondies, le sens du service, le respect de l’autre, la solidarité et le sens de l’engagement.

Quelles ont été les circonstances de ton passage de la F.F.E. N aux E.D.F.?

D’abord, quelques indications sur l’évolution des relations entre les deux associations…

De 1947 à 1949, mise en place d’une expérience d’activités communes entre aînées de la F.F.E. N et routiers E.D.F., expérience suivie par les échelons nationaux des deux associations. Pour les aînées du groupe Paris – Naples, deux équipes d’une dizaine, chacune conserve des activités au sein du groupe et vit par ailleurs, avec des clans de Paris, des activités spécifiques, montagne et nautisme. À l’issue de cette période, les E.D.F., constatant les résultats positifs de cette expérience, envisagent le projet d’un mouvement de coéducation du scoutisme laïque, regroupant F.F.E. N et E.D.F.

Je n’ai pas participé à cette phase de réflexion, mais le groupe Paris – Naples avançait dans ce même sens. Un congrès rassembla à Moulins les cadres de la F.F.E. (toutes sections) pour prendre position sur ce sujet. Le projet, présenté par Pierre François alors Commissaire général des E.D.F., a été très mal accueilli. Maladresse de présentation ? Insuffisance de la préparation ? Peut-être… Quelle qu’en soit la raison, le projet capota.

Une partie des groupes F.F.E. N., avec des responsables départementales et régionales, décidèrent de quitter la F.F.E. pour adhérer aux E.D.F. afin de construire ce mouvement de coéducation des filles et des garçons que deviennent les E.D.F. . Orientation non reconnue par le scoutisme international masculin ou féminin car les E.D.F. restent membres de l’O.M.M.S. en ce qui concerne les garçons, accueillis dans les Jamborees ; les filles appartenant aux E.D.F. ne sont pas reconnues.

Parlons ensuite du projet éducatif des E.D.F. devenus Mouvement de coéducation des filles et des garçons…

J’ai vécu cette période avec le groupe Paris – Naples, «passé aux E.D.F.» sous la responsabilité de Renée Rennes qui devait devenir rapidement Commissaire Nationale de la branche Éclaireuses.

Le mot d’ordre fut le suivant : à tous les échelons, national, régional, départemental et local, des équipes de responsables filles et des garçons. Dans l’ensemble, jusqu’au niveau local, pas trop de difficultés, mais, au niveau des groupes locaux, il a fallu insister… Ce fut un rôle essentiel de l’équipe nationale. À partir de 1950, les équipes mixtes de direction des différentes instances du Mouvement de coéducation étant en place, un gros travail de réflexion concernant les principes éducatifs dans les trois branches a été mené, avec pour résultat :

  • pour les louveteaux, des sizaines mixtes,
  • pour les routiers des équipes mixtes… … dans les deux cas, couchages séparés.
  • pour les éclaireuses et éclaireurs, il a semblé souhaitable, à l’âge de la construction de la personnalité, de conserver une unité filles et une unité garçons, chacune ayant sa propre activité, mais avec de nombreuses activités pendant lesquelles filles et garçons apprennent tranquillement à travailler ensemble et à mener à bien des réalisations communes.

À partir de 1951, se met en place, peu à peu, dans les groupes, le code de vie du Mouvement de coéducation. Un rappel en est fait en 1956, dans la brochure « Les moyens éducatifs du scoutisme », par Henry Gourin, Commissaire National de la branche verte. On peut s’y arrêter un peu.

Quelle a été, plus particulièrement, l’évolution de la pédagogie de la branche Éclaireurs ?

À partir de 1947, Henry Gourin et Jean Estève, responsables nationaux de la branche ont, avec une équipe de responsables régionaux disposant d’une expérience de terrain, remanié profondément le Livre des Brevets. Conservant toute une série de brevets concernant le scoutisme proprement dit, ils y ont ajouté une série « Arts et techniques » abordant des connaissances dans des domaines de « métiers » (art du feu, art du bois, bâtiment, mécanique…) ouvrant ainsi l’éventail de connaissances dans des secteurs extrêmement variés et permettant aux jeunes de tester leurs aptitudes dans des domaines jusqu’alors ignorés. Mais la grande révélation a été l’entreprise, en même temps qu’un mode de fonctionnement démocratique des unités, le système des conseils, destiné à compléter le système des patrouilles.

L’entreprise faisait éclater, le temps d’une grande aventure, le cadre des patrouilles sur un projet commun, en principe grandiose. Deux exemples : un camp nautique, avec construction des bateaux, étude de l’itinéraire, prévision de l’intendance et de la « logistique » en fonction des étapes ; un camp itinérant en chariot type Far West, construits dans l’année, tirés par des chevaux, le tout financé par des séances récréatives dans les villages… Dans les ateliers de préparation, garçons et filles se découvraient dans une action commune et trouvaient leurs « marques ».

Les conseils rassemblaient tous les jeunes de l’unité, discutaient des projets d’année proposés par un groupe ou un seul, procédaient au vote. Quelle ouverture, quelle bouffée d’oxygène ! Dire que ces nouveautés ont bien fonctionné, tout de suite, serait mentir. Ces orientations, votées en A.G. et connues sous le nom de « Résolutions d’Angoulême », ont eu quelquefois du mal à passer car elles bousculaient les habitudes, et elles nécessitaient une action de formation particulière…

Quelles ont été les actions de formation qui les ont accompagnées ?

Les efforts se sont portés sur tous les échelons de la formation des cadres.

Au premier degré d’abord, dans les « camps-écoles » inventés par Vieux Castor, formation « technique » et formation « pédagogique » se complètent. En ce qui concerne la formation technique, vie de patrouille avec patrouilles de filles et patrouilles de garçons mais encadrement mixte même si les patrouilles sont « unisexes »… Les filles découvrent le froissartage et les constructions solides : dans ma vie d’éclaireuse, j’avais toujours mangé assise par terre, le sol tenant lieu de table : les garçons m’ont fait découvrir « le plaisir d’être à table » ! Des cercles de discussion permettent aux responsables garçons de découvrir la pédagogie vécue dans une unité de filles, et réciproquement.

Au second degré, dans les « Cappy » qui ont gardé le nom de notre haut-lieu traditionnel, les responsables sont plus expérimentés. Une vie de camp classique sous tentes de patrouilles – patrouilles de filles et patrouilles de garçons -, construction d’un camp confortable, organisation de la vie quotidienne avec responsabilités pour chacun. Mais également formation pédagogique à travers les « topos » abordant de nombreux thèmes :

  • la pédagogie du scoutisme : le système des patrouilles, ses valeurs,
  • l’entreprise : sa conception, son organisation, son apport pédagogique.

Une entreprise choisie en début de camp était vécue et analysée en fin de camp ;

  • la psychologie de l’âge éclaireuses / éclaireurs

Instructrice dans ces camps de formation, j’ai constaté la mise en place quasi-systématique, pour le second degré, d’un topo « éducation sexuelle », qui faisait alors totalement novation. Je dois dire que, dans ma formation de cheftaine d’éclaireuses, ce sujet n’avait jamais été abordé… C’est aux E.D.F. que j’ai reçu une information sur la sexualité des garçons, et je pense que les responsables garçons ont également été enrichis et ont mieux connu « les filles » grâce à ces choix.

Comment se concevaient et se déroulaient ces « topos » ?

Le contenu : un exposé sur le sujet. L’animateur : un instructeur qualifié. La durée : une heure à une heure et demie, échanges compris. Les stagiaires prenaient des notes et posaient des questions et des discussions, entre instructeurs et participants. En fin de séance, un bref moment de synthèse présentait les positions – et les exigences – du Mouvement sur le thème abordé.

Responsable nationale de la branche « verte » de 1953 à 1968, je me suis efforcée de faire passer les objectifs, les méthodes et les moyens qui accompagnaient l’évolution de la branche que j’ai vécue – et expérimentée – à partir de 1951. Dire que toutes les régions, départements et groupes ont toujours bien exploité cette richesse est loin d’être certain. Mais il est faut d’affirmer, comme certains, qu’il s’agissait d’une intellectualisation de la pédagogie ne tenant pas compte de la réalité du terrain : toutes ces idées ont été dégagées par des responsables disposant d’une solide expérience et souhaitant faire partager à d’autres des possibilités nouvelles offertes par un scoutisme évolutif.

Comment s’est effectué le passage des Éclaireurs de France aux Éclaireuses & Éclaireurs de France ?

Grâce à l’action commune de Denise Joussot, responsable nationale F.F.E. N, et de Jean Estève, commissaire général des E.D.F., des groupes de travail ont repris l’idée d’un Mouvement commun. L’accord s’est fait en 1964 sans grande difficulté, même si certaines nostalgiques de la F.F.E. ont pu regretter l’originalité d’une association féminine sans équivalent pour son ouverture. Les responsables de la F.F.E. N, à tous les niveaux, sont venues renforcer les équipes E.D.F. et ont apporté au « nouveau Mouvement » leurs compétences pédagogiques et leur expérience d’éducatrices.

Tu as quitté le Mouvement en 1968 avec Jean Estève. Et par la suite ?

En 1968, j’ai participé à une entreprise passionnante, la création du Centre Éducatif et Culturel d’Yerres. Il s’agissait d’une expérience qui souhaitait conjuguer toutes les formes d’éducation, incluant un établissement d’enseignement dans un ensemble large et ambitieux. J’y ai été directrice de la Maison des Jeunes, qu’on peut considérer comme un successeur de la Maison pour Tous de Vieux Castor. Ensuite, je suis restée dans le secteur de l’éducation populaire.

Et côté E.E.D.F. ?

De 1999 à 2003, une équipe d’adultes a essayé d’épauler le groupe E.E.D.F. de Draguignan, retour aux sources pour moi. Depuis, le groupe a redémarré et j’y ai assuré, avec ma cousine Annie Roux-Déjean qui en portera témoignage par ailleurs, à la fois des actions de formation et des relations publiques.

Nous faisons partie de ceux qui pensent que, le Mouvement leur ayant apporté beaucoup dans la construction de leur personnalité, nous nous devons de lui rendre, aujourd’hui, tel qu’il est, un peu de ce qu’il nous a apporté… Nous croyons à l’utilité d’un « réseau » d’anciennes et anciens, indépendant de l’association d’anciens qui a son rôle et ses activités propres.

Et nous pensons que les « valeurs » que nous y avons trouvées restent valables même si les temps ont changé : nous pouvons les aider à vivre dans les groupes locaux. La règle d’or, l’engagement, sont encore aujourd’hui des leviers éducatifs que nous pouvons aider à concrétiser à partir de notre expérience, sans attenter à la responsabilité de ceux qui ont pris notre succession.

Merci ! (Entretien réalisé en août 2005)