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1940 – 1944 : Jean Estève : Les E.D.F. pendant la seconde guerre mondiale

Jean Estève a connu cette période comme membre et responsable « de base » de l’Association, et a été de ceux qui ont donné à leur engagement un prolongement concret (et courageux).

 

La présentation, qu’il nous apporte résume, sous un angle historique, ce qu’ont été ces années difficiles, pour le pays, pour les E.D.F., pour l’équipe nationale et pour les membres de l’Association, à tous les niveaux.  

Son témoignage sur ce qu’ont été son activité personnelle et les conséquences qu’il en a supportées nous semble important, car elles nous paraissent représentatives de l’action « de terrain » de nombreux jeunes responsables.
 

 » Si nous voulons traiter sérieusement d’une période difficile, il faut établir beaucoup de distinctions en évitant l’image simplificatrice de phénomènes complexes … « 

 

La drôle de guerre (39 – 40)

Le Mouvement est privé de beaucoup de ses cadres, mobilisés, mais il tient, grâce aux plus âgés car il y avait, en ce temps-là, bien des chapeaux à 4 bosses sur des cheveux blancs, grâce aussi, et surtout, aux plus jeunes. Il n’était pas scandaleux, en ces temps de non-règlementation, de confier pour l’été 39 un camp de trois semaines avec trente garçons à deux bacheliers tout frais qui n’avaient pas 18 ans …

Les activités sont donc maintenues ; des services, dans les gares où passent les trains de soldats, dans l’organisation de la « défense passive », sont assurés. Le siège national, Vieux Castor n’étant pas mobilisable, fonctionne, rejoint par Castoret après sa démobilisation. Il assure la cohésion d’un Mouvement présent non seulement en France métropolitaine, mais dans tout l’ « Empire Français » ; les « travailleurs indochinois » importés en France, parqués dans des camps, voient des clans E.D.F. leur proposer des activités…

 

La défaite et la débâcle (mai à juillet 40)

Désordre généralisé, pertes des contacts dans un premier temps, mais très vite le Mouvement joue un rôle de rassembleur : des gens perdus retrouvent, dans une province dont ils ignoraient tout, des frères EDF qui les accueillent.

Le siège national vit une curieuse aventure : bien sûr, il faut quitter Paris qui va être occupé, mais où aller ? Le Gouvernement part pour Bordeaux, Pierre Déjean a une propriété proche, ce peut être un point de ralliement ; mais Pierre François est, par sa femme, propriétaire à Vichy du Pavillon Sévigné, un hôtel chic, Bordeaux est en zone occupée … le siège s’installe donc à Vichy et, bientôt, il ne lui reste plus qu’une faible part des communs du bel hôtel dont le Maréchal Pétain, devenu chef de l’Etat, fait sa résidence.

Ainsi, le siège national des Éclaireurs de France va se trouver, sans l’avoir voulu, dans la « capitale » de l’Etat Français ! Ne pas confondre un « accident » géographique et une « adhésion » idéologique…

L’occupation diversifiée (de l’été 40 à novembre 42)

Hitler continue de dessiner selon son rêve une Europe nouvelle, avec annexion de l’Alsace-Lorraine. Nous trouverons en « zone sud » bien des Eclaireurs qui ont fui.

  • Zone interdite (Nord) et zone occupée : dans toutes ces régions, le scoutisme est interdit, et donc, ceux qui étaient profondément attachés au Mouvement et à son idéal entrent dans la clandestinité. Les activités sont camouflées, les uniformes cachés, et, bien sûr, outre cette résistance « éducative » – dont il ne faut pas minimiser l’existence car la promesse, le « servir mon pays », prenait alors un sens fort – la résistance combattante se développe, favorisée par la longueur des côtes ou la proximité de l’Angleterre.
  • Zone non occupée : le Scoutisme n’est pas interdit, il se développe, au contraire, considérablement, aidé par les pouvoirs publics qui voient dans le Scoutisme Français, organisme nouvellement créé, comme une image d’une France à dominante catholique, débarrassée, sans violence, des « Éclaireurs Israélites ».

Les E.D.F. constituent un milieu particulier : les cadres sont des « laïques » au sens politique du terme, ils sont « ouverts à tous », juifs et francs-maçons compris, qui restent dans le Mouvement, y exerçant des responsabilités : un Commissaire régional s’appelle Lévy-Danon, la presse E.D.F. célèbre la « traversée Centre-Auvergne » réalisée par une troupe que dirige Bertrand Kahn, etc … Par leur milieu propre, les E.D.F. sont donc dans l’opposition à Vichy et c’est – amusant, non ? – de ce lieu même que Pierre François (dont le frère resté parisien est arrêté et déporté) et René Duphil, aidés par toute une équipe d’une riche diversité, dirigent le Mouvement en assurant le maintien d’une action éducative considérée comme primordiale pour que ne soient pas effacés – par la presse, la radio, des défilés de la « Légion » puis de la « Milice » (« française » l’une et l’autre), les principes du Mouvement, son ouverture, son attachement à la loyauté, son patriotisme.

 

Après novembre 42

Bientôt, toute la France est occupée, mais, dans l’ancienne « zone nono », le Mouvement reste admis. Simplement, de plus en plus nombreux sont ceux qui l’abandonnent pour un temps : par l’âge même de beaucoup de ses cadres, soumis bientôt, et réfractaires, au Service du Travail Obligatoire, par le développement de la Résistance dans laquelle s’impliquent naturellement les responsables. Ces départs n’ont pas d’autres motifs que ceux qui les ont amenés à être des actifs d’un mouvement fondé sur le développement sans intellectualisme des capacités personnelles, sur le respect des droits de l’homme, sur une fraternité sans frontières, en opposition totale, donc, avec le racisme nazi, la loi du plus fort, l’esprit de clocher de Vichy…

Et c’est ainsi que, jeune marié, étudiant à Lyon, membre de l’équipe de district EDF, j’ai pris rendez-vous avec Pierre François au printemps 43, sur un quai de la gare de Perrache – clandestinité oblige – ; je l’ai informé que j’abandonnais mes fonctions E.D.F., entrant dans la Résistance armée à plein temps pour – il y avait une logique – travailler à la création et à l’animation des « maquis-écoles », les écoles de cadres des Mouvements Unis de Résistance. Cette activité devait mal finir : après plus d’un an de « tournées » dans la zone sud, dans le « grand jeu » des rendez-vous clandestins, des fausses identités, des « crapahuts » dans les bois et des « coups de main » : arrestation, interrogatoire, déportation. Et, à Dachau, la solidarité, les actions du « comité français ». B.P. n’avait pas vu cela dans ses activités de renseignement, mais le Scoutisme nous a appris à faire face à l’exceptionnel.

Le Mouvement E.D.F. ne fut donc pas un « mouvement de résistance » catalogué comme tel, il n’a pas eu pour rôle de faire du renseignement, du sabotage, des actions armées, il n’a pas publié des journaux clandestins, mais ses principes et leur application à l’action éducative ont inspiré l’engagement dans la Résistance de beaucoup d’hommes et de femmes sur lesquels on pouvait compter, parce que la « Loi scoute » les avait marqués, inspirant leur action, les disposant au sacrifice. »

Ce texte est extrait de la plaquette « René Duphil, acteur et témoin de son temps », pour laquelle Jean Estève a accepté de donner cette introduction à la période de la guerre. Nous avons choisi d’en reprendre, dans les pages suivantes les témoignages de René Duphil et d’Annette Jacob-Dennery, jeune fille juive hébergée à Vichy, avec de faux papiers, dans les combles du Pavillon Sévigné habité, dans les étages nobles, par le chef de l’État.