Nous avons sélectionné quelques documents qui nous semblent résumer, à la fois, une illustration des difficultés rencontrées par les E.D.F. dans leurs relations avec certains milieux dits « de gauche » et les réflexions qui ont caractérisé cette époque : articles de Jean Estève et Eugène Bourdet, responsables nationaux de la branche Éclaireurs et leurs résultats.
Une illustration des difficultés rencontrées par les E.D.F. dans leurs relations avec certains milieux dits « de gauche » sont illustrées par un article de Pierre François, mais aussi par un article de la revue « L’Enseignement Public » résumant la thèse d’un ouvrage pour lequel « il ne peut y avoir de scoutisme neutre et laïc »
1945 : il paraît que nous sommes fascisés…
Peu de temps après la fin de l’Occupation, quelques mois avant la fin de la guerre, le Mouvement s’est trouvé confronté à quelques difficultés d’interprétation de son action. Il nous a paru intéressant de reproduire un article de Pierre François paru dans «Le Chef» de … février 1945, décrivant très bien le contexte de l’époque en réponse à des attaques en provenance du secteur politique.
« On se défiera toujours des Mouvements de Jeunesse ! Au temps de la « Révolution Nationale », notre anti-conformisme et notre attachement à la liberté soulevaient contre nous des hostilités nombreuses et officielles. À présent, on nous reproche d’être «fascisés». C’est un bon signe, après tout, que d’allumer toujours la méfiance des autorités et des majorités.
Certes, les États totalitaires ont apporté un grand soin à leur jeunesse. Vichy a tenté de les imiter. Mais l’histoire même de ces quatre dernières années prouve que, chez nous, l’expérience «Jeunesse» n’a jamais pu prendre la tournure fasciste ou nazie. La jeunesse française ne s’est jamais laissé imposer le Mouvement unique. De même, elle a refusé l’embrigadement et le dressage au profit d’un homme ou d’une idéologie étatique. Les rares Mouvements créés sous ce sigle n’ont connu ni effectifs ni durée.
Fiasco du fascisme, voilà ce que l’on peut constater chez les grands Mouvements de Jeunesse français. Leur diversité même, la tension salutaire qu’ils maintiennent dans leur vie interne, dans leurs rapports réciproques et dans leurs débats avec l’État, devraient rassurer tous les amis de la liberté. Bien mieux, je les invite à voir dans l’existence et le développement des organisations de jeunesse en France un des rares phénomènes révolutionnaires de notre pays.
Pourquoi les jeunes éprouvent-ils chez nous le besoin de se regrouper ? C’est qu’ils aspirent à la liberté, à la constitution d’une société libre et agissante, libérée de la tutelle d’une famille, d’une école, d’une profession, d’une société où les jeunes n’ont qu’à se taire et s’incliner devant des maîtres et des mandarins.
Veut-on bien me dire quelle part active et intéressante est laissée aux jeunes dans l’entreprise familiale, scolaire ou professionnelle ? Tout se passe, chez nous, comme si garçons et filles étaient quantités négligeables. On les tient pour incapables de penser, de juger et d’agir.
Quoi d’étonnant si, à leur tour, ils se détournent des adultes et constituent des sociétés à part, vrais syndicats de jeunes. Ils se résignent, hélas !, à ne point trouver leur place dans la vie réelle et s’évadent dans un monde à eux, fictif. Dès lors, les graves penseurs qui se gardent bien de se mêler à leurs conversations, à leurs jeux, à leurs travaux, à leurs efforts disparates, auront beau jeu de les accuser de médiocrité et de puérilité. C’est trop commode! Nous sommes, en tous cas, bien loin d’une jeunesse fasciste ou fascisée.
1947 : l’école laïque, la renaissance française, le scoutisme
Autour de 1947 (l’année du Jamboree de la Paix en France), deux brochures sont parues évoquant toutes deux, mais dans des sens différents, les principes et l’action des Éclaireurs de France : « L’école laïque et la renaissance française » et « La duperie du scoutisme ».
Eugène Bourdet a retrouvé un article de la revue « l’Enseignement Public » résumant ces deux thèses. Il nous a semblé intéressant de le présenter ici.
Peu de temps après la parution de l’ouvrage « L’école laïque et la renaissance française », écrit par Monsieur Juif, directeur de l’École Normale d’Aix en Provence et grand ami des E.D.F., en particulier pour le secteur Extension, la revue « L’enseignement public » en disait : « Monsieur Juif appartient aux Éclaireurs de France. En tant que tel, il voit dans le scoutisme un des moyens de développer une éducation rationnelle, susceptible de contribuer à la formation harmonieuse de la personnalité des jeunes. »
La suite est significative : elle reprend les thèses d’un autre ouvrage contemporain de cette période de réflexion, intitulé « La duperie du scoutisme » et écrit par Marcel Merville, commissaire national aux Vaillants et Vaillantes.
Quelques extraits : « Pour lui, le scoutisme est, en fait, et malgré la bonne volonté de certains dirigeants scouts, au service de la réaction. C’est « l’enfant naturel du paternalisme ». Les thèses fondamentales de Baden-Powell ont été reprises par Pétain. Marcel Merville ne reconnaît pas, dans la France travailleuse, ouvrière et paysanne, cette France des scouts : » race vigoureuse, obstinée, de petits propriétaires paysans, de ces villaghes groupés autour de leur église » : conception réactionnaire, maurassienne, opposant la France réelle des scouts de France, artisanale, bucolique, au prolétariat non possédant.
Se basant sur de nombreuses citations, Marcel Merville démontre que le scoutisme, bien loin d’être un instrument de rénovation de nos méthodes éducatives, est un mouvement imprégné de religiosité, au service de la réaction cléricale actuelle, comme elle l’a été hier au service de celle de Vichy. Il ne peut y avoir de scoutisme neutre et laïc. Sous l’aspect de séduisantes techniques pédagogiques, né de l’esprit de conquête des jeunes bourgeois anglais du début du XXème siècle, le scoutisme ne vise qu’à fabriquer en série des Robinsons, à développer le goût de l’évasion. (…) Il y a, certes, quelques techniques pédagogiques intéressantes, mais rien de plus. Ces techniques, qui ne lui sont pas propres, il faut les mettre au service des mouvements progressistes d’enfants et de jeunes ».
Bien évidemment, ces commentaires visaient essentiellement les Éclaireurs de France qui s’affirmaient « laïques » : dans la même période, d’autres attaques avaient provoqué la réponse la réponse de Pierre François parue dès 1945. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que ces attaques se situent peu de temps avant que d’autres, reprochant exactement le contraire, conduisent à une scission du Mouvement, également présentée avec les documents de « l’affaire Bertier ».