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1952.09 : L' »affaire Bertier »

Un complément apporté par l’association 1907 pour l’histoire du scoutisme

En réponse à une question posée sur le site de son association, (http://www.rezoweb.com/forum/enseignement/asso1907/445.shtml) Jean-Jacques Gauthé, président de l’association 1907 pour l’histoire du scoutisme, a apporté en mai 2007 quelques précisions.

Il est certain que Bertier se sentait de plus en plus mal chez les EDF. L’orientation qu’ils prennent à la Libération lui déplait très fortement. Il la qualifie « d’antinationale » alors que lui se définit comme un patriote français. La lecture des PV du conseil d’administration EDF en 1944-45 montre qu’il est, par exemple, très hostile à l’accord avec le PCF pour l’accueil de ses jeunes. Certaines sources affirment aussi que son mariage récent avec Renée Sainte Claire Deville, commissaire de la FFE, ne serait pas étranger à son choix.

Le déclencheur est manifestement la guerre d’Indochine. Le commissaire Route EDF Pierre Buisson pousse des Routiers à rompre leur engagement pour ne pas partir à la guerre. Un tract rédigé par Bertier selon Viaux résume tout ça.

Il est de bon ton dans certains mouvements scouts de se moquer des EDF qui seraient devenus « un mouvement politique » à ce moment. Il faudrait aussi se demander si la participation à la défense d’un ordre aussi injuste que le système colonial était une position légitime. « Le scout est fils de France » … jusqu’où ? Buisson avait une légitimité militaire : engagé dans les Corps francs d’Afrique en 1942, il était officier, avait fait la campagne de Tunisie et avait été grièvement blessé en Algérie.

Bertier après son départ des EDF aura une attitude très vindicative envers ceux-ci. Il va en effet aller confier ses états d’âme à la police et détailler par le menu au commissaire de police du quartier Notre Dame des Champs à Paris toutes ses récriminations à l’égard de son ancienne association. Le procédé est pour le moins singulier dans le cadre de débats internes au scoutisme… La lecture du dossier conservé à la Préfecture de police de Paris est en tout cas accablante.

Une note des Renseignements Généraux de la Préfecture de police (RGPP) du 24 novembre 1952 transcrit longuement ses positions sur la politisation des EDF dont il dénonce la rapprochement avec la Ligue de l’Enseignement (les EDF l’ont effectivement rejointe en 1949) et les sympathies de certains cadres pour les pays de l’Est. Bertier y explique qu’il va saisir Pleven, le ministre de la Défense, des positions des EDF contre l’engagement en Indochine.

Une autre note des RGPP du 5 mars 1953 fait longuement le point sur le passage de Bertier aux ENF. Elle évoque la campagne lancée par « Le Figaro » en janvier et février 1953 sur le thème « Les EDF sont-ils devenus une école de marxisme ? » Un jury d’honneur du Scoutisme Français les absoudra de cette accusation. Et Bertier dénonce aussi les positions des EDF sur le scoutisme musulman en Algérie.

Une note RGPP du 6 juin 1953 des RGPP évoque «la position antinationale des EDF» et explique que Bertier essaye, par des interventions politiques, auprès notamment de Pleven, de faire couper les subventions aux EDF pour en faire bénéficier les ENF. Une lettre de début 1954 du ministre de l’Intérieur au Préfet de Police de Paris signale que le Préfet de la Seine a immédiatement fait suspendre, à la suite d’une«information confidentielles de M. Bertier», les subventions du Département de la Seine et du Conseil Municipal de Paris aux EDF et conclut à la nécessité d’une «particulière vigilance» à exercer sur les EDF.

Le contexte de la guerre froide, de la guerre d’Indochine et la lutte anticommuniste féroce lancée par le Préfet de Police Jean Baylot (1951-1954) explique l’intérêt de la police pour cet épisode de l’histoire des EDF.

La littérature des RG et de la police ne doit pas évidemment être prise pour argent comptant et doit être soigneusement recoupée. Mais ces éléments des RGPP sont cohérents avec d’autres sources.

L’histoire du scoutisme ne peut en tout cas se réduire à une caricature des bons ( = les vrais scouts apolitiques) contre les mauvais ( = ceux qui feraient de la politique et sont bien entendu à gauche) Que certains EDF aient eu des sympathies marxistes est une certitude. Que le Mouvement soit devenu une école marxiste est une ânerie qui rappelle d’ailleurs certains textes qui, dix ans après, seront consacrés à l’évolution des Scouts de France (« Scout ou pionniers » en 1966). C’est réduire toute l’évolution d’une association à une explication par le complot en évacuant toute réflexion sur la place de l’association dans la société.

À titre d’information : texte d’une note des renseignements Généraux en date du 4 juin 1953

« À la suite de la position anti-nationale prise par les membres de la « Fédération des Éclaireurs de France », qui se sont notamment livrés à des injures envers les Forces d’Indochine, les Armées d’Afrique et les Forces d’occupation en Allemagne, une apologie de l’Allemagne Orientale, la diffusion de tracts sur l’objection de conscience, la participation à des grèves contre la loi Barangé, et des manifestations contre la prolongation du service militaire, M. Georges Bertier, qui était le vice-président de cette formation, a donné sa démission pour fonder une fédération concurrente sous le nom d’ « Éclaireurs Neutres de France » dont il a assuré aussitôt la Présidence.

En outre, M. Georges Bertier, en information récemment MM. PLEVEN, de CHEVIGNÉ et le Général du VIGIER ( ?) de l’action pro-communiste des Éclaireurs de France avait, dit-on, pour but évident de faire supprimer les subventions qui étaient accordées à ce groupement.

Il serait d’ailleurs, paraît-il, parvenu à ses fins et les « Éclaireurs de France » auraient perdu une partie des subsides qui, jusqu’ici, leur étaient alloués.

Enfin, M. Bertier interviendrait actuellement pour faire transférer, au profit des « Éclaireurs Neutres de France », tout au partie des fonds ainsi disponibles. »