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1911 : Les Éclaireurs Français

 Un document, apparemment publié à la fin des années 20 par les « Éclaireurs Français, Boy-scouts de France », décrit la création de leur fédération dans le cadre de la Ligue d’Éducation Nationale et en situe les grands principes par rapport au scoutisme britannique. Nous en reprenons ci-après l’intégralité, en respectant les mises en évidence (caractères gras)

 

La naissance des Éclaireurs Français (Ligue d’Éducation Nationale)

« La Ligue d’Éducation Nationale fut fondée par le Baron de Coubertin le 27 octobre 1911, au cours d’une séance solennelle à la Sorbonne, sous la présidence de Monsieur Liard, le recteur d’alors. Elle faisait suite à la Société des Sports Populaires, également création de M. de Coubertin.

La L.E.N. n’est point uniquement une société de scoutisme. Elle poursuit des buts plus généreux.

Ces buts sont nationaux et démocratiques. La Ligue s’inspire, notamment, des doctrines de Léon Bourgeois sur la solidarité sociale.

Elle veut le bien de la jeunesse, au triple point de vue moral, physique, intellectuel, cherchant la réalisation de ce programme par tous les moyens qui s’offrent à elle, notamment par le scoutisme.

Avec les Unions Chrétiennes de Jeunes Gens, nous avons été les premiers à créer en France des Troupes d’éclaireurs.

Baden Powell fut le fondateur du scoutisme. Ceci remonte à la guerre du Transvaal. Les Boers se servaient de leurs tout jeunes gens comme d’éclaireurs, au sens militaire du mot. Le général anglais, appréciant beaucoup les qualités morales et physiques de ces garçons, rechercha comment ils étaient arrivés à les acquérir. Il en sortit l’idée du scoutisme.  Des sociétés de scoutisme, sans lien entre elles, se constituèrent de par le monde.

Au sein du Comité de la L.E.N., des dissentiments se produisirent sur l’orientation à donner au scoutisme. Des tendances, par trop anglomanes au jugement de M. de Coubertin, l’auteur pourtant de tant d’ouvrages en faveur de l’Angleterre, se manifestèrent. Il en résulta une scission et les Éclaireurs de France surgirent de chez nous, les Éclaireurs Français. Quant aux Scouts de France (Scouts Catholiques), ils n’apparurent qu’après la guerre.

M. de Coubertin, lui, avait rêvé d’une société unique où chacun serait venu se placer suivant ses idées politiques et religieuses, pour éviter que des groupements politiques ou religieux ne prissent l’idée scoute à leur profit ce qui, avec la meilleure foi du monde, risque d’amener des déformations dans le but et les mobiles.

Le scoutisme est une méthode d’éducation. Rien de plus. C’est du reste largement suffisant.

Il existait donc, de par le monde, un certain nombre de sociétés de scoutisme, qui s’étaient créées par elles-mêmes.  Les Anglo-Saxons, qui n’avaient aucunement contribué à leur formation, eurent l’idée de les fédérer, poursuivant certaines conceptions, auxquelles nous avons toujours refusé de nous rallier. C’est ainsi que naquit le Bureau de Londres.

Nous recherchons tout ce qu’il peut y avoir de bon dans les autres pays en matière pédagogique et, pour le bien de nos garçons, nous l’importons en France, après l’avoir adapté à notre mentalité. Ses fenêtres sont largement ouvertes, mais nous ne consentons pas à ce que des étrangers se mêlent de nos affaires, surtout en ce qui concerne l’éducation de notre jeunesse. Certains nous reprochent cette attitude. Mais tant pis. Le scoutisme, méthode d’éducation, n’est le monopole de personne et ne saurait présenter le moindre caractère ésotérique.

Nous sommes Français, en France, et charbonnier est maître chez lui.

La méthode scoute fait, de notre part, l’objet d’un autre tract. Nous voulons, donc, le  bien des garçons au point de vue moral, physique, intellectuel. Nous inculquons à la jeunesse des idées de tolérance, de bon vouloir réciproque, de bonté, de fraternité. L’idée du devoir. Nous leur apprenons à comprendre le monde par leurs yeux et non au travers des livres ou des doctrines imposés par ordre. Nous leur enseignons à se gouverner eux-mêmes. Chez nous, il faut obéir, mais la discipline y est librement consentie.

La Ligue, au point de vue politique et religieux, n’a pas d’opinion préconçue. Du reste, elle ne s’occupe ni de politique, ni de religion. Elle admet des collaborateurs et des garçons de toute opinion. »

Ce document confirme les éléments d’information précédents, même s’il attribue aux Éclaireurs Français une antériorité sur les Éclaireurs de France ; il est possible qu’il y ait une querelle de dates sur la création « officielle » de la Ligue d’Éducation Nationale en octobre 1911 et le dépôt des statuts des E.D.F. deux mois après, avant ceux des E.F. en tant qu’association (mais toujours dans le cadre de la Ligue). Il n’en reste pas moins qu’une divergence de vues est apparue entre les créateurs du scoutisme non confessionnel, et que ce document permet peut-être de s’en faire une idée plus précise.

Cette divergence n’apparaît pas sur les objectifs – et l’expression du « triple point de vue » se retrouve d’ailleurs presque à l’identique dans la définition de ceux des E.D.F. Il faut peut-être la chercher plus avant, dans l’affirmation quasi-nationaliste que le Français veut rester « maître chez lui » et n’accepte pas de rejoindre le « Bureau de Londres ». Et un refus du lien prétendu entre le scoutisme britannique et la franc-maçonnerie peut se cacher derrière le rejet du « moindre caractère ésotérique ». Bien sûr, il s’agit d’une hypothèse…  Toujours est-il que les Éclaireurs Français vont beaucoup plus loin que le Livre de l’Éclaireur dans l’affirmation d’une adaptation culturelle, qui se trouve élargie par l’affirmation que « La L.E.N. n’est point uniquement une société de scoutisme. Elle poursuit des buts plus généreux. » et fait allusion aux « doctrines de Léon Bourgeois sur la solidarité sociale » : il s’agit, en fait, de dépasser le simple cadre du scoutisme, considéré comme un des moyens mis au service d’un objectif global de type social.

Arrêtons-nous en effet, au passage, sur la doctrine de Léon Bourgeois, présentée sur le site « Re-so.net », à laquelle ce texte fait allusion : Léon Bourgeois, homme politique radical et fondateur du solidarisme, est un personnage central de la réforme sociale au début du XXe siècle. Sa doctrine est conçue comme une troisième voie entre le libéralisme pur et le socialisme autoritaire. Son originalité tient au fait qu’il s’efforce de construire une République démocratique et sociale, faisant du principe de solidarité le ferment de la cohésion sociale. Contre les conservateurs et les nationalistes, il s’attache ainsi à donner un contenu social à la nation, et à légitimer le rôle de l’État dans la mise en place des mécanismes de solidarité. On peut donc voir, dans cette allusion, une prise de position  « politique » qui n’existe apparemment pas chez Nicolas Benoît.

Un texte de Jacques de Marquette, créateur d’une troupe également dès 1911, (pratiquement en même temps que Georges Bertier et Georges Gallienne),  membre dirigeant des Éclaireurs Français de 1911 à 1914, nous éclaire un peu sur ces divergences de vues en grande partie liées à un affrontement entre deux personnalités. Il est intitulé « Réminiscences et justice » et, sans régler des comptes, s’efforce de préciser certains points :

« Notre cher Mouvement (est) né à la fois de l’impulsion recueillie en Angleterre par le Lieutenant de Vaisseau Benoît qui s’y trouvait en mission, et de la conception grandiose du baron de Coubertin qui considérait le Scoutisme non comme une fin en soi, mais comme un élément, fondamental il est vrai, d’un effort complet de régénération et de renaissance nationale créatrice d’un splendide élan de renouveau. (…)

Pour notre malheur, ce bel élan fut coupé court dès son départ par l’opposition qui jaillit entre le Lieutenant Benoît et le Baron de Coubertin à propos de l’adaptation du Scoutisme aux nécessités particulières de la France de cette époque.

On sait que le conflit naquit du désir qu’avait Coubertin d’introduire, parmi les badges proposés aux Éclaireurs, un certain nombre d’épreuves de son Diplôme des Débrouillards, et de l’opposition catégorique faite par Benoît à ce dessein. L’antagonisme entre ces deux hommes d’élite avait été tel qu’il fallut toute l’énergie de leurs collègues du Comité de la Ligue d’Éducation Nationale pour les empêcher d’aller vider leur querelle “ sur le pré ”. »

Jacques de Marquette a eu l’occasion d’évoquer en 1961, à l’occasion des manifestations du cinquantenaire du scoutisme, cette période avec Georges Bertier, qui avait assisté personnellement aux séances en question du Comité, qui lui a affirmé : « Je n’ai jamais bien compris l’espèce de hargne tenace avec laquelle Benoît repoussait tous les efforts de Coubertin pour franciser légèrement le système de Baden-Powell. » D’où sa conclusion : « Ce n’est donc pas de leur côté (des Éclaireurs Français) qu’est venue l’intransigeance qui a causé la division si fâcheuse des divers éléments désireux de servir notre patrie par l’éducation intégrale de sa jeunesse. »

Merci à Jean-Michel Company pour cette documentation, transmise pour la préparation de l’ouvrage « Cent ans de laïcité dans le scoutisme et l’éducation populaire », qui présente plus complètement les activités des Éclaireurs Français, en particulier en Algérie.