La période qui a suivi la Libération a connu un nouveau démarrage du scoutisme, marqué, en particulier, par le Jamboree de la Paix, mais également le développement d’activités de prolongements comme le scoutisme d’extension en direction des personnes en situation de handicap. Les deux témoignages qui suivent en sont une illustration, et pourront être complétés par d’autres…
« CHEF DE TROUPE » AU JAMBOREE DE LA PAIX
témoignage d’Armand Barniaudy, « Chamois enthousiaste », ancien député.,
transmis par sa sœur Andrée Mazeran-Barniaudy, ancienne Commissaire Nationale Branche Louveteaux des E.D.F.,
Au soir de ma vie, que reste-t-il de mes premières découvertes du scoutisme à l’âge de la préadolescence, et, un peu plus tard, de mon engagement comme chef de troupe Éclaireurs de France entre 1944 et 1950 ?
À cette époque, dans un petit village des Alpes du Sud où étaient ancrées mes origines familiales, nous étions bien éloignés de cet élan qui, depuis des décennies, avait enflammé des garçons et des filles de la ville pour aller à la rencontre du Monde. Et pourtant, alors que j’avais dix à douze ans – c’était avant la deuxième guerre mondiale – la lecture, sur quelques illustrés, d’histoires évoquant les exploits des patrouilles de scouts, leur vie dans des camps, ces images de groupes nez au vent, sac au dos, foulard autour du cou, m’avaient fait rêver… Je revois encore, dans un album où nous collectionnions les vignettes trouvées dans les tablettes de chocolat (c’était alors une mode commerciale) une page consacrée au scoutisme. Cela suffisait pour me plonger dans un univers merveilleux où Mermoz, Paul-Émile Victor, Charcot avaient aussi des places d’honneur.
Les sombres années 1942-1944 allaient m’entraîner vers d’autres champs d’aventure, avec un désir de plus en plus tenace de participer d’une façon ou d‘une autre à la libération de notre pays : engagement dans la Résistance armée, le maquis, puis la 1ère Armée Française, l’Alsace, l’Allemagne…
Revenu à la vie civile et à ma vie professionnelle, après ces longs mois dans la résistance où je m’étais trouvé confronté à la réalité quotidienne de l’engagement, de la responsabilité, dans la lutte pour la liberté, il m’est apparu que mon devoir était de contribuer à développer un sens civique chez les jeunes. La rencontre avec un enseignant acquis aux valeurs du scoutisme laïque, la participation à un stage organisé en Provence par les E.D.F., allaient me mettre sur les rails. Nous allions créer une troupe d’éclaireurs recrutés dans notre proche environnement rural. Enfin, une aspiration qui ne m’avait jamais quitté se concrétisait : participer au grand Mouvement de scoutisme dans un cadre de laïcité, ouvert à tous les jeunes, aider ces jeunes ruraux à s’épanouir, à se former, à prendre conscience de leur rôle de citoyen.
Désormais, bien de mes jeudis et dimanches allaient être consacrés à ces garçons réunis en patrouilles et formant une troupe vivante et enthousiaste. Ayant remporté par leurs exploits le challenge provincial destiné à sélectionner les participants E.D.F. au Jamboree de la paix en août 1947, nos éclaireurs représenteraient la province Dauphiné dans ce rassemblement mondial de 30000 scouts à Moisson, en compagnie de deux autres patrouilles de Grenoble et Bourgoin. Ces journées furent exaltantes, pour les éclaireurs comme pour leurs chefs. Imaginez la rencontre avec le monde entier de ces jeunes qui n’avaient jamais quitté leur petit village ! Nous portions fièrement une espérance de paix, de liberté et de fraternité alors que, déjà, l’horizon s’assombrissait à nouveau.
Vint le moment où les obligations professionnelles, la vie familiale, des engagements successifs, syndicaux et civiques, me contraignirent à renoncer à ma troupe d’éclaireurs. Je participais encore à deux congrès nationaux, mais, déjà, ma sœur cadette Andrée avait pris un relais talentueux jusqu’aux hautes responsabilités dans ce même Mouvement des Éclaireurs de France.
Aujourd’hui, plus de 60 ans après cette « épopée », toute rencontre avec l’un ou l’autre de mes anciens éclaireurs est encore l’occasion émouvante d’évoquer de vieux souvenirs : les camps, bien des péripéties de nos sorties, ,nos veillées, nos chants autour des feux de camp… Toutes les valeurs d’altruisme, d’humanisme, que nous nous efforcions d’inculquer, d’appliquer : le respect de l’autre, la responsabilité de chacun dans la vaste collectivité humaine sont demeurées, je le crois profondément, des repères jamais perdus de vue sur nos parcours de vie.
Éclaireurs de la troupe Mermoz, Provence – Dauphiné, distriuct Hautes Alpes, au camp de préparation du jam, printemps 1947
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De L’ALLUMEUR de RÉVERBÈRES * à l’ÉCLAIREUR de FRANCE
Témoignage de Roland Morteveille,
qui évoque par ailleurs sa participation à l’équipe régionale de Paris et à la Maison des Copains de la Villette
Un soir du printemps 1946 mon père, qui travaillait à la Caisse des Dépôts, annonça à Maman que le Service Social proposait pour le mois de juillet suivant des places dans une colonie de vacances qui devait se tenir en Allemagne, dans le village d’Harenburg, dans la région du Westerwald. Cette colonie était organisée par le Ministère de l’Éducation Nationale qui n’avait pu faire le plein d’inscriptions auprès du personnel du Ministère et avait donc proposé à la Caisse des Dépôts les places encore disponibles.
Ce qui incita surtout notre mère à nous inscrire, mon frère Gérard (12 ans) et moi (14 ans) fut que les “colons” bénéficieraient de vêtements et de chaussures gratuitement (saisies de stocks destinés aux chantiers de jeunesse pétainistes). À cette époque, où existaient encore les tickets de ravitaillement, c’était une aubaine… Gérard et moi fûmes consultés, nous étions d’accord car l’aventure nous tentait ; après avoir vécu quatre ans l’occupation allemande, c’est nous qui allions aller occuper l’Allemagne ! Nous fûmes donc inscrits, touchâmes notre “paquetage” lors d’une réunion au Ministère, rue de Bellechasse, et vint le grand départ un lundi soir, de la gare de l’Est, dans un train spécial réservé pour les colonies de vacances qui allaient se tenir en Allemagne. Le voyage dura 36 heures, nous n’arrivâmes que le mercredi matin, car il nous fallut faire un détour pour passer le Rhin : le seul pont de chemin de fer resté intact desservait la zone d’occupation américaine, que nous devions traverser pour regagner la zone française. De plus, l’armée américaine nous consigna plusieurs heures sur une voie dans une petite gare, n’ayant pas reçu du Grand Quartier Général (ou peut-être même de Washington ?) l’autorisation de laisser transiter ces gamins français…
La colonie, logée dans une ancienne caserne de la Wehrmacht, se passa fort bien, l’ambiance était bonne, les monos sympas, la nourriture abondante (nous étions à la charge de l’armée française pour le ravitaillement). Je me retrouvai chef de l’équipe “Sparte” (nous vécûmes la colonie sur le thème “Grèce Antique”). Je découvris les responsabilités, l’amitié, et des tas d’activités, les grands jeux, la forêt, la cuisine en plein air, les veillées, les feux de camp … Le retour fut plus rapide que l’aller, et nous revenions enchantés de ces superbes vacances…
Au mois d’octobre suivant, une réunion avec les parents se tint au Ministère, avec récits de nos exploits, photos… et peu après nos parents reçurent une lettre nous proposant d’intégrer un groupe d’Éclaireurs de France qui se créait à l’initiative de certains des moniteurs. Gérard et moi furent inscrits, et nous fîmes la première sortie de la Troupe Bougainville du Groupe Bellechasse le 26 octobre 1946 ; je troquai mon éphémère statut de chef d’équipe en celui de novice certes, mais chef de patrouille tout de même ! Nos chefs était Jean Cahuzac Chef de groupe, Pierre Levée Chef de troupe, Pierre Acolas Chef de troupe adjoint et Pierre Decheix Assistant du Chef de Troupe. Le premier de la troupe était dessinateur industriel, le second devint ingénieur chez Renault et le troisième juge d’instruction. Nous vécûmes avec ce trio des aventures merveilleuses, fabuleuses, et nous retournâmes en Allemagne, en Forêt Noire, mais comme Éclaireurs cette fois.
J’eus aussi l’occasion de participer au Jamboree de la Paix, à Moisson, en 1947. Je n’y étais pas comme membre de la délégation du scoutisme français, mais je m’y rendais quasiment chaque jour, habitant à une demi-heure de train, et j’avais obtenu un laisser passer permanent car notre CTA, Pierre Acolas, était l’ « ordonnance » du Commissaire du Gouvernement chargé de recevoir les représentants officiels des pays étrangers, un ancien Inspecteur Général de l’Éducation Nationale, M. Acolas, son père !
Après mon accession à la 2ème, puis à la 1ère classe, j’eus droit à une troisième bande blanche sur la poche gauche de ma chemise, devenant “1er C.P.”, une distinction plutôt honorifique ! Trois années de pleine activité à la troupe, sorties du dimanche, réunions dans notre local, un baraquement implanté sur le stade de la Cité Universitaire, camps de Pâques et d’été, explorations … Mais les études secondaires s’en ressentirent quelque peu !
Je commençai à travailler en décembre 1949 ; finis les camps d’été pour plusieurs années, je ne pouvais prétendre obtenir de mon employeur des congés à cette période de l’année… en 1951-1952, je pris en charge la troupe d’éclaireurs de l’Institution Nationale des Sourds-muets de la rue Saint-Jacques. J’allais chercher les garçons le dimanche matin, et retrouvai Catherine Lautmann (aujourd’hui Catherine Bastide) qui, elle, était responsable de la meute de louveteaux. Le voyage en métro et en train pour gagner notre lieu de sortie, généralement les forêts du sud de Paris, ou quelquefois la forêt de Saint-Germain-en-Laye, s’effectuait en commun pour n’avoir à déposer à la SNCF qu’une seule demande de “billet de groupe”. Nous nous retrouvions en fin d’après-midi pour le voyage du retour. Un jour, au moment de quitter la forêt pour gagner la gare, Catherine s’aperçut qu’il lui manquait un louveteau… Inutile de crier, bien sûr… Battue rapide aux alentours avec l’aide des éclaireurs, sans résultat. Je reconduisis donc seul les deux unités à l’Institution, Catherine poursuivant les recherches. Inutile de vous raconter l’accueil qui me fut réservé à l’Institution. Je retournai à la rencontre de Catherine et, en descendant du train, j’eus le grand soulagement de l’apercevoir sur le quai d’en face, direction Paris, assise sur un banc avec le louveteau à son côté. Elle s’était rendue au commissariat de police pour signaler la disparition et en arrivant elle y avait retrouvé l’enfant, qu’un couple de promeneurs avait recueilli pleurant dans la forêt. Ils avaient rapidement réalisé qu’il ne les entendait pas et ne parlait pas, et avaient eu le bon réflexe de le conduire au commissariat. Ce fut Catherine qui le reconduisit à l’Institut, et je pus reprendre mon train gare Saint-Lazare pour ma lointaine banlieue…
Anecdote. Un dimanche de printemps, en 1952, la sortie dominicale se fit en forêt de Saint-Germain-en-Laye. Je fis poser les sacs à proximité d’une pièce d’eau, la “mare aux canes” je crois.
Les éclaireurs ravis, se mirent à quatre pattes pour patouiller dans l’eau, et j’eus du mal à les en éloigner pour quelques activités traditionnelles, Ce fut la même chose en fin d’après-midi, avant le retour vers la gare, et je les laissai s’amuser : ils avaient découvert des nuées de petits têtards tout noirs, me demandèrent ce que c’était et je pus le leur expliquer car j’avais pour adjoint un jeune sourd-muet de 18 ans qui savait lire sur les lèvres. (au contraire de Catherine qui connaissait le langage gestuel des malentendants, je ne le pratiquais pas et en aurais de toute façon été incapable, ayant été victime d’un grave accident à la main droite).
Lorsque je revins le dimanche suivant à l’Institut, je fus accueilli par un responsable, sorte de surveillant général, qui me « passa un savon » mémorable ! Le lundi matin précédent, les lavabos du dortoir étaient tous engorgés ; le factotum qui les déboucha trouva dans les siphons une sorte de confiture ou de gélatine brune. Enquête faite auprès des garçons, il s’avéra que le dimanche soir précédent, les éclaireurs avaient fermé les bondes de vidange des lavabos, fait couler de l’eau fraîche, et vidé le contenu de leurs gourdes en alu contenant, outre de l’eau, de pauvres têtards prisonniers depuis plusieurs heures… Le lundi matin, constatant que les pauvres bébés batraciens n’avaient pas survécu à ce traitement, ils avaient tout bonnement vidé les lavabos, mais les dépouilles s’agglutinèrent dans la chicane des siphons !
Je me mariai, nous eûmes des enfants et vînmes habiter Paris en 1957. Je reçus un jour un appel téléphonique de Pierre Levée, mon ancien chef de troupe. Il était toujours aux Éclaireurs de France, devenu commissaire de province à Paris-Sud, et me proposait de rejoindre son équipe en qualité de trésorier, ce que j’acceptai, heureux de retrouver mes copains. Je fis donc partie de cette équipe pendant quelques années. Notre siège était place du Petit Pont, à l’angle de la rue de la Huchette, C’est cette équipe provinciale qui réalisa l’acquisition du Grand Moulin de Sainte-Suzanne, en Mayenne, pour les cantonnements de Pâques et d’été des louveteaux, puis l’achat de l’Hermitage, en forêt de Sénart, qui accueillait également des louveteaux le dimanche, ou en week-end.
Cette belle équipée prit fin brutalement, en 1961 me semble-t-il, au congrès de province qui se tint au lycée de Montgeron. Le rapport moral présentée par le Commissaire, Pierre Levée, n’obtint pas la majorité absolue des votants. Que s’était-il passé ? Marcel Robin, au nom des Routiers, avait demandé la mise aux voix d’une motion contre la politique gouvernementale sur l’Algérie. Une immense majorité des Français condamnait “les évènements”, devenus la guerre, qui conduisait des jeunes appelés du contingent à être engagés et à risquer leur vie dans ces combats. Pierre Levée avait refusé de procéder à cette mise aux voix, rappelant que notre mouvement se devait de respecter les opinions politiques et religieuses de ses membres, et qu’il ne pouvait être question de voter pour ou contre cette proposition. Pierre Levée démissionna, et toute l’équipe le suivit.
Je quittai donc les Éclaireurs de France, pour la seconde fois… Pas pour longtemps !
Un samedi après-midi, on sonne à la porte de notre appartement. Nous habitions dans le XIX° Arrondissement, près du parc des Buttes-Chaumont. J’ouvris, un homme que je ne connaissais pas se présenta : René Laurent, responsable du groupe Pierre Dejean. Ce groupe était implanté sur les hauts de Belleville, aux alentours de la Place des Fêtes. René était passé à la permanence du Petit Pont ; je n’ai jamais su qui lui avait parlé de moi et dit que j’habitais dans le XIXème. Toujours est-il qu’il venait me demander de l’assister dans la gestion de ce groupe…et j’acceptai ! Notre devise n’était-elle pas “Toujours Prêt !”
Et me voici embarqué dans une troisième aventure, qui allait elle aussi durer quelques années. René m’avait confié toute la gestion administrative et comptable du groupe. Deux de mes enfants, Pascale, Olivier, furent tour à tour cheftaine ou chef de la meute de louveteaux et notre seconde fille Agnès Louvette. Odile, mon épouse, assura une année l’intendance du camp d’été qui se tint à Ploemeur …sur la base aérienne de Lann-Bihoué, et une autre année à Doëlan, toujours en Bqretagne. René Laurent (Alpaca) me confia la direction du groupe en 1963, pour se consacrer à l’association “Maison des Copains de la Villette” que nous venions de créer, René, Philippe et moi. Je l’y rejoignis en 1964 pour l’assister dans la gestion de cette structure, et passai le relais à Jean Collin.
Ce fut ensuite, avec René et Philippe, la grande aventure de la Maison des Copains de la Villette. Mais ceci est une autre histoire… Elle est racontée dans la rubrique « le Mouvement et l’éducation populaire »
* que fut mon arrière-grand-père, à Mantes-la-Jolie.