Cette contribution de Roland Morteveille, ancien responsable E.D.F., raconte une action d' »éducation populaire » menée dans les années 60 à Paris. Comme dans le cas des déficients auditifs, elle a nécessité un « prolongement » par la création d’une association spécialisée, issue du scoutisme laïque, mais bien dans l’esprit du militantisme et de l’engagement de notre Mouvement.
Au début des années 1960 le Groupe EEDF Pierre Déjean, implanté sur les XIX° et XX° arrondissements de Paris, avec pour centre géographique la Place des Fêtes, sur les hauts de Belleville, comptait au nombre de ses responsables René Laurent, Chef de groupe, Philippe July, Chef de troupe, et moi-même, adjoint chargé de la gestion administrative.
Philippe July donnait en outre des cours de judo (il était ceinture noire) dans une Maison de Jeunes implantée à la Porte de la Villette, sur l’ancienne zone des fortifications. Le local mis à la disposition pour cette Maison était un baraquement en bois, ancien poste d’octroi de la Ville de Paris.
Philippe nous annonça un jour que cette Maison allait fermer, l’association gestionnaire trouvant trop difficiles les jeunes qui la fréquentaient. Ils venaient d’une part de groupes d’HBM (habitations à bon marché), ancêtres des HLM, construits avant la dernière guerre à proximité des anciens abattoirs de la Villette, et d’autre part de la commune d’Aubervilliers, Il était vrai que ces jeunes étaient « à problèmes », certains déjà délinquants ou pré-délinquants, et que certaines des activités qui leur étaient proposées les laissaient sur leur faim…
Philippe se refusait à cet abandon, et sollicita notre aide. Nous étions de son avis quant au fait que nous ne pouvions pas accepter cette fermeture, et d’autre part conscients que ces jeunes ne pourraient s’intégrer à la structure, à l’esprit et aux activités traditionnelles des EEDF.
Nous en parlâmes alors à l’échelon national (à René Duphil me semble-t-il), qui accepta de nous aider financièrement à poursuivre l’activité, en employant Philippe July à mi-temps, le matin, dans les bureaux du 66 Chaussée d’Antin. Des démarches furent parallèlement menées auprès de l’organisme jusqu’alors gestionnaire, qui voulut bien plaider notre cause auprès de l’Administration Municipale de Paris pour que la mise à disposition du local soit officiellement transférée aux EEDF, ce qui fut fait.
Le Club ne ferma donc pas, et dans les premiers temps l’activité se poursuivit, essentiellement en fin d’après-midi et le soir, avec Philippe July comme seul animateur. René Laurent me chargea de préparer des dossiers de demandes de subventions, car nous n’avions aucun revenu et il ne pouvait être question d’inscrire les jeunes en leur demandant une cotisation…
Nous comprîmes rapidement que cette situation ne pouvait se prolonger ; la Fédération ne pourrait pas nous aider financièrement, et n’obtiendrait pas des Pouvoirs Publics des subventions spécifiques pour cette activité somme toute marginale au scoutisme traditionnel. René Duphil nous conseilla donc de nous déclarer en Association totalement indépendante, sans aucune référence aux EEDF dans les statuts, ce qui fut fait et le nom choisi :
MAISON DES COPAINS DE LA VILLETTE
Seul clin d’œil à nos origines, nous créâmes l’insigne du club en reprenant l’arc tendu, mais autrement stylisé…
René et moi entreprîmes toutes les démarches administratives, dépôt des dossiers de demandes de subventions à la Ville de Parie, au Ministère de la Jeunesse et des Sports, au Ministère de la Justice, à la Caisse d’Allocations familiales. Notre existence légale prenait forme, le Conseil de Paris vota la mise à notre disposition du local de la Porte de la Villette, et nous comprîmes que nous étions reconnus le jour où nous fumes convoqués, interrogés et fichés par les Renseignements Généraux !
Peu de temps après, l’État désigna M. Louis Pichat, Conseiller d’État, pour créer une Commission chargée de reconnaître officiellement les associations qui, telles la nôtre, œuvraient pour la lutte contre la délinquance juvénile par l’aide aux jeunes en difficulté, qui furent désignées par le “Comité Pichat” – et le sont toujours – sous le nom de “Clubs de Prévention” ; nous fûmes parmi les premiers à être reconnus par cette instance. Des contacts furent noués avec la Brigade de Protection des Mineurs du Quai de Gesvre à l’instigation de son responsable, le Commissaire Lefeuvre, qui diffusa aux responsables des commissariats de quartier des informations sur les actions que nous menions, étant bien compris que nous pourrions le cas échéant avoir des contacts ponctuels pour régler tel ou tel problème, mais que nous ne travaillerions pas pour la Police.
Quelques années plus tard, notre local de la Porte de la Villette fut rasé pour permettre l’implantation du boulevard périphérique, et nous réussîmes à nous faire attribuer un nouveau local appartenant à la Ville, au n° 5 de la rue de Cambrai, qui fut inauguré par M. Joseph Comiti, Secrétaire d’Etat à la Jeunesse et aux Sports en personne, les deux députés (de droite) du secteur, MM. Ruais et Rives-Henry, et les cinq conseillers municipaux (de gauche) du XIX° Arrondissement. Anecdote : lorsqu’il repartit dans sa DS19 noire officielle, précédé par deux motards de la police, des jeunes de la Maison poussèrent sa voiture comme si elle refusait de démarrer ! Mr Comiti était hilare, le chauffeur joua le jeu en avançant au pas et en accélérant tout doucement pour ne pas risquer un accident. Les deux motards éberlués, s’étaient arrêtés cent mètres devant, se demandant ce qu’il se passait ! .
Une des grandes activités au sein de la MCV (Maison des Copains de la Villette) fut le MCV (Moto-Club Villette). Philippe animait en effet, entre autres choses, un atelier de mécanique pour deux roues qui organisait des sorties le week-end. L’un des jeunes du moto-club remporta une année le fameux “Bol d’Or” sur le circuit du Mans.
Cette équipe éducative compta parmi ses membres, pendant quelques années, à titre personnel et non en sa qualité de prêtre, le père Guy Gilbert, qui fut affecté à par Monseigneur Marty, cardinal-archevêque de Paris, à son retour d’Algérie, à une paroisse du XIX° arrondissement, rue de Meaux, avec pour mission de s’occuper des “marginaux de la vie sociale” comme il le faisait jusqu’alors à Alger.
Bien des années plus tard, le 5 de la rue de Cambrai fut à son tour démoli dans le cadre d’une opération immobilière sur les anciens terrains de l’usine à gaz de la Villette, sur lesquels il était implanté, et de nouveaux locaux furent trouvés au 156 rue d’Aubervilliers. Aujourd’hui, la Maison des Copains de la Villette existe toujours à cette même adresse… Elle a fêté il y a quelques années, à la Mairie du XIX° arrondissement, son cinquantième anniversaire. Dirigée par Michéle Van Eessel, elle compte une vingtaine d’éducateurs spécialisés, et certains parents d’enfants qui fréquentent l’association l’ont eux même connue…il y a longtemps.
Ces quelques lignes pour saluer, l’année de son Centenaire, l’association des EEDF grâce à laquelle il a été possible de connaître cette aventure, et aussi rendre hommage à René Laurent, aujourd’hui disparu, et à Philippe July, qui sut nous convaincre de l’aider à la vivre.
Nous étions trois copains “Eclaireurs de France” et en étions fiers…
Roland MORTEVEILLE dit Grizzly
12 rue Pierre Loti
91330 YERRES
Extrait de :
Internet – UPPS Union Parisienne de la Prévention Spécialisée :
“En 1963 un groupe de routiers Éclaireurs de Fiance installé dans l’ancien octroi de la Porte de la Villette envahi par les jeunes adolescents du quartier tente de structurer des activités. Un atelier de mécanique moto et un club de judo vont voir le jour. Très vite apparaîtra la nécessité d’une action éducative et se créera l’équipe de la “Maison des Copains de la Villette”
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Roland nous a, par ailleurs, donné une contribution rappelant son action dans le groupe de l’Institution Nationale des Sourds-Muets de la rue Saint-Jacques dans les années 50.