Les villes de Lille et de Lomme (Nord) eurent pendant longtemps des sociétés municipales de scoutisme. Il faut manifestement y voir un aspect original du service public d’animation de la jeunesse, prolongeant l’action des patronages municipaux et des sociétés municipales de gymnastique ou de musique. La lecture selon laquelle il s’agissait de scoutisme politique est manifestement inexacte.
Éléments communiqués par Jean-Jacques Gauthé :
Cette initiative a été limitée à ces deux villes, alors qu’elles étaient à direction socialiste. La situation de Lille est toutefois nettement mieux connue que celle de Lomme[1].
1) Lille
A) Des origines à la Libération : L’origine des scouts municipaux de Lille est à rechercher dans une initiative de Maurice Turpin, militant socialiste, ex chef EDF 1ère Lille Bayard mais aussi ex SDF et proche du RP Sevin l’un des fondateurs des Scouts de France, lui lillois aussi.
Turpin, décédé en 1991, était ingénieur des services municipaux de la ville de Lille. Il persuada le maire Charles Saint-Venant de l’intérêt de son projet. Une partie des Eclaireurs de France de Lille le suivit. La société municipale de scoutisme s’organise en 1938-39[2]. Elle est subventionnée par la mairie logée dans des locaux municipaux situés rue du Buisson.
Le 26 mars 1939, la promesse de 36 scouts est reçue dans la salle Jean Jaurès de la mairie, sous la présidence du maire, président d’honneur des scouts municipaux, et en présence du conseil municipal,
L’insigne des scouts municipaux reprend tout simplement celui de la ville de Lille, une fleur de lys blanche, donc particulièrement adapté au scoutisme. Leur chant officiel s’intitule Terre de Flandres : « Boy-scouts du Nord, jeunes routiers, quels fiers échos vous fait entendre la voix des carillons de Flandre… » Des louveteaux sont créés en avril 1939.
En juin 1939, la société municipale de scoutisme compte 91 membres dont 43 ont moins de 13 ans. Elle forme la haie d’honneur lors de la visite du président de la République à Lille le 4 juin 1939.
Dès septembre 1940, les scouts municipaux reprennent leurs activités. Chaque réunion fait l’objet d’un compte-rendu écrit du chef de troupe au secrétaire général de la mairie. Le 4 décembre 1940, le maire de Lille, Paul Dehove[3], fait le point à Maurice Planque, président de l’association et secrétaire général de la mairie, des contacts qu’il a eus avec le préfet du Nord à la suite de la décision des Allemands d’interdire les associations scoutes. L’association est mise en sommeil.
B) Après 1944 : La société municipale de scoutisme est réactivée dès la libération de Lille. Dès le 30 septembre 1944 Marcel Davaine, commissaire provincial par intérim des EDF demande au maire de Lille de le recevoir.
Une note du 28 novembre 1944 au secrétaire général de la mairie fait le point de cette entrevue. Les Eclaireurs de France ont 1800 membres dans l’académie de Lille, les Scouts de France 10 000. Davaine propose l’affiliation des scouts municipaux aux EDF et informe la maire de la création des Francas.
Les EDF relancent leur demande et un an plus tard, le 15 novembre 1945, Maurice Planque propose au maire de Lille la coordination avec les Eclaireurs de France mais en aucun cas l’affiliation. « Les EDF n’ont pas une ligne de conduite nette. Ils épousent les opinions du moment. (exemple du gouvernement Pétain). Notre mouvement qui est d’essence ouvrière et laïque doit en gardant son autonomie et son nom, prendre la tête d’un vaste rassemblement et provoquer autour de lui l’unité des mouvements laïques ». L’affiliation à la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT) est préconisée par la création d’une branche scoute en son sein.
La société municipale de scoutisme est en plein développement. Le 22 décembre 1945, le conseil municipal de Lille délibère à propos de l’assurance des scouts municipaux après avoir consulté pas moins de 11 sociétés d’assurance ! Une délibération du 15 juin 1946 annonce 400 membres et lui verse 10 000 F pour créer une bibliothèque. A l’été 1946, 180 scouts municipaux campent à Thury-Harcourt (Calvados) « région aux qualités pittoresques et aux facilités de ravitaillement ».
Les statuts de la société municipale de scoutisme sont déposés le 13 mars 1947. L’association qui a son siège à l’hôtel de ville a pour objet « éducation physique et morale, civique et pratique de la jeunesse par les méthodes du scoutisme »
Une autre délibération du conseil municipal de Lille du 24 mai 1947 note : « Le recrutement de la société municipale de scoutisme se faisant exclusivement parmi la classe ouvrière, nous nous trouvons dans l’obligation de participer aux dépenses de fonctionnement à Sains du Nord pour le mois d’août à hauteur de 1000 F pour 220 enfants ». Un camp guides est aussi prévu.
Le député-maire socialiste de Lille, Denis Cordonnier ne ménage pas ses efforts envers les scouts municipaux. Le 20 mars 1946, il écrit à son collègue socialiste de Marseille, Gaston Deferre, secrétaire d’état à l’information, à propos de la demande d’autorisation de parution du journal Sous la tente, organe de la société municipale de scoutisme[4]. « Cette société unique en France, je crois, a pour but de faire connaître aux enfants du peuple que le scoutisme n’est pas le monopole des enfants bourgeois mais que ses bienfaits peuvent atteindre les classes laborieuses »
Quelques semaines plus tard, le 12 octobre 1946, Denis Cordonnier écrit à son collègue le maire socialiste de Toulouse, Raymond Badiou, s’excusant « de le troubler en période électorale avec une demande qui pourrait te paraître ridicule ». Il s’agit en effet de la question des chapeaux des scouts municipaux. En ces temps de restriction, le maire de Lille espère en effet trouver à Toulouse une maison les fabriquant …
Les scouts municipaux sont strictement laïques. Dans une note du 11 mars 1946, Turpin signale au maire de Lille « qu’actuellement les membres des scouts municipaux sont en butte à une offensive cléricale de grande envergure » qu’il détaille : Porte de Béthune, le curé de la paroisse intercepte nos jeunes gens et leur propose de venir au patronage catholique, dans le Vieux Lille, un de nos membres a du démissionner sur pression du directeur de l’école libre qu’il fréquente. Et les cléricaux ont beaucoup plus de facilités pour acheter les uniformes. Le vestiaire municipal doit nous aider à acheter le tissu nécessaire à leur confection. « Le scoutisme laïque doit pouvoir répondre victorieusement et avec force à l’offensive actuelle ».
Le changement de municipalité à l’occasion des élections municipales d’octobre 1947 (la ville de Lille passe des socialistes aux gaullistes du RPF) ne semble pas amener de changements importants pour les scouts municipaux. Le 5 juillet 1948, le conseil municipal vote une subvention de 100 000 Frs pour leur camp à Sains-du-Nord et souligne, à propos du camp de l’année précédente : « Ces enfants dont le recrutement se fait exclusivement parmi la classe ouvrière en ont retiré le meilleur profit ».
La dernière délibération connue du conseil municipal de Lille sur les scouts municipaux est celle du 7 novembre 1952 par laquelle il créé une section de football à l’intérieur des scouts municipaux.
L’affiliation définitive des scouts municipaux aux Eclaireurs de France se fera tardivement. C’est le 7 septembre 1967, à la suite d’une assemblée générale extraordinaire du 25 juillet 1967, qu’est déclaré le changement de nom de la Société municipale de scoutisme de la ville de Lille en Eclaireuses éclaireurs de la ville de Lille, Société municipale de scoutisme de la ville de Lille avec son siège à l’hôtel de ville. Les nouveaux statuts font apparaître explicitement dans leur article 4 l’affiliation aux EEDF. L’association est encore dirigée à l’époque par deux adjoints au maire et plusieurs conseillers municipaux.
2) Lomme
La Société municipale de scoutisme de la ville de Lomme est déclarée le 2 avril 1954 avec son siège à l’hôtel de ville[5]. Son objet social est très proche de celui l’association de Lille : « contribuer à l’éducation physique et morale, civique et pratique de la jeunesse par les méthodes et exercices définis et connus sous le nom de scoutisme ». On peut donc penser que les scouts municipaux de Lomme sont copiés sur ceux de Lille.
Lors de la fête du 30° anniversaire des scouts municipaux de Lomme en 1984, le rôle déterminant de Maurice Turpin dans leur fondation fut d’ailleurs évoqué. C’est en 1957 qu’ils rejoignent les Eclaireurs de France.
[1] Essentiellement par l’existence d’un fonds d’archives sur les scouts municipaux aux archives municipales de Lille (cote 3 R 2/17)
[2] La société municipale de gymnastique avait été fondée en 1933 avec deux sections, garçons et filles.
[3] Dehove a été maire de Lille nommé par Vichy. Il tutoie Planque dans la note. Le fait que le secrétaire général de la mairie soit président de la société municipale de scoutisme montre bien son intégration dans le système municipal. Après guerre, le papier à lettres des scouts municipaux est à entête de la mairie et comprend l’indication du service de la mairie où le commissaire général et le président sont en fonction.
[4] La bibliothèque municipale de Lille, pas plus que la Bibliothèque nationale de France n’en ont conservé de collection. Le bulletin parait encore dans les années 60.
[5] Les archives municipales de Lomme n’ont conservé aucun document à leur sujet.
Un complément apporté par Pierre Lipmann :
Je suis arrivé à Lille en 1946 et comme Commissaire de Province de « Flandre Artois Picarie » j’ai pris contact avec Turpin qui dirigeait les scouts municipaux qu’il avait
du créer avec la municipalité dont il était peut-être salarié à ce titre,le problème était de rester en parallèle avec les EDF ,tout en gardant le financement municipal. J’ai donc eu de nombreuses discussions avec Lussiez (SFIO) adjoint au maire (Augustin Laurent) qui avait dans ses attributions le suivi de Turpin.
En 1950 ou 51, changement politique : nouvelle municipalité, Maire Gaiffié RPF ; Mme Defline adjointe au Maire, chargée, entre autres, de faire un sort à Turpin, a pris contact avec moi (elle connaissait le scoutisme par ses enfants aux SDF). Quelques discussions pour aboutir à ce que la ville ne soit plus responsable des S.M. et que les troupes passent au district EDF, la municipalité continuant à apporter sa contribution via les EDF – mais je n’ai aucun souvenir de l’ordre de grandeur, pour nous il n’était pas négligeable.Turpin s’est évaporé dans cette opération…
Pierre tient également à préciser que, pendant cette période des « scouts municipaux », les E.D.F. ont toujours existé.
Commentaire :
Cet article est un excellent exemple de coopération « inter Mouvements » : cette situation nous a été signalée par Alain Morley, président des Tisons, associations des anciens E.U. : le relais local a été pris par Jean-Claude Vanhoutte, ancien E.D.F. et E.E.D.F.(*) ; l’auteur en est Jean-Jacques Gauthé, président de l’association 1907 pour l’histoire du scoutisme et animateur du réseau des anciens S.G.D.F., et le complément a été apporté par Pierre Lipmann, un ancien du coin également.
(*) Jean-Claude Vanhoutte tient à préciser : « ex scout municipal à Lomme »