Jean Dutheil, aujourd’hui parisien, consacre une partie de ses « mémoires » à son passage dans notre scoutisme à Albi pendant la guerre.
Extrait des mémoires de Jean Dutheil, ancien d’Albi
Le scoutisme
Le scoutisme représente sans le moindre doute le meilleur de ma carrière albigeoise. Je l’ai pratiqué à fond au cours des années 41 et 42 qui ont été de ce fait cruciales pour moi.
Il a été le révélateur et le catalyseur du potentiel de ma personnalité jusque-là indécise.
Il m’a tracé le chemin de la dignité, de la confiance en moi, de la nécessité du respect de soi.
Il m’a ouvert l’esprit au dédain de la petitesse et de la médiocrité morale et intellectuelle.
Il m’a octroyé le sens des responsabilités et partant l’autorité et la prise rapide de décisions.
Lesquelles impliquent un raisonnement clair et l’élimination spontanée des élucubrations inutiles.
Je ne me risquerais plus – surtout après cinquante années de juridisme – à prendre en charge comme je l’ai fait alors sans hésiter une bande de gamins et à l’entraîner au diable vauvert, éloigné de tout centre de soins et sans moyen de communication,
Je ne me permettrais plus de revigorer un adolescent tombé dans les pommes de fatigue en lui flanquant une paire de claques qui l’a remis sur pied.
Mais le scoutisme m’a doté de mon éthique qui n’est qu’une version mature de la loi scoute.
Infantilisme, direz-vous ? Précisément. Grâce à lui, je suis demeuré jeune aussi longtemps que devenu adulte prématurément.
Quoique aguerri par les péripéties douloureuses propres à toute existence, mon âge intime et sa pureté d’âme n’ont pas fondamentalement varié depuis qu’il m’a formé. Je dis la vérité, sauf lorsqu’elle est nuisible.
A quatre-vingt six ans, je me force à rester assis dans l’autobus pour ce pas céder ma place à une dame ou à d’apparents vieillards qui en ont dix de moins que moi.
Enfin, le scoutisme m’a préparé à côtoyer et affronter mes semblables sans a priori avec civisme, loyauté et indulgence, à relativiser leurs mérites et leurs tares, qu’ils soient socialement mes supérieurs, mes inférieurs ou mes égaux.
En conclusion, à vivre ma vie aussi pleinement et joyeusement que possible, dans la limite perfectible de mes moyens et du sort qui m’est réservé par ce qui est immuable dans ma destinée.
Nadine (mon épouse) aussi a été éclaireuse: moins consciemment elle est imprégnée de ses principes.
Non sans mal, je viens de remettre la main sur un numéro du mensuel « Le Chef « , auquel j’étais abonné de par mes fonctions.
La première ligne de son éditorial est sans bavure: « La vie scoute forme des chefs, le Scoutisme est une école de commandement ».
Après un tel panégyrique, si l’on m’avait dit un jour que mes enfants n’intégreraient pas cette panacée…
Tout a commencé rue Timbal ou rue Mariès, artères centrales de la ville. « Coq actif » approximativement de mon âge et moi nous y sommes reconnus par nos insignes à l’arc tendu.
Lui-même avait rencontré quelques heures plus tôt « Bison voyageur », sous-officier dans un régiments reconstitué sur place et titulaire du diplôme de chef qualifié.
À trois, nous avons créé à partir de rien une première troupe d’éclaireurs à laquelle nous avons donné le nom du célèbre navigateur albigeois La Pérouse. Nous avons prospecté dans tous les azimuts. Pour ma part, j’ai fait le tour de l’en semble des écoles primaires dont les directeurs et les maîtres m’ont accueilli à bras ouverts. Ceux qui en avaient nous ont pour la plupart confié leurs propres enfants; la fille de l’un d’entre eux est devenue cheftaine de nos louveteaux avec la soeur de Coq. Manifestement une organisation laïque de jeunes du type de la nôtre manquait à la cité. Et malgré les apparences la conjoncture se prêtait à notre développement.
Les Éclaireurs de France représentaient au même titre que d’autres Mouvements scouts une branche du « Scoutisme Français » qui avait reçu la bénédiction de Vichy. Les fonctionnaires dont les convictions ne correspondaient pas nécessairement à celles du maréchal pouvaient en sécurité nous confier leur progéniture sans crainte de représailles.
Le Patronage Laïque nous a prêté un local. Nous avons exercé nos activités et campé tout autour d’Albi, à Corder, à Ambialet, et pendant une quinzaine d jours à Anglès dans la Montagne Noire. Coq et moi avons fait fonction de chefs adjoints.On m’a totemisé « Héron distrait »…….
Le 21 avril 1941, la troupe a donné sa première représentation au théâtre municipal……Peu après, Bison a été muté. Le nombre de nos garçons était tel que nous les avons divisés en un clan de routiers, deux troupes d’éclaireurs et deux meutes de louveteaux. Nous avons sollicité en délégation le concours de l’inspecteur primaire, M. B…, un homme de haute valeur morale, qui a accepté d’être notre Chef de Groupe.
Le 7 mai 1942, c’est le groupe entier qui donnait sa représentation au théâtre municipal, cette fois sous la présidence du Préfet, du Maire et de l’Inspecteur d’Académie. La pièce maîtresse au programme était « Le médecin malgré lui » de Molière. Coq qui avait un don pour le spectacle s’était réservé le rôle de Sganarelle. Mais on trouve dans celui de Valère le valet de Géronte qui donne à Sganarelle des coups de bâtons sur les conseils de sa femme pour le convaincre d’être médecin le « routier Robert Cuq ». Cuq est devenu à la scène et à l’écran le comédien Pierre Mondy.
Si la « Tribu des sangliers de la Grésigne » a rapidement périclité car Coq qui la dirigeait, appelé à d’autre occupations (la Résistance ?), s’en est peu à peu écarté, ma «Tribu du Grizzly solitaire» a vécu une formidable année 1941-42. Je m’y suis livré corps et âme. J’ai obtenu l’appui d’un excellent second transfuge des Jeunesses Étudiantes Chrétiennes qui m’a succédé après mon départ et que nous avons totemisé « Chamois passionné ». Ce métier d’éducateur d’une trentaine de garçons répartis en quatre patrouilles ardentes et joyeuses, de trop courte durée, est l’un de mes moments forts. Il est le prélude de mes résultats ultérieurs dans d’autres domaines, et les transcende.
Mon espoir est que ceux qui nous ont suivis sont restés fidèles à l’idéal qui nous unissait et qu’ils n’ont pas entièrement oublié ceux qui ont tenté de le leur insuffler.
J’ai dirigé deux grands camps. Celui de l’Auriol, près de Mirandol-Bourgnounac (que je ne retrouve pas sur la carte), du 21 juillet au 7 août 1942. Puis, après mon départ forcé d’Albi, au cours de l’été 1943, le camp du Cygne à proximité du viaduc du Viaur, réservé aux chefs de patrouilles.
La préparation d’un camp, plus que de tout autre travail scout, est la chose la plus passionnante qui soit pour la formation d’un cadre, et l’avantage qu’on en retire se confond avec l’aventure du camp lui-même. Il ne consiste pas seulement à en choisir de visu l’emplacement adéquat, à en organiser le transport et l’approvisionnement, à en établir le financement, à préciser à chacun ce qu’il doit emporter.
Pour son succès, il est indispensable de le vivre par avance en imagination sur un thème ou en vue d’un objectif, l’ensemble assaisonné d’un piment de fantaisie. De prévoir, minute par minute, avec des variantes en fonction des conditions climatiques, de l’ambiance générale, de l’imprévisible, et des bouche-trous de toutes sortes, la totalité des activités qui auront à se succéder avec méthode ou à-propos.
Lorsqu’on a procédé à une telle tâche en s’amusant en cours d’apprentissage, plus rien n’est difficile quand on accède à la maîtrise, quelle que soit l’entreprise à laquelle on se consacre. Mettant toute fausse modestie dans ma poche avec mon mouchoir dessus comme je ne cesse de le faire, je n’ai pas connu de camp qui ait présenté autant de réelles qualités, si ce n’est celui de Saint-Jean, près de Moissac, auquel j’ai participé en tant qu’élève pour obtenir mon diplôme officiel de Chef. Il était dirigé par Pierre François, alors Commissaire National des Éclaireurs de France. Pour l’anecdote, je vous certifie que je l’ai vu de mes yeux cuire sur un feu de bois un œuf à la coque dans de l’eau contenue dans un cornet en papier-journal. À la Libération, Pierre François a été sollicité pour être ministre de la Jeunesse. Par malheur pour elle il a décliné. (*)
Ma propre carrière scoute a trouvé là son apogée en même temps que son terme. Lorsque je suis devenu parisien après la Libération, j’ai tenté en vain de la reprendre : le coeur n’y était plus.
Notre Fédération avec laquelle j’avais conservé des attaches s’est proposé de créer pour de jeunes hommes qui avaient dépassé l’âge de la Route et souhaitaient en maintenir l’esprit une espèce d’association quelle entendait doter de l’appellation « Méridien ». J’étais présent à sa réunion de création dans un amphithéâtre de la Sorbonne.
Après quelques bla-bla-bla des organisateurs un assistant dans les gradins s’est exclamé sans avoir demandé la parole : » Vous oubliez qu’un méridien n’est qu’une ligne imaginaire ! » Cet empêcheur de danser en rond, c’était moi.
(*) cette information n’est pas confirmée par la famille de Pierre François.
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