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1945.01 : La remise en marche de la F.F.E.

 Au sortir de la guerre, la Fédération va devoir se reconstruite et affronter de nouvelles réalités

 

1944 – 1945 : Mot d’ordre : de l’Occupation à la Libération…

« Le Trèfle » de décembre 44 publie un grand article de Renée Sainte-Claire Deville intitulé « Mot d’Ordre » et les pages E.U. évoquent les deux périodes de l’Occupation et de la Libération pour préparer la remise en marche de la Fédération. Dans les pages E.N., M. Barthélémy revient sur « caractère, personnalité, personne » avec une conclusion péremptoire : «  C’est que la mise au jour de notre mission spirituelle met au jour aussi la symphonie fondamentale des êtres que leur gangue charnelle rendait dissonants. Le caractère trouble le monde ; la personnalité s’isole dans le monde ; la personne s’unit au monde »… La préoccupation « spirituelle » reste d’actualité !

En 1945, un camp national est organisé à Bar le Duc, et A. Girard apporte des témoignages de Ravensbrück. L’Assemblée Générale présente des effectifs en hausse sensible : en France métropolitaine, la F.F.E. dépasse les 20000 membres, dont 12800 pour la section Neutre, 6800 pour la section Unioniste, 600 pour la section « Libre », 535 pour la section Israélite recréée. L’impression qui se dégage est celle d’ « une grande ardeur, une vague puissante décidée à soulever tous les obstacles ». C’est  aussi l’A.G. d’une nouvelle génération : Renée Sainte-Claire Deville annonce que « succédant à Chef Siegrist, à Chef Walther et à moi-même, Chef Lafuente, jusqu’ici Commissaire régionale d’Algérie, vient prendre la direction du Mouvement ».

En ce qui concerne la section Neutre, une circulaire du 14 décembre 1944, adressée aux Recteurs d’Académie par Gustave Monod, Directeur de l’Enseignement du Second Degré, les prie d’encourager le développement du scoutisme « neutre » dans les établissements, ce qui induit une recherche d’actions communes avec les Francs et Franches Camarades et les E.D.F. dans la recherche d’un « climat spirituel » : « une bonne mise au point de ce que peut être notre collaboration avec les E.D.F. et de ce qu’elle ne doit pas être paraît très importante à mettre au programme de cette année ».

Une préoccupation commence à apparaître en ce qui concerne les unités « Libres », qui se présentent comme « une collection de cas d’espèces très différents les uns des autres ». Cette catégorie devra être suivie très attentivement pour « éviter les déviations »… Le même sujet sera abordé en 1946 alors que leur effectif sera proche de 900 : les unités libres ne dépendent plus de la section Neutre, mais directement de la Commissaire Générale. « Il serait souhaitable qu’en plus de la déclaration de principes, le texte d’une convention fixe la position de chacune d’elles ».

1945 : les femmes deviennent électrices…

Dans le Trèfle de février, la présidente, Madame Pichon-Landry, ouvre une série d’articles d’information « politique ». Le D.T. n°93 du printemps 2004 en reproduit un extrait : « Voici donc les femmes placées devant de nouvelles responsabilités, de nouveaux devoirs. (…). Nombre de femmes se laissent effrayer par la responsabilité qui pèse sur elles… Je ne veux pas faire de politique, disent-elles…. L’abstention en matière électorale n’est rien moins qu’une désertion : ne pas voter témoignerait de bien peu de courage et, de plus, ce serait faire encore de la politique, puisque ce serait abandonner le terrain à ceux que l’on considère comme indésirables… C’est pourquoi l’éducation civique et politique des femmes est une des tâches qui s’imposent à nous avec une évidente nécessité. (…) Vous vous trouverez ainsi, lorsque les affiches électorales paraîtront sur les murs, prêtes à les lire, à les critiquer, et vous ne donnerez votre vote qu’à bon escient  en n’oubliant jamais que du choix des élus dépendent le bonheur des foyers et la restauration de la France »

Et le Trèfle de novembre 45 pose à nouveau la question récurrente : « Qu’est-ce que la F.F.E. ? »  à partir d’une affirmation : « De vieilles cheftaines – les cheftaines d’avant-guerre –, à qui l’on poserait subitement cette question, répondrait sans doute : « La F.F.E., c’est essentiellement un esprit ». Peut-être auraient-elles quelque peine à préciser leurs pensées…». La précision qui est apportée (aux « vieilles cheftaines ?) est : « La F.F.E. c’est d’abord une fédération, c’est-à-dire un groupement d’associations ; dans notre cas, nous disons plus volontiers un groupement de familles ». Suit un examen de la « bonne santé » de chacune des sections, avec un accent particulier sur celle de la section Neutre qui doit « être pionnière et se complaire aux postes avancés » et « pénétrer partout : la pensée d’un monde social encore inexploré doit l’attirer et la séduire ». « Son champ d’action actuel, c’est l’école officielle », mais « celle-ci n’est pas la seule voie d’accès que la section Neutre ait auprès des enfants ».

En décembre, « à propos de la politique »,  D. Gastinel lance un appel vibrant à l’engagement de la femme en politique : « À nous de répondre « Présentes » et de faire du Scoutisme, non une évasion du réel, mais une préparation à l’action politique et au service de la France ». On peut y voir le début d’un changement de discours par rapport aux temps, pas si lointains, où il était question de « Primauté du Spirituel »…

1946 – 1947 : développement et perte de moyens financiers :

L’A.G. suivante mêle deux constats : d’une part, les moyens, humains et financiers, accordés par l’État dans l’année qui a suivi la Libération, ont été très réduits et conduisent à des économies drastiques dans le fonctionnement, en particulier par la suppression de postes de salariées ; d’autre part, la Fédération voit encore ses effectifs progresser…

Au total, la F.F.E. compte presque 30000 membres, dont 17000 pour la section Neutre,  9400 pour la section Unioniste, 1300 pour la section Israélite, 900 pour les unités « libres ». Et ce développement aurait été encore plus fort si le recrutement de responsables l’avait accompagné…

À noter, en février, l’apparition d’un « Comité des cheftaines libres penseuses », apparemment à la suite d’une scission du Comité précédent en deux sous-comités, l’un de catholiques, l’autre de libres-penseuses. C’est peut-être le signe d’un malaise interne à la section Neutre qui, jusqu’à une date récente, accueillait les unités « libres » (donc sous influence catholique) qui ont été, peu de temps avant, rattachées directement à la Commissaire Générale. Y. Viguier y succède à M. Walther et à M. Bruppacher et propose des thèmes de réflexion pour lesquels elle lance un appel à contributions : entretiens spirituels N dans les camps-écoles, cercles N pour cheftaines et E.A. des centres importants, camps de formation personnelle, témoignages dans la revue…

En janvier 1947, l’équipe nationale pose la question « Où en sommes-nous ? » et pense pouvoir y répondre que la cohésion est retrouvée, chaque section s’étant clairement définie. Capacité de faire neuf et dynamisme conquérant doivent suivre : « à la longue période de recherche qui a précédé, succède aujourd’hui une époque de construction. Nous y entrons avec confiance… ». Mais tout ne semble pas parfait du côté de la section Neutre, et H. Lavoine, Commissaire nationale Neutre, écrit en juin une « Lettre aux cheftaines Neutres » qui met quelque peu les points sur les i dans une période où la F.F.E. se sent attaquée : « Pour répondre à ces attaques, il faut croire en la valeur de notre action, l’appuyer sur des bases solides et être prêtes à combattre. Or, Cheftaines, à voir le spectacle que vous offrez aux Conseils provinciaux (pour ne citer qu’un exemple, Conseils auxquels vous venez ou ne venez pas, bien qu’ils soient souvent votre unique occasion de prendre conscience du Mouvement national auquel vous appartenez, on a l’impression que vous dormez. (…) . Existe-t-il dans une ville un groupement des divers organismes de jeunesse neutres ou laïques, les E.N., comme par hasard, n’y sont pas. (…) Peu m’importerait de lire chaque semaine dans les organes des divers groupements laïcs, syndicalistes ou communistes, des articles nous attaquant à tort ou à raison , soit par sectarisme, soit en exploitant les maladresses de quelques cheftaines, si je savais que d’autre part vous êtes toutes prêtes à lutter pour cette position de pointe qu’est notre conception de la laïcité, la vraie laïcité, celle de l’École qui ne demande aucun renoncement, aucune compromission, aucune mutilation, qui n’est ni anti-ceci, ni anti-cela, mais également accueillante pour tous ».

Peu de textes de la revue font aussi directement allusion à la laïcité, qui va, en novembre de la même année, faire l’objet d’un grand article intitulé « Recherche autour du problème laïque pour la section Neutre » et articulé en trois grands volets : ce que n’est pas la laïcité, ce qu’est la laïcité, l’éducation laïque. La troisième partie aborde le sujet de l’éducation en le dédoublant : « L’homme est libre par sa nature, mais il est aussi admis que l’homme appartient à un ordre social et à une civilisation. Il y aura donc lieu d’envisager deux éducations pour répondre à ce double aspect :

–   l’éducation laïque partant de l’être social et pénétrant son individu, lui enseignant les modes de l’époque, lui permettant de devenir l’homme d’une civilisation, un type de citoyen,

–   l’éducation religieuse partant de l’intérieur et rayonnant sur l’extérieur ».

Et la conclusion de  cette « causerie », faite par un instituteur, revient au scoutisme : « Comme l’école laïque bien comprise, le scoutisme neutre est une école de liberté et de respect qui, s’il a l’audace d’être fidèle à sa vocation, devra connaître un rayonnement toujours plus, large. Il doit rester et devenir de plus en plus un carrefour de l’amitié française ».

(Extrait de l’ouvrage « Cent ans de laïcité dans le scoutisme et l’éducation populaire »)