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1945.01 : Les valeurs de la F.F.E. N

… d’après le Manuel de l’Éclaireuse paru en 1945 et « Le trèfle », revue des responsables et aînées

 

La spiritualité & l’engagement de la Fédération Française des Éclaireuses et de sa section Neutre

Spiritualité :

Le « manuel de la cheftaine d’éclaireuses », paru peu de temps après la Libération, aborde le sujet très complètement. Cet ouvrage, rédigé par des cheftaines « durant les derniers mois de l’oppression allemande », a fait l’objet de deux « tirages » différents, destinés, l’un à la section neutre, l’autre à la section unioniste de la F.F.E.. Une bonne partie en est commune aux deux sections, le chapitre « spiritualité » étant spécifique à la section Neutre. Il nous a semblé possible de considérer que ce document représentait le résultat d’une évolution, dont les pages suivantes s’efforceront de rendre compte.

 

Nous en reprenons ici les principaux éléments car ils semblent marquer une différence essentielle dans la conception et la vie de ce que les E.D.F. appellent la « laïcité ». Par contre, il convient de situer ce texte dans son époque et dans son environnement : la présentation qui est faite du rôle de la cheftaine résulte de l’expérience acquise en 25 années de scoutisme féminin. Le rôle de la femme n’a pas encore beaucoup évolué – le vote des femmes est, en France, une nouveauté -, la formation de la fille en résulte. Alors que, chez les garçons, la traduction pratique de la laïcité consiste essentiellement à accompagner les pratiquants le dimanche aux cultes, sans donner au chef un rôle quelconque dans le champ du spirituel, la cheftaine a un rôle qui dépasse largement la simple mise en œuvre de la loi et de la promesse. Une remarque également au sujet du vocabulaire : ce texte appelle « libres penseuses » toutes les filles qui ne pratiquent pas une religion, en donnant à cette expression un sens plus large que celui qu’elle a habituellement.

Ce chapitre fait partie d’un ensemble articulé de la façon suivante :

–     le scoutisme : l’éducation et l’éducateur, l’adolescente, Baden-Powell et le scoutisme,

–     sa réalisation : la cheftaine, le clan, le conseil de chefs, la compagnie,

–     ses activités : le jeu, épreuves et brevets, la santé, la vie de plein air, le camp, chants, fêtes et feux de camp,

–     la vie spirituelle : la loi et la promesse, la vie spirituelle dans une compagnie neutre, le civisme,

–     les relations : famille, école, métier, les différents milieux de recrutement,

–     les autres branches, la F.F.E., le Scoutisme Français, le Scoutisme mondial…

Cette rubrique situe donc la spiritualité de la section Neutre dans l’ensemble des valeurs, principes,  activités et relations de la Fédération, dont les autres sections ont une référence religieuse. Il est intéressant d’en résumer le contenu, mais également d’en conserver le ton et le magnifique style :

« Cheftaine, ta compagnie se doit d’être une communauté spirituelle. J’entends : ta compagnie n’est pas seulement un groupe de jeunes qui font en commun des efforts pour vivre une morale plus rigoureuse. Ta compagnie est une source spirituelle où viennent s’alimenter et se retremper les volontés. (…) Vas-tu signifier aux libres penseuses : « Ici, vous vivez la loi scoute, mais son fondement, vous le chercherez seule dans ces heures d’inquiétude où l’on construit, défaisant désespérément l’édifice ». Alors l’enfant sentira en elle-même l’obscure déception de n’être pas aidée à créer le plus précieux d’elle-même. »

Essayons de décrypter ce passage : contrairement aux E.D.F., la jeune éclaireuse « libre-penseuse » (c’est apparemment le terme retenu) vit à côté d’autres qui, dans leur section, sont appelées à mener une vie « spirituelle » et elle risque de ressentir un manque qu’il importe de combler. D’où la nécessité, pour la cheftaine, de se donner les moyens d’un accompagnement spécifique, parallèle à celui des autres sections : « Il ne suffit pas qu’une loi morale contraigne et plie la volonté. Pour devenir vraiment efficace, elle doit forcer l’adhésion de l’âme entière, et pour cela, émaner d’une perfection, d’une beauté suprême. « Il faut aller au bien avec toute son âme » enseignait Socrate. ( …) Il faut enfin que tu puisses offrir aux enfants que leurs parents tiennent en dehors de toute action religieuse une grande chance, je suis tentée de dire leur seule chance » (Chef Walther).

La conclusion de ce passage, avant les « suggestions pratiques » en vue de la mise en œuvre, se veut lyrique : « Peut-être qu’en cherchant à donner à l’âme le goût du spirituel nous aurons aussi créé de l’amour. En effet, c’est par la communion dans la recherche de l’absolu que naît la vraie charité. Éprouvant enfin la joie de voir tomber les barrières, nous créerons le respect mutuel des bonnes volontés, moins orgueilleuses des solutions trouvées, des apaisements conquis, que conscientes d’être animées du même grand désir d’Infini. »

Les solutions apparaissent comme le prolongement logique de cet objectif d’accompagnement de l’éclaireuse : le silence – « il fut de tout temps, il est en tout pays, le porche de la spiritualité » -, les méditations et les entretiens spirituels, l’appel des héros, l’éducation par le beau…

En ce qui concerne les méditations et entretiens spirituels, « toute cheftaine peut parler à ses éclaireuses. (…) Une méditation est un moyen de communication profonde. Si elle est valable, sa tension exige qu’elle soit brève : cinq minutes sont une moyenne. (…) Quelle différence y a-t-il entre la méditation qui s’adresse à toute l’unité et l’entretien spirituel réservé aux libres penseuses ? Dans la méthode, l’entretien spirituel peut être analogue à la méditation. Ce qui me paraît important, c’est de l’accomplir dans un état d’âme fervent, et non intellectuel. (…) En aucun cas, n’essaie d’imiter la marche du culte protestant ou de la prière catholique. Dans le choix des sujets, limite-toi, autant que possible, à des problèmes de stricte libre-pensée, laissant le spiritualisme large aux rassemblements d’unité. (…) Voici, à titre de suggestion, une série de sujets d’entretien : Tes obstacles (solitude) – tes guides (Socrate, Antigone, etc.) – ta conscience – ta mission dans le monde – ta mission dans le scoutisme.. ;

Et en voici une autre intitulé : itinéraire de la libre pensée : L’évasion – le choix – la construction – la retraite solitaire – l’union aux autres – l’union des autres.

Que les libres penseuses se sentent unies dans leurs difficultés, dans leurs manières de chercher et de découvrir. Ainsi, sans faire chapelle, feras-tu l’union ».

À noter qu’un renvoi de bas de page semble marquer un certain scepticisme : « Ces exemples nous paraissent bons à condition que la forme de la présentation soit adaptée à des enfants de 13 et 14 ans. »

En conclusion de ces conseils – ou de ces directives ? -, l’ouvrage insiste sur l’action individuelle de la cheftaine : « Tu suis l’enfant de sa première inquiétude spirituelle jusqu’à son engagement définitif sans rupture ; car une rupture serait artificielle qui, sous prétexte de neutralité, se désintéresserait de l’orientation profonde d’une âme. (…) Ne crois pas ton rôle passif. Avoir suivi les progrès d’une vie spirituelle à son début, avoir rempli modestement le rôle de double fraternel et lucide, remettre l’âme aux mains de son vrai guide, puis s’effacer… c’est la joie la plus pure que puisse connaître une cheftaine d’unité neutre. »

Cet ouvrage officiel, édité peu de temps après la fin de la seconde guerre mondiale, place très haut le rôle de la cheftaine d’éclaireuses de la section neutre et, malgré la présence de nombreux exemples et suggestions, définit plus un objectif ambitieux qu’une méthode d’animation. Il semble toutefois significatif d’une évolution dans ce domaine après deux décennies d’action et de réflexion. Il est clair que la cheftaine d’éclaireuses neutres a un rôle à jouer dans l’accompagnement spirituel des filles qui lui sont confiées, rôle qu’on ne retrouve pas chez les E.D.F. Cette différence semble importante.

Une remarque a été formulée par l’une de nos lectrices : ce « manuel de la cheftaine d’éclaireuses » emploie assez fréquemment des termes à connotation religieuse : âme, communion, charité,…

Engagement et engagements :

En complément de la « spiritualité » évoquée par le chapitre précédent, tout au long de son existence, la F.F.E. a très nettement marqué une volonté de prise en compte de problèmes de société et d’engagement aux côtés d’organismes divers œuvrant dans ce sens.  Dès la fin des années 20, « le Trèfle » présente, souvent à part presque égale avec les articles traitant de la méthode scoute proprement dite, des éditoriaux évoquant un certain nombre de sujets d’actualité pour lesquels la revue assure le relais d’actions en cours.

C’est ainsi que, dans un numéro de septembre 1929, une place importante est accordée à un éditorial de  Marc Sangnier, bien connu  pour son action sociale dans le cadre du Sillon. Il y lance un appel pour la promotion de la « Croisade de la Paix » ; il signe « Président du Comité de direction et chef des Volontaires » tout en précisant les objectifs – et les limites – de l’engagement demandé aux jeunes : « On nous demande parfois quelle est l’attitude des Volontaires devant le service militaire ou en cas de guerre, et s’il n’est pas bien tôt pour faire prendre parti à des garçons aussi jeunes. Les Volontaires, en tant que Volontaires, ne prennent pas parti dans les questions politiques non plus que dans les débats des objecteurs de conscience. L’engagement du Volontaire ne résout aucun des cas qui peuvent être considérés comme douteux. (…) Entraîner des garçons de quinze ans à faire de la politique serait en effet leur faire prendre un parti trop jeune. Mais leur faire affirmer qu’il faut que les hommes s’aiment et cessent de se massacrer, c’est autre chose. On peut et on doit leur demander de prendre parti entre les forces de haine et les forces d’amour ; on prend plus aisément parti pour l’amour  à leur âge, plus tard, la vision des choses est obnubilée. » Il est intéressant de constater que Marc Sangnier évoque les garçons mais que la revue F.F.E. élargit son message à des responsables et des aînées filles.

Dans un autre domaine, la plupart des revues de 1934 évoque la « crise morale » et l’engagement de la F.F.E. aux côtés du « Cartel des Forces Spirituelles Françaises » : « Toutes les consciences pour lesquelles le mot d’honnêteté a gardé la plénitude de son sens ont été profondément troublées par les récents scandales, les consciences scoutes comme les autres. Wladimir d’Ormesson, dans un article paru dans « Le Temps » à la fin de janvier, se demandait si les honnêtes gens, trop souvent silencieux, ne se décideraient pas à faire entendre leur voix. Ils y pensaient précisément, et Mme Brunschwig, d’accord avec M. d’Ormesson, a convoqué le lundi 29 janvier, au Musée Social, toutes les associations ayant une activité d’intérêt public et s’inspirant de préoccupations morales. R. Sainte-Claire-Deville y a représenté la F.F.E. (…) Le titre de « Cartel des Forces Spirituelles Françaises » a été choisi pour désigner l’ensemble des associations qui seraient disposées à entreprendre une action commune pour l’assainissement de l’atmosphère morale française. » Suit le texte du « manifeste… » tel qu’il a été signé par la F.F.E. et accepté avec conviction par 28 Commissaires réunies en camp à Jouy-en-Josas le 12 février.  En mai de la même année, une « campagne pour la probité » est lancée par le Cartel et annoncée par Le Trèfle dans le même esprit. Une grande réunion est organisée à la Sorbonne sous la présidence du recteur Charléty sous le thème général « Sommes-nous responsables ? ». La notion de probité y est analysée dans diverses étapes de la vie, le sujet « la probité et les jeunes » étant abordé, entre autres, par R. Sainte-Claire-Deville.

Notons également, quelques années plus tôt (mars 1927), l’engagement de la Fédération dans la lutte anti-alcoolique : « Chacun sait, par expérience, que les temps actuels sont durs pour les contribuables directs ou indirects, c’est-à-dire pour tout le monde. Citadins et villageois se soumettent aux exigences fiscales, mais ils ne peuvent comprendre que toute une catégorie de citoyens échappe à la loi commune. En effet, les bouilleurs de cru sont exemptés de droits sur les premiers litres d’alcool qu’ils distillent. L’opinion publique s’est émue de cet abus, elle est résolue à y mettre un terme et des pétitions circulent par toute la France sous les auspices de l’Académie de Médecine. (Suit le texte de la pétition). Il est du devoir de la F.F.E. de lutter contre l’alcoolisme, le fléau national qui dégrade moralement et physiquement. Or le privilège des bouilleurs de cru encourage l’alcoolisme dans les campagnes et chez les enfants. Aussi désirons-nous nous associer à cette protestation de l’Académie de Médecine pour essayer d’extirper de notre législation le privilège néfaste. Les Commissaires régionales recevront des pétitions à faire circuler, qu’elles utiliseront comme il leur semblera opportun. »

Nous pouvons observer, en feuilletant un grand nombre de numéros du « Trèfle », que cette préoccupation d’engagement, qui lie l’éducation de la jeune fille par le scoutisme à son rôle dans la société, est tout à fait permanente et se traduit très concrètement dans les périodes « difficiles » des années 30 et 40. La F.F.E. annonce clairement son objectif de formation à la citoyenneté…

(Extrait de l’ouvrage « Cent ans de laïcité dans le scoutisme et l’éducation populaire »)