La société évolue et les responsables de la F.F.E. mènent une réflexion approfondie qui aboutira à une évolution…
1948 : le camp national de La Rochette :
En 1948, un « camp national » à La Rochette près de Melun ouvre une grande période de réflexion, essentiellement sur deux thèmes :
– « la recherche du scoutisme », titre d’un exposé de Jacqueline Bricka, commissaire F.F.E., pour ouvrir les débats, avec la participation de M. Laborde, directeur des CEMEA,
– « les missions de la F.F.E. » : mission commune de la fédération, mais mission propre à chaque section, en particulier pour la section Neutre « dans la perspective d’un accord avec les E.D.F. ».
Il est prévu que ces débats se prolongent dans les journaux, les conseils provinciaux et dans des « expériences ». Des lignes générales se dégagent :
« – garder un scoutisme exigeant, fondé sur la Loi et la Promesse, donnant une grande place à la vie de plein air,
– s’intégrer d’avantage dans la vie même du pays. Accentuer le sens civique, se préparer pour des services effectifs, ouvrir les yeux sur les questions économiques et politiques, s’informer et s’affirmer.
– proposer aux jeunes des épreuves et des activités plus en rapport avec la vie moderne, ce qui signifie faire effort d’imagination et d’invention… »
Ces orientations vont avoir des conséquences à court terme, en particulier pour la section Neutre.
1949 : l’accord avec les E.D.F. :
« Le Trèfle » de janvier 1949 publie le texte de l’accord signé par la section Neutre de la F.F.E. avec les E.D.F. On peut considérer ce texte comme une des conséquences de la réflexion lancée à La Rochette car il met clairement en évidence la « mission propre » de la section Neutre par rapport à la « mission commune » de la Fédération : à travers ce texte, c’est bien une évolution fondamentale des principes même du scoutisme qui est abordée, avec l’introduction de la coéducation et de la mixité.
L’accord est très complet et il est difficile de le reproduire dans son intégralité. Mais il est intéressant d’en relire l’exposé des motifs, dont les termes ont été sûrement très « pesés » de part et d’autre :
« 1°- Nous nous adressons au même milieu et aux mêmes familles. La nécessité s’impose donc naturellement de conjuguer nos efforts ;
2°- Nous sommes, de part et d’autres, pauvres en moyens financiers et humains. Une organisation commune doit nous permettre non seulement de faire les économies indispensables, mais encore de donner le maximum d’efficacité aux cadres et aux moyens dont nous disposons. Ce faisant, nous donnons l’exemple de ce civisme actif que, par ailleurs, nous prônons tant ;
3°- Dans l’époque actuelle où s’écroulent les cloisons entre le monde masculin et le monde féminin, deux organisations séparées semblent anachroniques. Avec une décision qui n’exclut pas le bon sens, nous devons créer les conditions nécessaires à de saines rencontres.
Ceci étant dit, il faut bien préciser que nos accords ne sont pas centrés exclusivement sur la mixité. Elle n’en constitue qu’un corollaire, heureux sans doute, mais sur lequel nous ne nous hypnotisons pas.
Il faut aussi affirmer que les E.D.F. ne cherchent pas à démolir la F.F.E. dans sa structure actuelle. C’est pourquoi nous ne parlons actuellement ni de fédération, ni d’association, et que nous n’envisageons pas de donner à nos accords une forme statutaire. Nous attachons beaucoup plus d’importance à une coopération réelle qu’à un juridisme aussi gênant qu’abstrait ».
Tout est dit… ou non dit. Il est évident que la contradiction sous-jacente entre « mission commune » et « mission propre » constitue l’arrière-plan de cet exposé, et ce d’autant plus que, dans cette période, seule la section neutre semble se poser ce genre de question, et non les sections confessionnelles, qui auraient pu, également, envisager un rapprochement avec les associations masculines correspondantes, à partir d’un même… exposé des motifs. Vu a posteriori, ce document contient en germe les difficultés qui ne manqueront pas d’apparaître.
Arrêtons-nous sur un point, qui semble important : la coéducation et la mixité ne sont pas données comme l’objectif fondamental de cet accord, dont elles n’interviennent que comme un « corollaire ». Ce qui est mis en évidence, c’est, en terme de « marketing », le constat d’une « clientèle » commune – « nous nous adressons aux mêmes familles », c’est-à-dire aux jeunes de l’enseignement public – et la nécessité d’une mise en commun de moyens pour une meilleure efficacité. C’est quand même l’ébauche d’une « entreprise » commune !
Cet exposé des motifs est suivi d’un « plan d’organisation » très complet, combinant :
– éléments de la structure collective,
– conditions d’autonomie,
– programmes des activités.
Pour la « structure collective », le « conseil de chefs » sera mixte à tous les échelons, du groupe à la Nation. Au niveau du groupe local, l’aboutissement ressemble à une réelle fusion des structures existantes, mais on retrouve la difficulté déjà évoquée : « le chef de groupe ou le commissaire de district commun respectera scrupuleusement les consignes éducatives ou techniques propres à chacun des Mouvements. Ces consignes seront toujours transmises par son canal.»
Pour les « conditions d’autonomie », aux échelons nationaux et provinciaux la double hiérarchie est maintenue et chaque association conserve le mode d’élection et de nomination qui lui est propre. Au plan local, les cotisations sont payées comme précédemment et « la question des sympathisants est à mettre au point ».
Le programme des activités donne un inventaire de travaux :
– de réflexion, « de pensée, recherche de l’esprit commun »
– de coordination pour la mise en place des structures et de la formation,
– d’édition de périodiques et de documents de propagande,
– de partage des services administratifs.
Quelles que soient les affirmations, on a vraiment l’impression que va être créée une nouvelle association…
Les « instructions d’application » qui suivent confirment cette orientation :
1°- mise en place : concerne les groupes existants, avec inventaire des groupes ou districts « défaillants »,
2°- cas d’un groupe nouveau : « il faudra admettre que, dès l’origine, le groupe soit considéré comme commun »,
3°- les unités féminines ne doivent dépendre que de la F.F.E. : « aucune unité féminine ne pourra être en registrée par les E.D.F., et réciproquement ». Indépendamment du fait que le « et réciproquement » est bizarre (s’agit-il d’unités masculines que la F.F.E. s’interdirait d’enregistrer ?), le fait d’évoquer ce cas est peut-être un signe,
4°- l’élection d’un chef de groupe ou d’un commissaire de district se fera à la majorité des 2/3 mais avec un nombre égal de voix pour chaque Mouvement,
La suite traite des dénominations, de la périodicité des réunions d’équipes, puis de l’application de la coordination aux diverses branches. Pour les branches cadette et moyenne, une commission est créée pour étudier les progrès réalisés, des assistants communs seront mis en place, éventuellement des publications et des actions de formation communes seront envisagées. L’autorisation de créer des unités mixtes, à titre provisoire, n’est évoquée que pour les branches cadettes. Pour la branche aînée, « il est essentiel que jeunes gens et jeunes filles aient souvent des activités communes, mènent ensemble des entreprises ou des services communs, luttent ensemble pour un même idéal ». Cette acceptation de fait de la mixité conduit à la création d’un « conseil de direction du scoutisme aîné ».
Cet accord est signé par l’ensemble des responsables nationaux des deux parties :
– H. Lavoine, V. Didier, D. Brandel, A. Lafuente pour la F.F.E. N
– P. François, J. Estève, R. Duphil, P. Buisson, J. Cabot pour les E.D.F.
« Le Trèfle » de février 1949 – le mois suivant, donc très vite après cette déclaration d’intentions communes – aborde, dans les pages consacrées aux Petites Ailes, le problème de la mixité à la branche cadette, sous le titre « une idée qui n’est pas neuve ». En effet, des essais ont déjà été réalisés, par des unités unionistes, dans des paroisses où le nombre d’enfants concernés était insuffisant pour la création de deux unités. La même situation s’est d’ailleurs également présentée pour des cheftaines institutrices dans de petits villages où les classes étaient mixtes et a conduit à la création de « groupes mixtes ».
Un rapide tour d’horizon « de ce qui existe ailleurs que dans le scoutisme » rappelle que « le système scolaire est mixte depuis toujours aux U.S.A. » et que « nous avons aussi en France des écoles mixtes, non seulement dans le village à classe unique, mais en dehors des établissements de l’État, dans des écoles réputées pour la valeur de l’éducation et de l’enseignement qui s’y donnent ». Et on évoque la famille « où frères et sœurs vivent sous le même toit ». Suivent des « observations pédagogiques » et un grand chapitre sur « les conditions de réussite d’un groupe mixte à l’âge P.A. – Louveteaux », avec des considérations sur les proportions respectives de garçons et de filles dans l’unité et la nécessité d’activités séparées.
Un élément nous semble important : bien que l’auteur de cet article soit Violette Didier, par ailleurs signataire de l’accord avec les E.D.F. au titre de la F.F.E., il ne concerne pas que la section Neutre. Un prolongement de cette réflexion est prévu à la prochaine réunion de la « Commission P.A. à Mardi-Gras ».
« Le Trèfle » de mars 1949 présente, sous la double signature de Léone Mallefont pour la F.F.E. N et d’Érable Lévy-Danon pour les E.D.F., un « service propagande » commun F.F.E. N – E.D.F. et conclut : « Ces réalisations auront d’autant plus de valeur et d’efficacité qu’elles s’adresseront à l’ensemble des jeunes, filles et garçons, du secteur laïque. Secteur qui est également évoqué dans une présentation de la « Quinzaine de l’École Laïque » organisée par la Ligue de l’Enseignement.
« Le Trèfle » de juin fait un pas de plus dans la présentation de « la liaison F.F.E. – E.D.F. au sein du groupe local » en rappelant que « cet objectif des groupes communs doit être atteint au premier octobre prochain, dussent certaines personnes à l’amour-propre encombrant ou à la routine incurable en faire les frais. Nos filles et nos garçons attendent autre chose de nous qu’une sclérose dans des formules dépassées bien souvent.» À titre d’exemple, c’est Henry Gourin, commissaire national E.D.F., qui présente l’organisation du groupe F.F.E. N – E.D.F. de Montluçon, avec une conclusion plutôt optimiste sauf sur un point :
« Ainsi, le groupe se présente comme une grande famille très unie. On ne saurait parler de « contacts » entre garçons et filles tant ils ont tous la certitude d’appartenir au même groupe. Leurs joies, leurs réussites sont communes, comme leurs soucis ou leurs échecs. ; et les autorités, les parents, le public ont bien l’impression très juste d’un Mouvement très uni. (…) Une fausse note jaillit parfois quand il faut parler finances car il a bien fallu deux caisses distinctes puisqu’il y a deux associations distinctes. (…) Il va sans dire que nous souhaiterions une administration simplifiée et unifiée… ».