Rechercher

1948 : Une grande période de réflexion pour la F.F.E.

… et ses suites :

Ces documents semblent mettre en évidence, en quelques mois, une réelle volonté de construire ensemble de nouvelles structures et de nouvelles activités. Mais cet optimisme est certainement prématuré car de nouveaux événements vont intervenir et conduire à la convocation d’un rassemblement de la section Neutre, fin septembre, à Moulins.

Un  numéro spécial du Trèfle, daté du mois suivant, en rend compte. En tout premier lieu, il rappelle la chronologie :

–   28 juin 1948 : les E.D.F. présentent un  projet d’accord entre les deux Mouvements ;

–   septembre 1948 : les cheftaines, en camp national, sont informées de ce projet et se prononcent pour un certain nombre de modifications ;

–   3 octobre 1948 : un contre-projet est présenté au Comité National E.D.F.. À la suite des amendements demandés par les E.D.F., un projet d’accord est soumis aux cheftaines dans les congrès provinciaux ;

–   6 décembre 1948 : signature des accords ;

–   26 juin 1949 : Pierre François, considérant les accords comme une solution bâtarde, met la F.F.E. en demeure de se prononcer sur le principe d’un Mouvement unique.

Ce qui entraîne une décision du Comité National de soumettre la question à toutes les cheftaines de la section Neutre au cours d’un rassemblement.

Le Trèfle fait ensuite état d’une « seconde mise au point » concernant « l’emploi même du terme de mixité » qui était à la base de toutes les discussions : « Dans le vocabulaire actuel, tout est mixité : camp commun, caisse commune, fête commune, commissaire commun…(…) Le terme même de mixité recouvre en réalité deux  ordres de fait qu’il confond et qu’il lie à tort :

–   les activités mixtes et la coéducation,

–   les structures mixtes,  c’est-à-dire le mouvement unique.

L’un n’entraîne pas forcément l’autre. »

Suit un développement précisant que les activités mixtes sont souhaitables, aussi bien du point de vue de l’éducation que du point de vue de l’efficacité. Par contre les structures mixtes sont moins acceptables : « Les intérêts féminins courent très vite le risque d’être négligés car les conditions de vie et le comportement psychologique des femmes les placent généralement dans les rôles d’adjointes. (…)  L’autonomie féminine a donc besoin d’être affirmée dans les structures même.

La revue rend ensuite compte de l’intervention de Pierre François, qui confirme son accord quant à la nécessité de traiter séparément les deux problèmes, mais fait remarquer que « le succès de la coéducation tient pour une grande part au climat dans lequel elle est pratiquée. Ce climat ne pourra être créé que si les contacts ne sont qu’épisodiques. En conséquence, des expériences valables ne pourront se faire que dans un seul Mouvement ». Dans ces conditions, il lui semble impossible de conserver le protocole, qui a été accepté par les E.D.F. comme un minimum et un point de départ vers une position plus totale. Mais le retour à la situation antérieure aux accords n’implique pas a priori l’impossibilité de travailler ensemble. Un groupe de cheftaines insiste pour que le projet proposé par les E.D.F. fasse l’objet d’une lecture, dont la revue donne une analyse : à partir des formes juridiques et statutaires :

–   constitution de la section Neutre en association,

–   constitution, sous forme d’association déclarée, d’une fédération des deux Mouvements,

sous cette apparence fédérative, s’organise en fait un seul Mouvement.  Cette orientation est confirmée par les autres éléments du projet : structures, direction du Mouvement, équipes de branches, nomination des cadres,  représentation, administration.

Sur ce dernier point, une remarque peu diplomatique : « Il serait stupide d’inventer un nouveau système administratif… La solution la plus sage est d’adopter le système administratif en vigueur chez le plus grand nombre, c’est-à-dire celui des éclaireurs. »

« Après avoir demandé divers compléments d’explications, les cheftaines, étant maintenant en possession des éléments indispensables pour se faire une opinion personnelle et prendre une décision motivée, s’en furent se coucher ou, plus souvent, discuter par petits groupes. »

Le dimanche, la discussion reprend à partir d’un exposé de l ‘équipe nationale qui, jusqu’alors, avait décidé de se prononcer catégoriquement. Son texte est présenté comme une motion intitulée « Proposition d’organisation pour un travail commun entre les E.D.F. et la F.F.E. ». Le préambule rappelle « la nécessité de ne pas cloisonner l’éducation des filles et celle des garçons ».  Mais « l’enrichissement espéré étant fondé sur un double apport, féminin autant que masculin, il importe de maintenir cette double ligne de forces. (…) En conséquence, nous demandons que les principes de :

–   l’autonomie de direction par double hiérarchie à égalité à tous les échelons,

–   l’autonomie d’orientation par la liberté d’alliances,

–   l’autonomie de gestion par trésorerie et budget propres,

soient strictement respectées. »

Ces principes se traduisent par la définition d’organismes de travail commun, par un programme d’entreprises communes, par un calendrier permettant une coordination à tous les niveaux.

Dix-huit interpellations sont présentées, avec les arguments suivants :

–   faisons des expériences ensemble avant de conclure à l’intérêt d’un Mouvement unique,

–   la nature féminine étant influençable, il y a risque de voir les intérêts féminins passer au deuxième  plan d’un Mouvement commun,

–   créons ensemble quelque chose de neuf,

–   quel sera l’accueil des familles ? faut-il commencer par former les parents ?

–   faire éclater la F.F.E. serait un grave aveu d’échec,

–   la désintégration est commencée,

–   des modalités peuvent être trouvées,

–   une fusion n’apporterait rien aux finances de la F.F.E. et l’État risque de réduire les subventions…

Une anecdote au passage : des exemples ayant été demandés de cas où, dans une organisation mixte, on arrive à « oublier et à évincer les éléments féminins », l’exemple présenté est celui du scoutisme tunisien…

À partir de ces interpellations, six motions sont rédigées. La première, qui propose une rencontre en vue de la création d’un Mouvement unique, est rejetée par 78 voix contre 32 et 4 abstentions. Un complément, présenté pour un dernier effort de conciliation, est également rejeté par 66 voix contre 39 et 6 abstentions. En conclusion, c’est la proposition de l’équipe nationale, entraînant le rejet de celles de Pierre François, qui est votée par 59 voix contre 38 et 17 abstentions. Le texte de la motion précise quand même que « l’application des propositions de l’équipe nationale reste souple et s’adapte aux possibilités matérielles et morales de chacune. »

La rupture est-elle consommée ? Ce n’est pas certain si on s’en tient aux conclusions du rassemblement présentées par Le Trèfle : « Étant donné le respect toujours accordé à la minorité, la section Neutre se doit, comme premier objectif, de tenter de réussir des entreprises communes avec les E.D.F. D’hier à demain, les décisions prises n’impliquent aucun recul et aucune rupture. Les situations établies restent acquises. ». En particulier, « là où le groupe commun est déjà organisé, le travail continue. Là où rien n’est encore fait, le Conseil de groupe doit se constituer. » Autrement dit, il semble que la F.F.E. N souhaite, en réalité, continuer sur la voie ouverte par le protocole d’accord, pourtant déclaré caduc par les E.D.F.. Le Comité Neutre et le Comité National ratifient les vœux présentés par la majorité au Rassemblement des cheftaines et fixent un ordre d’urgence, en conservant la coordination de deux domaines d’activités : l’organisation d’un service Extension commun et les relations avec l’École Publique.

La suite :

Le Trèfle de décembre 1949 rapporte la motion votée successivement par le Comité National et le Comité Directeur des E.D.F. :

«  Considérant l’échec du regroupement des unités E.D.F. et F.F.E. section Neutre dans la plupart des groupes locaux, malgré les efforts qu’ils poursuivent depuis plusieurs années ; considérant la position prise au Congrès de Moulins par la F.F.E. à l’égard des propositions E.D.F. pour la constitution d’un Mouvement unique,

les Éclaireurs de France constatent que le protocole du 1er janvier 1949 est devenu caduc et en conséquence le dénoncent.

Les Éclaireurs de France se déclarent toujours partisans d’un Mouvement de coéducation et affirment qu’ils restent prêts à le réaliser avec la section Neutre de la F.F.E., en précisant qu’un Mouvement de coéducation n’implique pas une mixité systématique de toutes les unités.

Dans les circonstances actuelles, les Éclaireurs de France, soucieux de n’agir qu’avec toutes les garanties de succès, ne croient pas possible de lancer immédiatement un nouveau Mouvement.

Ils décident cependant qu’au cours de l’année 1950 quelques unités féminines pourront être admises chaque fois que les conditions nécessaires paraîtront réunies et sous le contrôle très vigilant des équipes provinciales et d’une responsable nationale.

En tout état de cause, les Éclaireurs de France rappellent la décision du Comité Directeur, en date du 4 juillet 1948, admettant la mixité des clans. En conséquence, la branche Route poursuivra dans les moindres délais la mise en place des responsables féminines à tous les échelons. ».

Le même numéro explicite la position de la section Neutre :

«  Le Comité Neutre, de son côté, examinait avec les Commissaires de province présentes les différentes situations créées dans les provinces par l’attitude (ou les attitudes) des E.D.F. à la suite de nos décisions. Pour éviter la confusion et répondre au désir exprimé par la majorité des cheftaines, il est nécessaire de réaliser une unité d’action dans le Mouvement.

En conséquence, à qui demande dans quel sens travaille la F.F.E., on peut répondre, quelle que soit la branche, la ligne de conduite déterminée en septembre est suivie : autonomie de direction, d’orientation, de gestion.

Le travail avec les E.D.F. n’est stoppé que là où ils refusent de collaborer ; partout ailleurs, la bonne entente continue dans l’autonomie des deux Mouvements. Quelques dissidentes sont passées chez les E.D.F., mais de tous côtés la cohésion s’affirme dans la F.F.E. et les créations se multiplient. »

Il semble donc, à la lecture de ces textes, que la rupture est consommée, à partir de l’automne 1949, après une période de rapprochement en vue de la construction d’un « nouveau Mouvement de coéducation ». Si les E.D.F. annoncent – plus ou moins clairement – leur intention de recevoir des « unités féminines » à la branche verte, et leur confirmation de la mixité de la branche aînée, la F.F.E. confirme, de son côté, son souhait de voir continuer des expériences locales « dans l’autonomie des deux Mouvements ».

Le rapport moral pour l’année 1949 reprend l’historique du projet de relations avec les E.D. F. et conclut « La section Neutre était décidée à faire loyalement l’expérience pendant un an avant de se prononcer sur sa valeur. Malheureusement, elle n’a pu aller jusqu’au bout. (…). Ceux-ci, décidés à créer un Mouvement laïque mixte ont rompu les accords précédents, accueilli les cheftaines minoritaires de la F.F.E. et sont partis « en marche vers un Mouvement commun » en créant au sein de leur association des unités féminines.

« Le Trèfle » de mai 1950, dans sa rubrique « Nouvelles de la section Neutre » qui accueille une nouvelle présidente, Madame Lempereur, institutrice, député du Nord, évoque sommairement les relations qui s’installent : « Notre situation, par rapport aux E.D.F., est toujours délicate. Des troubles et des heurts se produisent dans certaines localités. Sur le plan national, nous cherchons un modus vivendi permettant de rétablir des relations normales entre nos deux associations. ». Le « travail en milieu laïque » continue, « dans le sens très concret  des États Généraux de la France Laïque », avec l’organisation de colonies de vacances en liaison avec les U.F.O.S. et les amicales laïques et un protocole d’accord de la branche aînée avec le Mouvement Laïque des Auberges de jeunesse.

À l’examen de cette période, plusieurs responsables de l’époque pensent que le comportement de Pierre François à Moulins n’a pas été très… diplomatique et est pour beaucoup dans cette rupture. Interrogé, celui-ci nous a confié, quelques années après, que c’était peut-être vrai mais qu’il avait surtout eu l’impression que plusieurs des ses interlocutrices hésitaient grandement devant ce saut dans l’inconnu et qu’il fallait peut-être  les mettre devant leurs responsabilités…

Il est peut-être important de rappeler que Renée Sainte-Claire-Deville, responsable nationale, est devenue Madame Georges Bertier et que, dans la même période, celui-ci se détache des E.D.F. et cherche à leur porter préjudice. Certains analystes n’hésitent pas à faire le rapprochement, mais nous n’avons pas d’éléments permettant de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse. Notons simplement que l’idée même d’un Mouvement de coéducation dans le scoutisme est alors une idée neuve, d’ailleurs pas toujours acceptée au plan international (voir à ce sujet les éléments rapportés pour les E.D.F.) : il est peut-être dommage qu’elle ne soit pas allée plus loin dès cette période.

1950 : Comment aborder l’éducation sexuelle ?

« Le Trèfle » de mars 1950 aborde le sujet, plus sous forme interrogative qu’en apportant des réponses : « Pour nous, cheftaines, qu’en est-il ? Où en sommes-nous, que faisons-nous, qu’avons-nous à faire ?

Cet article, signé de Marguerite Klein et Claudie Vieux, traduit surtout une prise de conscience. Il commence par un inventaire de difficultés « qui entravent ou faussent l’éducation sexuelle », concernant aussi bien les cheftaines, « très jeunes, et parfois trop jeunes » – « à leur manque de maturité vient s’ajouter souvent un manque de culture, de réflexion, de pensée » – que les enfants : « l’époque à laquelle ils vivent vient contrarier, par son manque de raison, son immoralité et sa dureté, une évolution normale et harmonieuse. » Et le chantier est difficile pour d’autres raisons : « Soulignons également que la femme, appelée à se débattre comme un homme, risque de perdre le sens de sa féminité, aussi bien à son travail que dans son milieu familial » – ce qui ne semble pas être en lien direct avec le problème posé : « Nous n’avons pas tant à informer qu’à réformer ; il faut repartir à zéro et redonner aux notions acquises leur réelle signification, leur vraie beauté. (…).

À cette éducation sexuelle est proposé un double but :

–   donner des notions de physiologie : les appareils génitaux et leur fonctionnement, la conception, la naissance, le système endocrinien,

–   acheminer vers un comportement plus humain et plus harmonieux : « il serait dangereux de dissocier physiologie et morale, vie physique et caractère ».

La conclusion n’est pas très optimiste : « l’éducation sexuelle n’est pas une technique statique, elle évolue sans cesse. À tout instant, nous nous trouvons devant des cas « d’espèce », à résoudre dans le tête-à-tête. C’est pourquoi il est dangereux d’écrire, de dire : « faites ceci, faites cela ». Et c’est pourquoi, également, cet article est très incomplet. »

Une remarque à la lecture de ce texte, remarquablement écrit, qui ne doit pas être prise pour une critique mais est un constat : à aucun moment il n’est question de coéducation, ni des problèmes qu’elle peut poser dans des activités juxtaposées ou mixtes : le sujet est abordé sur un plan général, comme si le rapprochement récent avec le scoutisme masculin n’y apportait pas un élément particulier.