Ce document nous a semblé particulièrement intéressant parce qu’il semble résumer tout à fait son époque.
Il se situe à la rentrée scolaire de 1945, quelques mois après la fin de la guerre, à Cappy qui, malgré les dégradations subies depuis cinq ans, continue d’assurer tant bien que mal son rôle de camp-école. Il est même indiqué, dans le programme quotidien, deux passages au « bain », ce qui semble indiquer que le bassin – qu’on ne peut certainement pas qualifier de piscine ! – est toujours en état. Rappelons au passage que Cappy a, à partir de 1943 et jusqu’à la rentrée scolaire 1944-1945, hébergé et caché des enfants juifs menacés par l’occupant, activité à l’origine de la création du Comité Protestant des Colonies de Vacances (C.P.C.V.). Ce lieu est donc, en lui-même, significatif de la reprise d’activités de nos Mouvements.
Significatif, également, la conception et le contenu du programme du camp-école. Il s’agit d’un « Cappy Route », c’est-à-dire de l’équivalent de nos « stages deuxième degré ». Le premier degré de formation est apporté par des C.E.P. (« camps écoles préparatoires ») ; on peut considérer que le C.E.P. a pour but de donner un minimum de formation pour les activités « de base » aux aînés souhaitant la compléter, le Cappy permettant d’aller un peu plus loin dans la prise de responsabilité. Les participants ont donc, en principe, franchi cette étape et ont une expérience de direction d’un clan. C’est par rapport à cet objectif qu’il faut situer ce contenu.
Que constatons-nous ? En tout premier lieu, l’importance des « entretiens spirituels » et des instants de « mot d’ordre » après le lever des couleurs.
En ce qui concerne les premiers, il est possible que les entretiens spirituels soient liés à la présence sur le camp de participants issus des Éclaireurs Unionistes qui en partagent la direction, mais les sujets abordés témoignent de la préoccupation constante chez les E.D.F. (et peut-être plus encore à la F.F.E.) de mettre en évidence une spiritualité non uniquement religieuse : Jean Libman, qui a longtemps animé les groupes de réflexion des E.D.F. sur ce sujet, semble en assurer la responsabilité au cours de ce camp.
Les sujets abordés vont dans ce sens : le premier concerne « la spiritualité des E.D.F. ? » – avec un point d’interrogation, pose une question : « l’idéal scout est-il suffisant comme spiritualité » mais conclut que « la loi scoute doit être dépassée ». Ensuite, on va aborder :
– le rôle du dimanche « jour de vie spirituelle » pour le libre-penseur,
– le problème de la Foi, nécessaire et dangereuse mais « force »,
– le sentiment paternel et la joie de la paternité,
– l’art de vivre, la vulgarité et l’enthousiasme,
– la notion d’élite,
En ce qui concerne les « mots d’ordre », on peut y voir la proposition d’une « morale pour les jeunes » à diffuser dans les clans : n’oublions pas, en effet, que ces réflexions ne sont pas destinés à former les participants, mais qu’elles s’adressent à des responsables chargés de les transmettre…:
– l’utilité, dans la vie du clan et par l’exemple,
– la pureté, prise dans son sens positif,
– l’optimisme,
– l’amitié scoute…
Les « topos » concernent, bien évidemment, le métier de chef de clan dans ses diverses composantes :
– le conseil de clan, les équipes,
– les activités du clan (camps volants, grands jeux, enquêtes),
– les techniques d’expression, l’art dramatique,
– le Routier et la politique,
– les cercles d’études,
– le chef de clan et le Mouvement,
– les programmes,
– le recrutement…
pour se terminer par une question de fond : la Route répond-elle aux besoin des jeunes ? en apportant une réponse de fond : la Route est un Mouvement de jeunesse parmi d’autres, elle a un rôle propre qui en justifie l’existence. Et cette conclusion est confirmé par « Oncle Bob », Robert Lafitte,grande figure du scoutisme unioniste.
Comme toujours dans les camps-écoles, les exposés théoriques sont complétés par des activités permettant de mettre en pratique les solutions proposées, et d’en critiquer la réalisation. À noter plus particulièrement, dans cet esprit, la construction d’une exposition humoristique sur le thème du « scouticisme » évoqué par la revue Esprit ; il en est d’ailleurs question à plusieurs reprises : compte tenu du rôle important joué, à cette époque, par la revue et Emmanuel Mounier dans la réflexion sur la société à) construire, cette critique est, effectivement, à prendre en considération.
Une remarque au passage : pendant le camp, de nouvelles chansons sont apprises, beaucoup sont de William Lemit (les paroles sont notées sur le carnet du stage, elles ne figurent pas encore sur le carnet de chant du participant) : le répertoire s’ouvre sur la nature, le folklore, la vie…
Au total, cette session de formation peut être considérée comme significative sur un autre plan : elle ne présente pas, dans sa conception, sa structure et ses apports, beaucoup de différences avec les sessions « d’avant-guerre », ce qui pourrait signifier que la Route elle-même n’aurait pas beaucoup évolué. Or les événements vont démontrer, à court terme – au cours des années suivantes – que le Routier n’est plus ce qu’il était, que cette prise en charge par des « chefs » à partir d’une approche très scolaire, sera, bientôt, considérée comme inadaptée – que la Route est à l’orée d’une mutation importante dont nous trouverons la trace dans la littérature de l’époque, mais aussi dans les orientations et les activités de la branche.