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1966 : Le centre éducatif et culturel d’Yerres

 

 

Enseignant passionné de recherche et d’innovation pédagogique, Jacques Drouet s’est intéressé très vite à l’expérience du C.E.C. d’Yerres et a participé, de 1969 à 1972, à la vie du Collège Guillaume Budé. Il nous en décrit quelques étapes et en tire quelques conclusions.

 

Jean-Paul Sartre a parlé des « heures lumineuses » de Mai 68. Celles de Septembre suivant prirent l’allure funèbre d’un enterrement. Dans ce Lycée Technique où j’étais  affecté, l’alliance entre l’administration et les collègues rétrogrades en pédagogie , mais radicaux en politique, instaurait, en cet automne, une triste restauration.

 

La panique de certains adultes devant les pavés de Paris et, plus proche, l’agitation des adolescents occupant les espaces scolaires, fit place au soulagement de la reprise en mains et du retour à l’ordre moral. Les activités du « foyer socio-éducatif », ferment d’aspirations novatrices les années précédentes, furent habilement « officialisées » et, de ce fait, « domestiquées ». Ceux qui, comme moi, « y avaient cru », se morfondaient, quand apparut une lueur d’espoir avec le bruit selon lequel se mettait en place un établissement « expérimental » au « Centre Educatif et Culturel » du Val d’Yerres. J’y courus et rencontrai Jean Estève.

 

D’emblée, le contact entre nous fut chaleureux. Il m’expliqua le projet de structures intégrées selon le modèle des Communauty Schools britanniques, immergeant les établissements scolaires dans la vie culturelle et sociale de la Cité. L’architecture, toute nouvelle, visait à favoriser le « brassage » des enseignants avec les autres responsables de l’éducation.

 

Muté pour la rentrée de septembre 69 au C.E.S. Guillaume Budé, qui occupait l’angle nord du C.E.C., j’y retrouvais plusieurs collègues nouvellement affectés et aspirant, comme moi, à pouvoir, enfin, innover en dehors du carcan rigide de la scolarité traditionnelle. Ce fut un bouillonnement de recherche pédagogique tous azimuts. Tel, agrégé d’histoire, croyait moins à l’enseignement de la chronologie qu’à l’éveil du sens … musical chez les adolescents. Ses compétences en la matire devaient faire de lui le chantre d’une discipline artistique négligée. Telle autre, plus géographe, comptait développer l’étude du milieu environnant, matière d’éveil reconnue. Un mathématicien original proposait d’enseigner arithmétique et géométrie en mettant les élèves au défi de compter les graviers de la cour bordant l’Yerres ! Chacun apportait ses suggestions, ses critiques … ou ses fantasmes !

 

La sagesse imposait pourtant de « ne rien bousculer » dans un établissement qui, auparavant Collège d’Enseignement Général (C.E.G.), se transformait, avec notre arrivée, en Collège d’Enseignement Secondaire (C.E.S.). En respectant à peu près son fonctionnement antérieur, nous commencions à préparer la rentrée de septembre 70.

 

Cette réflexion en commun s’élaborait dans un climat d’affectueuse cordialité. Nous étions heureux de pouvoir échanger en toute franchise, de nous confronter souvent avec passion, de mieux nous connaître. Nos discussions tournaient parfois à l’orage. Après l’une de mes interventions, un peu musclée, lors d’une assemblée, Jean Estève me rétorquait : « Non ! Vous n’êtes pas Jésus-Christ  ! » . Nous aimions cette sincérité parfois brutale, cette recherche, ce statut de « volontaires », peu soucieux de respecter les « temps de service » du droit syndical et, comme je jouissais d’un certain leadership, je proposai des rencontres supplémentaires sous forme de pique-niques entre nous pendant des jours de congé. Ces heures conviviales restent, pour moi, l’un des souvenirs lumineux de cette aventure !

 

Le schéma d’innovation prévu pour la rentrée de septembre 70 comprenait, comme pièce maîtresse, la coupure de l’emploi du temps : la matinée restait consacrée à l’enseignement des disciplines fondamentales (français, mathématiques, langues vivantes), l’après-midi permettant la constitution d’ateliers, mélangeant classes d’âge et sections.

Fleurit alors une étrange diversité d’activités dont certaines recouvraient les matières traditionnelles jugées « accessoires » (!) : musique, arts plastiques, sport, étude du milieu, mais d’autres débordaient les « programmes officiels » : artisanat, audiovisuel, danse, théâtre… Fut même entérinée pour un temps la proposition d’un atelier « déconnage », signe évident du besoin, chez les préadolescents, d’une affirmation « hors normes » de leur personnalité !

 

Ce bouleversement des structures habituelles ne s’opérait pas sans complication. Pour nous qui, responsables de ces groupes hétérogènes, devions « animer » des activités pour lesquelles nous n’avions pas toujours la compétence ni la formation. Pour l’administration, souvent dépassée par la difficulté du pointage des présents et des absents . pour les élèves, perplexes devant la diversité du choix ou frustrés de ne pouvoir s’inscrire à un atelier déjà complet.

 

J’ai évoqué des points de friction avec Jean Estève qui, peut-être (trop) marqué par ses fonctions passées à la tête des Éclaireurs de France, imposait, en vertu d’un certain « magistrocentrisme », un point de vue selon lequel la pédagogie constitue un domaine réservé aux professionnels…Ces désaccords n’ont jamais entamé ni l’admiration que j’ai toujours exprimée pour lui, ni son amitié pour moi.

 

En janvier 72, découragé par les symptômes d’un échec inéluctable, je décidais de quitter le C.E.S. De l’échec du C.E.C., la responsabilité ne lui incombe en rien. Il se devait de l’assumer comme il avait, dans sa jeunesse, connu des épreuves bien plus terribles. Sous sa direction, la tentative des équipements intégrés n’a pas prouvé son efficacité, mais le projet ne s’est pas éteint. L’une de ses fidèles a repris le flambeau et fondé l’Association Internationale qui vise à en promouvoir la théorie, l’esprit et la réalisation.