Un texte rédigé par Willy Longueville avec la coopération de Dominique Chaslin-Deslaugiers, fille de Paul
Petit Breton deviendra grand
Paul CHASLIN est né le 17 février 1923, de père « horloger-bijoutier-photos » et de mère « Dame des Postes ». Sa famille vit bien, mais dans la simplicité. Elle est catholique mais son père est ultra laïc. Il est baptisé à Loudéac (Côtes d’Armor-22) et fait deux ans de catéchisme… mais lit « La Princesse de Clèves » dans son livre de messe !
D’abord scolarisé dans le village, à l’école publique, il est interne à 10 ans au lycée de Saint Brieuc : c’est l’année de sa communion et de sa confirmation… mais il coupera plus tard avec l’Église. En classe de troisième Paul est impressionné par un de ses professeurs, Charles Aguesse. Un jour, lors d’une discussion, Paul prend le chapeau de ce professeur et le lui met sur la tête. Les autres élèves sont surpris. Le professeur est fâché…mais ne lui en tiendra pas rigueur : ils deviendront amis toute leur vie.
Charles Aguesse deviendra Directeur de la Jeunesse en Algérie où Paul le retrouvera en 1944 après le passage des Pyrénées et plusieurs mois d’internement au camp de Miranda en Espagne. Aguesse devient Commissaire local des EDF sous l’influence de Paul ! Durant la Guerre d’Algérie Paul et lui rencontreront Germaine Tillion, ethnologue et Résistante, co-fondatrice du réseau de Résistance du Musée de l’Homme. C’est Germaine Tillion qui remettra la Légion d’Honneur à Paul.
Pendant son internat à Saint Brieuc Paul assiste à une conférence sur le scoutisme donnée par André Lefèvre (Vieux Castor) venu relancer la « troupe » du Lycée Anatole Le Braz, puis une autre par Fernand Joubrel. C’est un grand tournant dans sa vie : à 13 ans il entre ainsi chez les Éclaireurs de France, dans cette « troupe » de Saint Brieuc qui redémarre après une éclipse de 10 ans. Il aimait raconter que son parcours « éclaireur » lui a donné, très jeune, l’occasion de rencontrer quelques personnalités : Albert Lebrun, Président de la République et Jean Zay, Ministre de l’Education nationale, lors de leur visite à Saint Brieuc en 1938, ainsi qu’Albert Châtelet qui les accompagnait. Il avait de bonnes raisons de les rencontrer : il s’occupait des toilettes !
Au lycée de Saint Brieuc toujours, Paul a comme répétiteur M. Rivoilan qui s’occupe de la bibliothèque des manuels scolaires des élèves : Paul l’aide à nettoyer, à remettre en état ou à classer les livres pour la rentrée. En fin de troisième il est toujours interne à Saint Brieuc. On pense que la guerre est proche. On le voit s’occuper des réfugiés républicains espagnols, puis, plus tard, des populations réfugiées du nord de la France envahie par les troupes allemandes qui sont réunies dans la gare et où il devient très ami avec l’écrivain Louis Guilloux, un homme de gauche (Secours Rouge), auteur de « La Maison du Peuple ».
On rapatrie les élèves internes : les Allemands sont à Lamballe. En seconde, lors d’une première manifestation, il rencontre Guy Robert, un jeune professeur Normalien, Secrétaire fédéral de la SFIO. Paul va également rencontrer un surveillant du lycée qui s’occupe de la bibliothèque où Paul passe de longues heures, Jacques Desmeuzes. Paul l’amènera au scoutisme, qui lui, l’a amené aux Auberges de Jeunesse.
Paul se rapproche des « gens » et a l’idée de rencontrer les élèves, filles et garçons, de l’école libre : il crée « l’Association des Étudiants de Loudéac, catholiques et laïques ! Son père lui fait donner des cours de philosophie et de mathématiques durant la fermeture temporaire du lycée de Saint Brieuc occupé par les Allemands : il va découvrir Péguy et Bernanos.
En 1939 il fait un grand voyage à bicyclette de Paris à Fécamp et séjourne dans les Auberges de Jeunesse.
En 1940 il voulait entrer à Normale Sup. mais son père le fait entrer en « hypotaupe » dans l’espoir de le voir intégrer Polytechnique Pour lui c’est la grande adaptation. Il est rebelle, sans conflit, mais déjà d’esprit « rocardien ». Il arrive à Louis le Grand, en « taupe », mais s’y ennuie très vite : il n’a jamais compris pourquoi les « matheux » ne s’intéressaient pas à la vie courante… Il aura de grandes discussions, toujours rebelle, sans tricher, sans essayer de plaire.
Sa seule règle de vie, à l’image de celle de son père, née de la Guerre 14-18 : le PACIFISME. De plus il se sent SOCIALISTE et SCOUT et GAULISTE : ce sont là ses quatre vérités.
Il dispose d’un local où il s’isole souvent avec les autres EDF. Il passe rue Mouffetard pour se rendre à la Maison pour Tous. Le 11 novembre 1940, il veut sortir de l’internat, alors que c’est interdit, pour aller à l’Arc de Triomphe. Il est encerclé par les deux bras musclés d’Athos, un garçon de Loudéac qui lui dit : « Que vais- je dire à ton père ? ». Il ne fera pas partie des Résistants de la première heure ! Un jour, Boulevard Saint Michel, il sera malmené avec quelques camarades porteurs de l’étoile jaune avec l’inscription « BRETON » ! En 1942, dans le métro, se rendant chez la famille Girard chez qui il loge, il est arrêté par un agent de la Force publique. Ce dernier lui demande sa carte d’identité et pense qu’il est juif parce que… né à la Ville Jacob à Etables (22)! Paul est emmené au poste. On examine ses papiers et Paul finit par demander à téléphoner au curé d’Etables. Il est libéré et on lui rend, sans l’avoir fouillée, sa sacoche…bourrée de tracts de son réseau « Défense de la France » qu’il avait plié en quatre la nuit précédente !
En juillet 1943, il part pour l’Espagne afin de rejoindre les Forces Françaises Libres. Responsable de deux camarades internes comme lui au lycée de Saint Brieuc puis étudiants à Paris, il quitte Paris pour Pau en utilisant la filière d’évasion de son réseau. Pour la première fois il mange dans un wagon restaurant de 1ère classe et il se trouve à une table occupée par trois allemands. Ils parlent musique. Au bout d’une heure, il y a un contrôle dans le train : sa carte d’identité est fausse et…ce sont les allemands qui négocient sa tranquillité !
Ils se réfugient au Château de Pau où Paul doit rencontrer leur « contact », un gardien. Celui ci le rembarre, le menace d’appeler la police Afin de mettre ses compagnons de voyage à l’abri il organise un « faux camp scout » mais le curé du village lui dit qu’ils font peur aux villageois et les oriente vers Oloron Ste Marie. Puis ce sera Toulouse où Paul retrouve par miracle la personne chargée des filières d’évasion du réseau. Pierre Dejean, Commissaire National pour la zone occupée, resté au 66 Chaussée d’Antin, lui a confié quelques courriers pour les responsables EDF du Maroc et d’Algérie. Mais pendant le voyage vers l’Espagne, toujours tous les trois, ils ont un guide qui leur dit « La frontière est devant vous. Courez ! » Ils se pensent en Espagne et parlent avec un berger qui leur donne à manger. Leur intention est de rejoindre Lisbonne ou Gibraltar en comptant sur une population qu’ils pensent hostile aux autorités franquistes. Mais rien n’est si simple… Ils s’abritent dans un bâtiment des Ponts & Chaussées où ils retrouvent quelques membres d’autres groupes. Ils repartent et….se retrouvent devant un très grand mur et surtout entourés d’allemands ! Ils sont transférés au camp-prison de Miranda par la garde civile espagnole Paul y sera infirmier.Ils y resteront cinq mois.
Accompagnant un convoi de la Croix Rouge, Paul peut rejoindre le Maroc puis l’Algérie où il a des contacts avec les EDF. Après une formation militaire il devient sergent parachutiste et participe aux combats de la Libération avant de se retrouver formateur de cadres FFI.
Après la Guerre, il reprend ses études à l’École des Travaux Publics. Son engagement le conduit vers le secteur de l’éducation au sens large. En 1959 il crée la société « Geep Industries », spécialisée dans la construction de bâtiments scolaires et universitaires.
Mais laissons la parole à Paul Chaslin :
« Une expérience d’intégration, tentée dans la commune de Chambourcy en 1959 (maire : Georges Gallienne, fils du pasteur Gallienne, un des fondateurs des EDF, adjoint : Jean Louis Barrault, à l’époque directeur du Théâtre de l’Odéon) avait échoué sur les écueils ministériels; je revenais d’un voyage aux Etats Unis où j’avais constaté la grande ouverture des communautés. Chez nous pas de partage, chacun se voulant le patron exclusif -pour ne pas dire le propriétaire- du territoire qui lui était échu par la grâce des scrutins, des concours, des habitudes ou du « piston », sans souci de l’efficacité globale des services publics, notion inconnue alors…
En 1965 nous disposons de solides atouts pour tenter une nouvelle expérience. La taille de l’entreprise que je dirige a atteint un niveau permettant de commencer à échapper à la monotonie routinière des plans types en s’attaquant chaque année, hors programme, à un bâtiment expérimental : Sucy en Brie en 1963, Marly le Roi en 1964…
Par ailleurs, à Orléans, lors du 40ème anniversaire des EDF, sous l’amicale pression du Ministre Claudius Petit, ancien EDF, j’ai accepté l’idée de prendre des responsabilités municipales…
Enfin, trois responsables de haut rang dans les trois ministères concernés – l’Éducation Nationale, la Jeunesse et les Sports, les Affaires Culturelles – partagent nos vues sur l’intégration : Pierre Renard, ancien Éclaireur Unioniste, Jean-Baptiste Grosborne, ancien Scout de France, Augustin Girard, ancien Éclaireur de France…
A l’automne 1966, un « charter », élargi à des représentants des divers ministères et des grandes organisations ainsi qu’aux habitants de Yerres les plus représentatifs, prend le chemin des « community colleges » anglais et c’est dans le dernier de ceux ci que nous présentons les plans du Collège Culturel de Yerres (Essonne-91). De ce voyage, font partie notamment Pierre François, alors Directeur de la Jeunesse à l’Unesco, Jeanne Déjean, Inspectrice Générale de la vie scolaire et Georges Bilbille, qu’en temps que Président de la Maison pour Tous à la suite de Pierre Kergomard j’ai fait installer comme Directeur de la « rue Mouffetard »
Cette démarche pédagogique s’inscrit dans la ligne des principes ayant abouti à la mise en place, depuis la Libération, des lycées-pilotes et des classes nouvelles, que nous devons, entre autres, à deux grands présidents de l’Association des Éclaireurs de France, Gustave Monod et Louis François. S’y ajoutent les préoccupations plus récentes, exprimées aussi bien dans les projets des Maison de la Culture que dans les Mouvements tels que « Peuple et Culture »… Pour moi c’est simplement le rapprochement et la coopération organique de deux établissements que j’ai eu la chance de fréquenter : l’École Decroly, dirigée magistralement par Mion Valloton, et notre vieille « Mouff » de Vieux Castor et Mère Louve…
Le Collège Culturel de Yerres, bientôt rebaptisé « Centre Éducatif et Culturel » ouvre ses portes dès la rentrée de 1967. Encore faut-il pour diriger ce navire exceptionnel, un capitaine d’exception : Jean Estève, encore Commissaire Général des EEDF, est l’oiseau rare ! Dès son arrivée à Yerres pour la rentrés 1968, il impose sa marque, faisant preuve de grandes qualités de pédagogue, mais aussi d’organisateur et de diplomate, gommant toutes les difficultés entre les administrations, entre associations locales et entre les personnels de statuts très différents.. »
Mireille Roux, membre de l’équipe nationale, maintenant EEDF depuis 1964, sera également du staff du CEC.
La société GEEP participe à la conception et à la réalisation de l’Université « ouverte » de Vincennes décidée en juillet 1968 sous Edgar Faure. Les travaux sont réalisés a à la grande satisfaction de tous. En 1969-1970 Paul Chaslin emploie 1300 salariés dont 250 ingénieurs dans le Bureau d’études qu’il a installé dans l’ancienne abbaye de Yerres. Ses trois fabriques emploient 1000 personnes et jusqu’à 4000 autres travaillent sur les chantiers… Mais un Ingénieur des Travaux Publics, grand chef d’entreprise, qui a le goût de l’innovation, de la création, de l’efficacité de l’entreprise et qui prétend construire mieux, plus vite et moins cher, dans le seul intérêt de la collectivité c’est à dire pour le compte de l’2tat, doit compter sur les volte-faces de ce même Etat !
En tout cas, GEEP Industries, qui travaille essentiellement pour l’État, n’aura droit, dès 1970, à aucun traitement privilégié. Il vaut mieux pour une Entreprise s’intéresser au secteur privé et n’accepter de travailler avec l’État que de façon marginale, pour optimiser un plan de charge ! Bref, des chantiers importants échappent au GEEP, l’État ne paie pas en temps voulu. Le 10 mai 1971, l’État doit 13 millions de francs au GEEP ! Les grosses difficultés arrivent, puis un procès et, pour Paul, 48 ans, une grosse dépression. Et que dire de l’ensemble de son personnel et de sa famille ?
Pour ne pas rester sur une note trop pessimiste disons que Paul a, entre autres et sans ordre, collaboré avec Paul Puaux au Festival d’Avignon, été Directeur adjoint du C.C.I. de Beaubourg, conseiller du Recteur de l’Académie de Versailles et du Délégué Ministériel à la Ville, Membre du Comité Directeur des EEDF de 1972 à 1978…. et a présidé « Peuple et Culture », association de démocratisation de la Culture en France. Association dont on se souvient qu’elle est née de l’École d’Uriage, école des cadres de l’État Français qui a basculé en grande partie dans la Résistance, dont le maquis du Vercors, en 41-42. École dans laquelle l’idéal du Front Populaire côtoyait (pas allégrement!) l’esprit de la Révolution Nationale.
Une des dernières initiatives de Paul a été d’obtenir de la Ville de Paris la pose d’une plaque sur la façade du 76 rue Mouffetard pour rappeler l’importance de ce lieu « minuscule et pourtant immense », l’expression est de Christophe Girard, adjoint à la Culture du Maire de Paris.
Paul est mort à Binic (22) le 17 janvier 2012. En 2008, il avait été élevé au rang de Commandeur de la Légion d’Honneur, décoration remise par son amie chère, la Résistante Marie José Chombart de Lauwe, à l’occasion d’une cérémonie présidée par Stéphane Hessel, Ambassadeur de France. Dans l’assemblée, au Ministère de l’Économie, parmi une centaine de personnes, on avait pu relever, entre autres, Alain Touraine, sociologue, Gérard Worms, dirigeant de la Banque Rothschild, Laurent Joffrin, journaliste, Jacques Morizet, Ambassadeur de France, Jean-Michel Bloch-Lainé venu lire une lettre de son père François Bloch -Lainé, ancien Président du Crédit Lyonnais…
Paul était ami de Michel Rocard et ami intime de l’écrivain de Saint Brieuc, Louis Guilloux. Il fut l’un des fondateurs de la « Société des Amis de Louis Guilloux ».
Alors petit, cet « éclaireur Breton » ?
Willy Longueville