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2007 : à l’occasion du centenaire du scoutisme,

… le rappel de quelques souvenirs du côté de Caen.

 

 

Un joli texte, écrit à cette occasion, retrouvé récemment. Merci à l’auteur – A.H. – de se faire connaître !

Bonjour à tous !

Je me présente : je m’appelle Henry.  Eh ! oui.  Mais pour vous je serai Castor Froid.

Je viens de très loin pour vous rencontrer. De tout près dans l’espace puisque je suis caennais  depuis plusieurs générations. Mais de très loin dans le temps puisque depuis trois quarts de siècle je suis parti en chasse derrière Akéla, cheftaine de louveteaux.  Et, de mon mieux encore, je suis la trace.

Vous qui vous êtes engagés sur cette piste du scoutisme vous me comprendrez certainement quand je vous dirai qu’elle a été, et qu’elle est encore l’intuition profonde de mes choix et de mes affections. Peut-être aurai-je quelque mal à vous faire partager la nostalgie de tous ces souvenirs qui m’assaillent à ma tombée de jour. Car l’histoire a beaucoup tourné, ailleurs comme ici, et l’aspect des choses a varié. L’aspect seulement, pas le fond, bien sûr.

Le scoutisme avait 24 ans, et moi 8. Je ne sais pas quel âge avait la cellule caennaise des Éclaireurs de France, mais je sais qu’il y avait déjà une meute de louveteaux, une ou deux troupes d’éclaireurs, un clan de routiers, des cheftaines, des chefs, un commissaires local et un commissaire régional. Sans parler des structures parallèles des Éclaireurs Unionistes, des Scouts de France, des Guides de France que nous ignorions fraternellement.

Mais pour moi, fils de famille nombreuse et écolier en culottes courtes, il y avait surtout un copain qui portait une cape de drap bleu marine, un béret avec écusson à tête de loup et des chaussettes à pompons. Par souci pédagogique son père l’avait inscrit à la Meute, mais c’est bien par désir admiratif que j’ai dû harceler mes parents pour pouvoir revêtir cet uniforme de louveteau. Les vocations n’ont-elles pas souvent et de tous temps des sources dérisoires ? Faut-il pleurer, faut-il en rire ?………. on ne voit pas le temps passer.

Autour d’un feu de camp je pourrais vous décrire longuement les étapes et les passages de ma piste : les jeudis au local et les jeux de sizaine, les premières promesses de faire « de notre mieux ! mieux, mieux, mieux ! » ; les dimanches à peindre et décorer nos coins de patrouille dans les grandes salles de la Tour Leroy ; les sorties tous-temps à cinq ou dix kilomètres à la ronde ; les randonnées-bivouacs en vélo de quarante à cinquante kilomètres à la découverte du département et de la proche région. Et aussi les conseils de sizainiers, de chefs de patrouille ; les participations aux fêtes comme aux assistances civiques ; les concertations avec chefs et parents pour préparer les grands camps de Pâques ou d’été.

Points forts de chaque année ces camps de deux à trois semaines étaient l’objectif qui motivait les exercices et les apprentissages laborieux : le but était d’« être prêts » – « Be Prepared! » avait clamé notre prophète Baden-Powell.

Tous les domaines, trucs et savoir-faires que l’école laissait de côté – et qui pourraient un jour nous débrouiller –, étaient matière à l’obtention des « badges » de spécialité. Nos chefs nous suggéraient les manuels d’initiation utiles, ou suscitaient les visites ou rencontres propres à éveiller nos curiosités. La patrouille, puis la troupe entière, débattait de l’opportunité d’attribuer à chacun ce badge de « cuisinier », « secouriste », « pontonnier », « musicien », « interprète », « naturaliste »… que sais-je encore, qui allait orner la manche gauche de son uniforme et lui attribuer un rôle spécifique lors du prochain camp ou du prochain événement impromptu. Il était prêt !

Dans le même temps nos sorties et nos jeux, soigneusement organisés par nos cadres, nous entraînaient à découvrir et jauger notre environnement, tant physique que civique. Jeux de ville ou rapports d’explo, jeux de nuit ou jeux de neige, tout tendait à nous mettre « l’œil et l’oreille au guet ». Pour l’éveil à nous-mêmes et aux autres.

Le camp pouvait venir. Le matériel était astiqué, les tentes révisées, les haches, scies, planes, tarières graissées, les cordages lovés, les drapeaux pliés ; à l’initiative d’un « matérialiste » dûment badgé, tout était serré dans les coffres dans un sous-sol de la Tour, auprès de la charrette de troupe.

Est-il opportun de vous raconter l’ambiance de ces camps, parfois partagés avec une autre troupe d’éclaireurs ? Vous avez tous connu les vôtres, qui n’en diffèrent que par l’abandon des culottes courtes et du feutre à quatre bosses, par l’éviction des rites du drapeau, du totem, de la discipline autant que par l’évolution du matériel et l’irruption des moteurs et de l’électronique.

Pour moi il m’en reste la nostalgie de l’effort, de la créativité, de la convivialité partagés en pleine nature. À travers leur magie nous étions prêts pour la Grande Aventure que nous imposa la guerre.

D’abord ce que les historiens ont nommé « la drôle de guerre » nous a privés de certains de nos chefs et de nos routiers, happés par l’armée ou par des affectations contraignantes. Grands adolescents il nous fallut assumer la relève pour encadrer les plus jeunes et participer aux services civiques que réclamaient les premières bombes sur Caen ou la marée de réfugiés du nord. Nous étions prêts et, quant à moi, mon badge d’interprète me permit de gagner mon premier rasoir en aidant un commandant anglais de la RAF à perfectionner son français.  J’étais prêt aussi à enfourcher mon vélo pour, tout seul, affronter l’exode vers le sud quand les troupes allemandes déferlèrent sur la Normandie. Angoisse peut-être déplacée de ma parentèle, mais occasion de vérifier ma capacité d’autonomie en milieu perturbé.

Puis, une fois l’occupation allemande instaurée et le scoutisme prohibé, l’appel de la Route se manifestant a conduit quelques-uns d’entre nous à reconstituer une troupe clandestine. Nos Anciens ne s’y opposèrent pas et même un commissaire national nous vistant incognito nous recruta pour une session à Cappy, le camp-école des chefs. La flamme était sous le boisseau mais restait allumée. Quatre ans au cours desquels, malgré les restrictions diverses et les zones interdites nous avons tenté de transmettre aux plus jeunes les bienfaits dont nous avions nous-mêmes profité. Quatre années troublées par les réquisitions, les menaces d’expatriation et, pour certains, par l’engagement actif dans la résistance et la déportation. Quatre ans dont la tragique apothéose offrit à certains l’occasion de la B.A. permanente que furent les Équipes d’Urgence. La tourmente avait révélé les affinités personnelles au point qu’avec une Guide de France nous avons pris l’engagement de créer une nouvelle sizaine avec, comme objectif lointain, l’essor d’une Europe Unie. Et c’est en jeunes presque-parents que nous avons visité les contingents d’Éclaireurs et de Guides au Jamboree de Moisson en août 1947.

Je parle, je parle et je me complais dans mes souvenirs. Mais je ne voudrais surtout pas finir sans faire hommage à tous ces chefs et cheftaines qui se sont bénévolement appliqués à m’aider à grandir. Tous ont maintenant disparu, quelques-uns même ont perdu leur nom, mais leur image reste brillante en moi. Je sais maintenant que, sans eux, je ne serais pas ce que je suis.

Je veux, en particulier, vous en nommer un qui m’a été, sans le savoir, un second père : Gaston Déterville, alias Aigle Noir, qui fut notre chef de troupe et dont la modestie alliée à une profonde psychologie nous a menés en éclaireurs tout au long de cette piste.

C’est à lui que je pense chaque fois que me reviennent ces vers d’Aragon :

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre

Que serais-je sans toi qu’un cœur au Bois-Dormant

Que cette heure arrêtée au cadran de la montre

Que serais-je sans toi que ce balbutiement ?

A.H. 1er juillet 2007