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1964 : nouveau Mouvement, mixité et coéducation

 

… les souvenirs d’un futur délégué général, témoin de cette période.

 

 

« À l’époque, en 1963, j’étais membre de l’équipe régionale de Paris chargé de la branche aînée qu’on appelait alors la Route. À ce titre, je participais aux réunions nationales de la branche aînée et j’ai travaillé dans des commissions qui ont préparé la fusion des EDF et de la FFE, section Neutre, sans oublier les Éclaireurs Français.


Une des grandes questions qui taraudaient alors les Éclaireurs de France était celle de la coéducation des garçons et des filles et donc de la mixité des activités, voire des unités et pourquoi pas des patrouilles (les équipages de l’époque). Il faut se rappeler que l’école de cette époque séparait rigoureusement garçons et filles, même petits. Les EDF, mouvement masculin fondé en 1911, étaient en réalité déjà mixtes. Des responsables féminines encadraient les activités des enfants, garçons et filles, surtout à la branche louveteaux. Et puis la seconde guerre mondiale était passée par là : de nombreux chefs et routiers s’étaient retrouvés, garçons et filles, dans la fraternité de la Résistance et des maquis. Après la guerre, les Routiers (plus âgés que les Aînés d’aujourd’hui) avaient trouvé tout naturel de continuer à avoir des activités en commun et la branche avait en quelque sorte imposé à l’Association sa mixité.

À la branche Louveteaux, de nombreuses voix s’élevaient pour pratiquer la coéducation dans des unités mixtes. Les lutins n’existaient pas encore. Mais la branche moyenne (éclaireuses et éclaireurs) qui se considérait comme la branche reine du scoutisme, la seule héritière légitime de Baden-Powell (est-ce que cela a tellement changé ?), résistait des quatre fers à cette perspective hérétique et de fins pédagogues nous expliquaient les catastrophes qu’entraînerait la mixité dans les unités (appelées alors troupes). Leur position de repli, sous la poussée de la tendance coéducatrice, fut d’accepter que des troupes de garçons rencontrent de temps en temps des troupes de filles pour une activité commune.


Pendant ce temps, les EDF n’étaient reconnus que par l’OMMS (organisation mondiale du scoutisme masculin) comme un mouvement de garçons ; la FFE, mouvement féminin, n’était logiquement reconnue que par l’AMGE (association mondiale des guides et éclaireuses).


J’avais découvert les éclaireurs pendant les années 50 dans un groupe de la région parisienne, celui de Puteaux, dirigé à l’époque par un homme assez exceptionnel, Roger Lambert, éducateur et militant remarquable, doté à la fois d’une intelligence pointue et d’une imagination créatrice débordante, et possédant un charisme intense. Revers de la médaille : incapable de faire la moindre concession quand il défendait des idées novatrices, donc difficiles à faire accepter, il s’était fait beaucoup d’ennemis et décourageait parfois ses propres amis. Il avait obtenu du Commissaire général René Duphil l’autorisation d’expérimenter une coéducation complète dans son groupe, y compris à la troupe et dans les patrouilles. Seul le couchage restait séparé. Il avait mis au point des pratiques innovantes dont les objectifs étaient définis par cette formule : « démystifier, déculpabiliser, valoriser ». Cela fonctionnait, et même très bien, avec l’accord des parents, mais il fallait pour cela une équipe de responsables solide et expérimentée autour d’un maître d’œuvre compétent et lucide.


Il y eut certainement d’autres expériences de la coéducation mais, comme trop souvent en France (voir l’Éducation nationale !), elles restèrent expérimentales. Finalement, malgré des textes intéressants qui furent publiés quelques années plus tard, la coéducation s’introduisit par la petite porte de la mixité, subie plus que voulue, sous la pression de l’évolution générale de la société (mai 68…) mais aussi par nécessité devant l’affaiblissement de nos effectifs.


Définitions :

– mixité : présence de garçons et de filles vivant dans les mêmes unités ou pratiquant ensemble certaines activités ;

– coéducation : éducation des uns par les autres et non pas seulement des uns avec les autres. La présence des garçons est un élément essentiel de l’éducation des filles et réciproquement.


Venons-en maintenant à la fusion EDF – FFE proprement dite, dont les travaux préparatoires durèrent deux ans avant d’aboutir en 1964. Les EDF étaient demandeurs, à la fois pour obtenir leur reconnaissance comme association mixte dans le mouvement scout européen et mondial et pour étoffer leurs effectifs. La FFE – je parle toujours de sa section neutre – était d’accord sur le principe mais craignait une absorption pure et simple (ses effectifs étaient très inférieurs à ceux des EDF) et posait donc ses conditions. Les dirigeantes de la FFE considéraient dans l’ensemble que leur niveau de réflexion sur la laïcité, la démocratie ou la coéducation était très supérieur à celui de la majorité des cadres EDF encore mal dégagés d’une attitude de sexisme vaniteux. Beaucoup de responsables EDF pensaient que la FFE avait trop vécu en vase clos et qu’il convenait de faire respirer à ces filles et ces femmes un air plus vif et plus ouvert sur le grand large… Bref, pendant des mois, les contacts se vécurent sur le mode « je t’aime, moi non plus ».


Heureusement, la bonne volonté était bien présente et, à mieux se connaître, on apprit à mieux s’apprécier. Personnellement, je fis la connaissance d’un certain nombre de cadres de la FFE qui étaient des femmes de grande valeur, lors de conversations informelles sous les frondaisons du parc du lycée Michelet, à Vanves, qui hébergeait nos travaux. Je ne citerai qu’un nom, celui de Denise Joussot, qui fut, après la fusion, nommée Commissaire générale adjointe auprès de Jean Estève qui dirigeait les EDF, mais il y en eut bien d’autres.


Les dirigeantes de la FFE obtinrent des garanties sur la qualité de la coéducation, une révision de notre laïcité donnant une part plus grande aux valeurs spirituelles, une représentation paritaire des femmes au Comité directeur de la nouvelle association, d’où la création de trois collèges de neuf sièges, un masculin, un féminin et un collège « personnalités » (apparemment asexuées…), d’autres mesures également, notamment dans le vocabulaire, notre jargon interne, qui fut épousseté pour en éliminer les scories militaristes, indianistes et machistes. Les « commissaires » survécurent cependant jusqu’en 1979…


Les Assemblées générales des trois associations ayant entériné les accords, la fusion se traduisant par la création des Éclaireuses & Éclaireurs de France fut effective à la fin de 1964. Et, dans l’enthousiasme, on décida d’organiser en 1966 à Montgeron le premier Congrès de la nouvelle association, congrès qui fut astucieusement baptisé « Congrès de l’an II » même s’il fut plus consensuel que révolutionnaire…


Ma conclusion personnelle ?

 

Notre Mouvement a beaucoup – et fort heureusement – évolué depuis lors mais il y a des domaines où nous n’avons guère ou pas du tout progressé. Je ne citerai à l’appui de cette affirmation que la pratique de la laïcité ou certains aspects méthodologiques de la coéducation. Sans parler de notre incapacité persistante à faire vivre une parfaite égalité entre hommes et femmes quarante ans plus tard. Mais cela est une autre histoire… »

 

Contribution de François Baize pour l’ouvrage « Cent ans de laïcité »