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1980 et la suite : des témoignages de responsables nationaux

Jacques Delobel, devenu depuis président de notre association d’anciens, a été président des E.E.D.F. dans cette période de reconstruction, à partir de 1980. Il en témoigne au cours d’une interview en 2009.

Entretien téléphonique.

Q : Et d’abord, quel a été ton « parcours » dans nos associations ?

Je suis entré au groupe d’Hellemmes de la région Nord Pas-de-Calais en 1963. J’étais jeune instituteur et le groupe avait besoin d’un chef de troupe. J’ai donc découvert l’association EDF dans sa dernière année d’existence. J’y suis venu parce que les valeurs qui y étaient vécues correspondaient à mon idéal d’éducateur : une laïcité ouverte très respectueuse des convictions de chacun et une pédagogie pratique qui avait fait ses preuves. Dès l’année suivante, les EDF disparaissaient pour fusionner avec la FFE N et les Éclaireurs Français et créer un nouveau Mouvement : les Éclaireuses et Éclaireurs de France. Je ne me sens donc pas particulièrement un ancien EDF, association qui ne m’a pas vraiment marqué. En revanche, dès 1964, le groupe d’Hellemmes s’est enrichi d’une unité d’éclaireuses dont les responsables venaient de la FFE N. Elles étaient d’ailleurs, pour cette première année, plus nombreuses que nous. Les deux unités (les filles et les garçons avaient chacun leurs propres projets) ont eu des effectifs comparables en 1966 et ont campé ensemble chaque année dès 1965. Je me suis marié en 1965 et ma femme est naturellement devenue responsable dans l’unité Éclaireuses. Le congrès de l’an II à Montgeron, animé par Jean Estève est encore très présent dans mon esprit. Plus tard, l’association m’a confié la responsabilité du groupe d’Hellemmes (25 années avec ma femme), puis celle de la région Flandres-Artois, puis la présidence nationale.

Q : Entré dans le Mouvement en 1963, tu as vécu quelques années de crise. Comment ta région, ton groupe et toi-même avez vécu cette période ? As-tu considéré que les « valeurs de base » de notre scoutisme étaient en cause ?

Notre groupe, comme notre région, a vécu cette période avec une certaine souffrance et une crainte de voir remettre en cause des racines et des traditions auxquelles nous tenions. Nous ne nous emballons pas, dans le Nord, facilement sur des idées nouvelles car nous craignons de perdre des valeurs essentielles sans nous en rendre compte. Des pratiques remises en cause peuvent contenir une éthique cachée dont il faut démontrer l’anachronisme si on veut les supprimer.

Prenons, par exemple, la coéducation qui a fait couler beaucoup d’encre. Cette coéducation est aujourd’hui mieux comprise : elle n’est pas réduite à sa dimension « sexuelle » mais à la coéducation de tous (garçons-filles, adultes-enfants, croyants-non croyants, entendants-sourds, blancs-noirs…) : chacun ne craint plus d’être lui-même et n’a plus la crainte de l’autre différent. Elle ne peut être réduite à une libération sexuelle. C’est vrai que les fausses pudeurs pouvaient engendrer le repli sur soi, mais la différence entre ce qui était vécu dans la famille et ce qui était vécu dans les camps pouvait aussi être brutale et traumatisante. Dès lors la laïcité et le respect de tous pouvaient être remis en cause par des pratiques excessives.

Q : Comment en es-tu arrivé à accepter d’entrer au Comité Directeur et d’en prendre la présidence, qui n’a jamais été une fonction de tout repos ?

Jean-René Kergomard, Paul Plouvier, Fred Hayem pour ne citer qu’eux, étaient des « nordistes » qui ont craint en leur temps une direction nationale sans envergure pour la gestion et l’animation du Mouvement. Je leur ai donné raison mais j’ai aussi apprécié les idées et l’enthousiasme de Bernard Machu, François Daubin, Roland Daval. Fidèle à ma région et porté par elle, j’ai voulu participer à la direction nationale pour travailler à une « réconciliation ».

Nos gestionnaires avaient lancé la consolidation des comptes courants, le trésorier comme le secrétaire général assuraient un avenir plus serein. Il fallait former et animer. Lancer de grands projets nationaux et revaloriser la formation des responsables de camp. Pour cela, il fallait dépoussiérer l’ancien logo pour impulser une identité nouvelle de notre temps. L’Équipe Nationale devait reprendre en main le deuxième degré qui avait été abandonné aux régions. C’est par ce levier qu’on espérait retrouver notre unité. C’est ainsi que le deuxième degré de Flandres-Artois a été placé sous la responsabilité de l’Équipe Nationale.

Q : Quelles ont été les principales étapes de cette présidence ?

C’est Bernard Machu et François Daubin qui m’ont demandé d’accepter cette mission. J’allais commencer mon deuxième mandat au CD. J’avais participé à la commission qui avait réfléchi sur notre identité, sur notre image et sur sa communication extérieure. Cette commission a voulu un logo qui symbolisait une certaine modernité, une stabilité (les carrés) mais aussi un dynamisme (le trait de gauche à droite) et les couleurs. Ce logo pouvait être décliné sans difficulté sur tous les tee-shirts et autres vêtements. L’unité du Mouvement pouvait donc se retrouver dans ce logo et le foulard, emblèmes plus modernes que l’uniforme national rejeté par beaucoup de groupes.

Il fallait aussi animer. C’est par « Navigator » que nous avons trouvé un souffle national. François et Roland en ont été les maîtres d’œuvre. Déjà, avec Bernard, l’Équipe Nationale avait constitué des mallettes pédagogiques avec des outils pour les unités. On passait d’« Étapes et brevets » qui mettait l’accent sur la progression individuelle, aux supports muraux dans les coins d’équipage sur lesquels les projets d’équipe s’élaboraient. On revenait à une méthode de scoutisme qui consistait à former des équipages qui ensuite construisaient des projets à l’aide d’outils nationaux. Et tout cela débouchait sur une manifestation nationale à La Courneuve. Chacun suivait sa propre progression individuelle dans la progression collective, affaire de tous.

Q : Quelles en ont été les principales difficultés ? les décisions difficiles ?

Le Mouvement a ses racines dans les groupes locaux. Ce sont les groupes qui ont fait l’histoire. Des responsables de groupes exceptionnels ont été des bâtisseurs et sont à l’origine d’investissements plus ou moins importants avec lesquels ils se sont parfois identifiés. D’autres se sont lancés dans des services vacances parfois sociaux. Tout cela a conduit à une diversité parfois difficile à gérer. Comment faire pour que l’association ne soit pas mise en danger par des capitaines d’entreprises aux pieds d’argile ou qui ne se rendent pas compte que ce qui était possible ne l’est plus dans une société qui évolue ?

Il a fallu se préoccuper de Saint Jorioz, des circuits Corse… et nous n’avons pas toujours pris le maximum de précautions pour ne pas blesser ces grands hommes qui ont tant donné. Mais il fallait bien pourtant anticiper sur des situations insupportables et trancher lorsque notre bien commun nous semblait menacé. Nous avons dû juger, hélas. Les décisions étaient programmées. Nous ne décidions jamais au moment où le sujet était débattu pour la première fois. Mais nous nous donnions une échéance.

Q : Quel souvenir gardes-tu des hommes et des femmes que tu as rencontrés dans le Mouvement, à tous les niveaux ?

Je dois beaucoup à tous mes amis. J’ai rencontré des hommes, des femmes mais aussi des enfants, des jeunes qui croyaient en ce qu’ils faisaient et lorsqu’ils le faisaient, ils le faisaient toujours de bon cœur. Cette fraternité est exceptionnelle car elle dépasse les générations au point d’y inclure les enfants eux-mêmes. Il faut une certaine sagesse pour reconnaître que nous sommes, nous aussi, formés par les enfants que nous formons et que nous les considérons dans nos statuts comme des membres de même dignité. Cette coéducation est une valeur extraordinaire dans notre Mouvement.

Q : Beaucoup d’entre nous pensent que, le Mouvement nous ayant beaucoup apporté, nous avons beaucoup à lui rendre. Quelle est ton opinion à ce sujet ?

Je n’aime pas beaucoup ce genre de question. Qui doit à qui ? J’ai donné et j’ai reçu. Je crois que je peux encore donner et que je peux encore recevoir. Quoi ? à qui ? pourquoi ? comment ?

J’ai connu des aigris. D’anciens membres, d’anciens responsables qui estiment qu’on leur doit une reconnaissance pour ce qu’ils ont fait. Forcément, ils sont déçus car le Mouvement regarde vers l’avenir et jamais ne se retourne vers le passé. J’ai été heureux de ce que j’ai fait, mais je ne suis pas un ancien combattant qui se complaît dans ce qu’il a fait. Je veux pouvoir encore être utile, non pas parce le Mouvement m’a beaucoup donné, mais parce c’est un mouvement juste dont les valeurs sont à la fois fortes et fragiles et qui doivent perdurer. Ce Mouvement n’a pas besoin de moi, mais je suis prêt à répondre à sa demande s’il le formule et si j’en suis encore capable. En aucun cas, je ne m’imposerai.

Je fais partie de l’AAEE qui ne regarde pas le passé mais constitue des équipes de projets. Ces projets continuent dans notre esprit d’éclaireur. Nous sommes bien ensemble car nous nous acceptons tels que nous sommes. Et puis, constituons un réseau de compétences pour aider les EEDF dans leurs demandes ponctuelles, sans prendre leur place.