« Je suis né à Chartres en 1947. Mes débuts dans le scoutisme se situent vers 1967, dans le cadre d’une école dite de perfectionnement, c’est-à-dire recevant des enfants handicapés. Monsieur Petit, futur inspecteur général de l’instruction publique, est un militant E.D.F. et un groupe a été constitué pour les élèves de l’établissement, en particulier pour les activités de week-ends. Entraîné par quelques copains sympathiques, je me retrouve donc, très rapidement, responsable d’une unité de ce que l’on appelait alors “ l’Extension ”. Pour le Mouvement, je suis donc un pur produit de l’Extension, et j’apprécie très vite qu’il puisse faire confiance et donner des responsabilités à des jeunes de vingt ans…
Émile Gagnon, responsable régional, me repère après ma formation et me demande de participer à l’animation des stages régionaux. J’encadre ensuite des camps ouverts aux handicapés mentaux, animés en particulier par René Simonnet, alors Commissaire national à l’Extension, à Saint-Clément et à Lavaur. Dans le même temps, je conserve des activités dans mon département… et j’effectue mon service militaire. Par la suite, je me suis baladé dans le Mouvement avec l’étiquette Émile et je l’ai prise à mon compte. Émile Gagnon demeure pour moi un “ père spirituel ” auprès duquel j’ai beaucoup appris.
Aux environs de 1972, René Simonnet me propose d’être permanent national pour l’Extension, et Émile Gagnon d’être permanent régional. Les deux sont possibles car je suis enseignant et je peux être “ mis à disposition ” du Mouvement. Je choisis… ma province et je deviens pour de longues années un fidèle d’Émile, y compris quand, pendant la période “ difficile ”, il sera appelé par Claire Mollet à l’échelon national. À ce titre, je participe aux Assises d’Avignon, où je suis chargé des relations avec la presse – période fantastique, où nos jeunes rencontrent des journalistes et sont capables de discuter avec eux…
La période qui suit est plutôt une période de retrait, où je me consacre à mon activité de permanent régional, avec, en plus des activités régionales “ classiques ”, l’animation du service “ 15 / 24 ”, mis en place par Émile Gagnon. Le service est organisateur de séjours de grands adolescents dans un cadre E.D.F., et aussi, et peut-être surtout, à l’accueil d’handicapés mentaux dans notre investissement de la Couturanderie. C’est le début d’une longue histoire. Dans le même temps, Jean-Yves Talois installe sur Caen les séjours de même nature qui étaient jusqu’alors gérés à l’échelon national, et nous aidons une initiative du même genre du côté de Toulon : le scoutisme d’extension est en train d’évoluer dans le sens qui sera le sien pour de nombreuses années.
Au début des années 80, François Baize, devenu “ délégué général ”, me demande de rejoindre l’équipe nationale. Il est, avec Bernard Machu, à l’origine de l’aventure de Bécours qui va devenir le “ haut-lieu ” du Mouvement en remplacement de Cappy. Appelé, après quelques années, à la fonction de délégué général, je prends conscience d’un ensemble de problèmes qu’il va falloir aborder et traiter… un par un. Il y a, pour l’équipe que je vais animer, quatre défis :
– le premier concerne les finances catastrophiques de l’association, pour lesquelles nous avions l’habitude de trouver des solutions qui retombaient toujours sur les groupes locaux,
– ce qui engendre le deuxième, celui de retrouver la confiance de la base, en particulier celle des responsables de groupes,
– le troisième, tout aussi évident, est de tout faire pour enrayer une chute préoccupante des effectifs,
– le quatrième, en synthèse, consiste à redonner au Mouvement une consistance pédagogique en revenant à une dynamique de branches, de camps-écoles, d’outils pédagogiques, mais aussi en donnant du sens à la notion de Mouvement en réalisant de grandes activités communes.
Il y a du travail, en particulier pour répondre à la baisse continue des effectifs qui a suivi la période de crise. La reconstruction doit être centrée sur l’aide aux groupes et la création d’une nouvelle dynamique. Il est important de se recentrer sur ce que l’on sait faire, et l’effort doit porter à nouveau sur la pédagogie adaptée aux tranches d’âge : c’est ainsi que nous nous intéresserons, par exemple, aux responsables d’équipages… Nous avions avec Jean-Pierre Weygand, Bernard Lefevre, plus tard Patrick Volpilhac et des bénévoles comme Odile Kergomard, je ne peux tous les citer, les promoteurs de cette pédagogie renouvelée.
Un Mouvement, c’est également quelque chose qui bouge, il doit en permanence chercher sa voie et, aussi, se connaître, retrouver une identité, une image et se montrer : c’est de cette époque que date la création d’un nouveau logo, d’un tee-shirt visible… et de grands rassemblements où tous peuvent se retrouver, en programmant chaque année un “ grand truc ” : la rencontre des enfants du Monde au Sénat à l’occasion du bicentenaire de la Révolution Française, le rassemblement de la Courneuve et, très rapidement, Bécours en sont quelques exemples. Dans le même esprit, le Congrès Mondial du Scoutisme Masculin, organisé à Paris en 1990 par le Scoutisme Français que je préside, est un grand succès et permet de nous faire connaître aux institutions internationales à côté des Scouts de France.
Dans le même temps, nous avons à traiter un certain nombre de problèmes de gestion et d’apurement de nos comptes, non pas uniquement en vendant les “ bijoux de famille ” pour combler quelques trous, mais en redéfinissant, avec Roland Daval, une politique efficace, ce qui nous permet d’arriver à une situation d’équilibre à la fin de mon mandat, peut-être même un peu mieux. Et nous n’imposons plus la vente forcée du calendrier !
La question qui me semble fondamentale est : quel doit être exactement l’intérêt du siège national pour l’ensemble du Mouvement ? Je reste persuadé que l’équipe nationale doit être au service des membres du Mouvement. J’ai toujours insisté sur ce point en demandant à chacun de se mettre dans la peau d’un responsable de groupe ou d’unité. Je connais la tendance des machines institutionnelles à fonctionner pour leur propre intérêt en oubliant l’essentiel… La vie parisienne nous entraîne dans des coordinations multiples, certes utiles mais à condition de ne pas oublier que nous sommes en place pour aider un Mouvement à vivre. Dérive que nous avons vue aussi avec certains permanents régionaux – et j’en ai fait partie –, qui consacrent beaucoup de temps à chercher des subventions pour embaucher un autre permanent…
Je m’efforce de respecter les choix régionaux en essayant de comprendre les divergences et ensuite de trouver les accords pour le bien du Mouvement. Je suis opposé aux dictats venus d’en haut, au nom d’intérêts de l’échelon National qui ne sont pas toujours l’intérêt du Mouvement. Mon action s’efforce de rassembler pour que tous y trouvent leur place. Nos pratiques étant quelquefois diverses, il me semble important de réduire les écarts par le dialogue plutôt que par l’anathème. J’ai encore un regret avec les services vacances ? Je crois que nous n’avons pas su les faire évoluer avec l’évolution de la société. Peut-être aurait-il fallu les laisser devenir plus indépendants et garder un lien autre que celui d’être dans le mouvement. Mais je ne suis sûr de rien. Un autre regret, celui de ce mouvement incapable d’utiliser ses anciens, de garder un lien avec eux.
Dans cette période, je suis appelé à remplacer Yvon Bastide comme président de l’association “ Loisirs Éducatifs de Jeunes Sourds ”, issue du groupe de l’Institut National de Paris avec l’aide d’autres associations éducatives du secteur des déficients auditifs. L’association est propriétaire d’un centre de vacances, le Fieux, installé dans une vieille ferme de la Creuse, et est liée aux E.D.F. par un bail à long terme pour l’organisation de séjours en coéducation de sourds et entendants sous la direction de Catherine Bastide ; elle y organise également des stages pour les cadres sourds, avec utilisation de la “ langue des signes ”, une grande première en France. Cette expérience est enrichissante pour tous ceux qui l’ont vécue et, en particulier, les aînés de mon groupe. Je constate que ce n’est pas en intégrant un ou deux handicapés dans une unité dite “ normale ” qu’on peut répondre à un vrai besoin, mais que cette “ coéducation ” permet une connaissance mutuelle et une prise de conscience réelle des vrais problèmes de communication. Pour certains travaux au Fieux je fais appel à des aînés polonais dans le cadre de nos échanges, et, c’est une anecdote, au chef d’une petite entreprise de mon village qui s’en souvient encore avec émotion…
L’international m’apparaît comme un outil d’ouverture, en particulier vers l’Afrique et les pays de l’Est européen. Je souhaite accompagner, sans trop de formalisme, les initiatives dans ce domaine, ce qui crée quelquefois quelques conflits de perception avec ceux qui veulent un peu trop appliquer des règles : je ne suis pas pour l’exclusion de ceux qui ne suivent pas tout à fait le droit chemin !
Après 1990, j’hésite à en prendre pour un nouveau mandat, et je décide, finalement, de revenir vers ma province. Je retourne vers mon secteur professionnel initial, celui de l’enseignement adapté. On me demande de compenser la formation que je n’ai pas reçue lorsque j’ai choisi de rejoindre l’équipe nationale, et me voilà en stage à près de 50 ans… avant de prendre en charge la responsabilité éducative de mon établissement. Bien entendu, je reste au contact des E.D.F. dans le Loiret, mais mon militantisme va trouver une autre voie : je deviens maire de mon village, et je le suis toujours. Je suis également premier vice-président d’une communauté de communes de 35 000 habitants et je milite dans une association qui gère des établissements pour handicapés.
Ma conclusion ? Le scoutisme nous donne pour objectif de “ servir ”. Le nôtre, avec l’affirmation de sa laïcité, se veut une école de formation à la citoyenneté : on y apprend à vivre avec les autres, à négocier, à décider, à travailler en groupe, à s’organiser, à aller au bout du projet… Notre engagement est citoyen.
Le futur ? Il n’est pas obligatoirement facile, essentiellement par suite de l’évolution de la société : l’État, en tant que tel, amplifie ses exigences en diminuant son aide aux activités qu’il ne contrôle pas, et le contexte général, de développement de l’individualisme et du “ consumérisme ” nous met évidemment en porte-à-faux. Le scoutisme laïque risque d’avoir plus de difficultés que les scoutismes confessionnels qui gardent des structures locales d’appui comme les paroisses, en ayant perdu l’essentiel de son rattachement à l’école. Il y a sûrement une réflexion à mener et des actions à lancer à partir de ce constat.
Personnellement, je considère mon passage militant dans le Mouvement comme une aventure extraordinaire, à laquelle je me suis beaucoup consacré mais qui m’a beaucoup apporté. Je souhaite qu’elle continue pour d’autres, dans l’esprit qui a été le nôtre : un Mouvement, c’est quelque chose qui bouge, où on a des projets, où on se rencontre, où on agit… où on forme sa personnalité en vivant “ ensemble ”. »