Le parcours de Patrick Volpilhac nous a semblé intéressant, et significatif sur de nombreux points : du scoutisme vécu « à la base » jusqu’au militantisme bénévole et à l’engagement professionnel, générant un prolongement vers l’éducation populaire…
Entretien téléphonique
« Mes parents tenaient un bar-tabac dans la région parisienne, et, comme tout enfant de commerçant, je devais poser un problème d’occupation pendant les week-ends ou les jours de congé. Famille classique, d’origine catholique : rien ne me prédisposait à rejoindre le scoutisme laïque. Mais ma mère a, un beau jour, trouvé un tract dans sa boîte à lettres, intitulé : “ Vos enfants s’ennuient le dimanche… ”. Sans me demander réellement mon avis, elle m’a inscrit au groupe de Colombes où je me suis retrouvé louveteau en 1972. Je faisais aussi du rugby, j’ai dû tout concilier mais très vite j’ai été intéressé par ces activités, les réunions au local le mercredi, les sorties en forêt le week-end… des activités “ plaisir ”.
Mon engagement régulier a eu, progressivement, pour conséquence une sorte de “ rupture ” avec le milieu familial, une prise de conscience de mon rôle de citoyen, presque de militant, dans cet espace de découverte qu’offrait notre scoutisme. Pendant ces années 70, le groupe de Colombes a été assez fortement marqué par les débats qui animaient alors l’association, surtout dans la région parisienne – et qui, dans certains cas, mettaient en cause certains fondamentaux comme le fonctionnement en branches. Le groupe a rejoint en partie ces orientations, l’habitude du débat, de la confrontation des idées y est restée et ce furent des moments de formation personnelle exceptionnels.
Lorsque, après une rencontre personnelle (devenue familiale) et pour mes études, j’ai rejoint la région bordelaise, je me suis retrouvé, à Bègles, dans un groupe plus classique sans être traditionnel, dynamique et fonctionnant tout aussi bien. J’y ai pris des responsabilités, d’abord pour l’unité des routiers puis au niveau régional pour la participation à des groupes de travail. Et lorsque, en 1984, Claude Escalettes, alors responsable régional, m’a proposé d’effectuer ma période d’objecteur de conscience dans le cadre du Mouvement, ce choix a, je crois, changé ma vie…
Ce fut une étape déterminante sans rite de passage… de l’engagement “ de base ” à une forme de professionnalisme mais ce fut sûrement avant tout le passage vers… du militantisme… à plein temps ! Cette expérience fut l’occasion de réfléchir à mon avenir professionnel et peut-être de valider un choix inconscient, celui de s’efforcer de concilier le couple métier/valeurs.
Peu de temps après, un poste de permanent, financé par le FONJEP, s’est libéré et je l’ai accepté. Plusieurs projets régionaux me semblaient séduisants : coopération avec des pays africains, réflexion sur le développement et l’accueil de nouveaux éclés, programme de formation… J’y ai consacré quatre ans, de 1985 à 1989, jusqu’à ce que François Daubin, délégué général en fin de mandat, me propose de rejoindre l’équipe nationale. Après quelques missions à l’étranger, j’ai accepté la proposition du nouveau Délégué général, Roland Daval, de revenir au “ 66 ” et j’ai intégré son équipe qui comprenait déjà Dominique Girard, Jean-Philippe Michard, Bernard Lefevre, Michel l’Hôpital, Jean-Pierre Weyland, Philippe Kocher… en charge d’une mission “ simple ”, celle de développer notre Mouvement.
Il me semble que cette période a été déterminante dans les choix d’orientations de l’association. Sous l’impulsion du Comité Directeur, l’équipe nationale avait à définir les contours d’une nouvelle pédagogie et d’un nouveau développement à partir d’un choix clair, sans rupture avec notre histoire mais avec la préoccupation du futur : à la fois réaffirmer notre rattachement au scoutisme à l’aune de notre spécificité laïque et assurer l’évolution quantitative et qualitative de notre association, nécessité quasi vitale au vu de la courbe de nos effectifs…
J’ai accompagné Roland pendant ses deux mandats. En ce qui concerne le développement, avec la volonté de la majorité des régions, bénévoles et professionnels, nous sommes arrivés à inverser la tendance, en particulier par la création de nouveaux groupes à côté des existants. J’ai assuré en 1993 la responsabilité du rassemblement “ Trans Europe Éclés ” à Montpellier, qui a été, je crois, un grand moment pour la branche aînés et réaffirmait le caractère international, en particulier européen, de notre Mouvement.
Au départ de Roland, j’ai été sollicité par certains pour lui succéder, mais, après mûre réflexion, ma réponse a été négative. J’éprouvais le besoin de sortir de ce cadre passionnant mais aussi contraignant fondé sur cette dualité très spécifique professionnalisme/militantisme. Ma vie familiale en souffrait et j’éprouvais l’envie de me confronter à une reconversion que d’aucuns pensait délicate : le scoutisme forme des citoyens prêts à affronter les enjeux de notre société, mais garantit-il la qualité d’un parcours professionnel riche et épanoui ? Je souhaitais retourner vers Bordeaux.
C’est ainsi qu’après quelques temps de doute et la volonté forte de valoriser mon parcours, en 1998, après les élections régionales, je suis devenu conseiller technique pour le secteur jeunesse, culture et éducation, au cabinet d’Alain Rousset, nouveau président socialiste de la région Aquitaine. Je n’étais pas militant de son parti mais j’avais le sentiment de rester dans le domaine de l’éducation populaire, sûrement plus dans celui des valeurs que dans l’engagement politique au quotidien. Clin d’œil à mon histoire personnelle quand j’ai eu la responsabilité de la conception d’un Festival lycéen qui a réuni, en 2000, plus de 5000 jeunes et enseignants… imaginé sur le modèle d’un rassemblement Éclé, à la seule différence peut-être notable : les tentes de patrouilles étaient devenues des chambres de Formule 1 ! Par la suite, Alain Rousset m’a demandé, à ma surprise, de devenir son directeur de cabinet. J’ai passé là quatre années passionnantes : alchimie particulière entre volonté de projet et combat idéologique, pouvoir et fragilité, assurance publique et doutes personnels et, bien sûr, militantisme et professionnalisme… Comme en 98, cette fois encore, j’ai éprouvé le besoin de me renouveler et j’ai choisi, en 2004, de prendre la direction d’un organisme public travaillant en liaison avec le Conseil Régional dans le domaine culturel (écrit, image, cinéma).
Ma conclusion sur ce parcours ? Il est en très grande partie lié à la découverte d’une publicité dans une boîte à lettres et à la décision de mes parents. Rien ne me prédisposait à cet itinéraire. En grande partie mes engagements idéologiques, mes choix de vie, mes compétences, sont dus au Mouvement des Éclaireuses et Éclaireurs de France. Je lui dois beaucoup mais je pense lui avoir aussi beaucoup donné…
Même si j’ai, un temps, repris mes études, je n’ai sûrement pas fait celles dont j’ai rêvé car je me suis consacré à ces activités militantes chronophages, comme responsable Éclés puis comme permanent professionnel. Pourtant, avec le recul de presque 25 ans, je ne regrette pas grand-chose dans les choix que j’ai pu faire et ceux qui m’ont été dictés. Aujourd’hui je revendique ce parcours et j’en garde une certaine fierté. Mais serait-il toujours possible aujourd’hui ? Je ne sais pas, mais ce dont je suis sûr, c’est qu’un Mouvement comme les Éclés doit savoir conserver cet équilibre difficile : rester cette formidable école de la Vie pour ses jeunes, ses bénévoles et demeurer une association socialement responsable pour ses salariés. L’enthousiasme des premiers est quelquefois abrasif pour les autres… »