« Il paraît que je suis vieux, très vieux même, que je dois vous dire quelques mots en ce trentième anniversaire du centre social de l’Aygues.
Et je suis obligé de remonter dans le temps, encore plus en arrière. Qu’est-ce que trente ans, quand plus de trois fois plus ont chargé mes épaules ? Oui, parce que j’étais le secrétaire général d’une association qui s’appelait le “ Sou des Écoles Laïques ”, il y a bien des années, avec quelques amis, nous avions voulu transformer ce que l’on nommait la “ garderie ” pour les enfants, pendant les vacances, en “ centre aéré ”. Ce changement de vocable en dit déjà long : nous ne voulions plus seulement “ garder ” les enfants, nous voulions, en les enlevant de la rue des quartiers, par des activités collectives appropriées, leur donner le sens de la conquête de la liberté qui exige des règles et le respect fraternel de l’autre. C’était toute la différence entre la règle de l’interdit et celle de la proposition.
Donc, le “ centre aéré ” avait grandi en même temps que la ville éclatait dans les quartiers périphériques. Songez qu’alors, il fallait quatre cars, à chacun son circuit, matin et soir, pour rentrer chez eux et que près de 300 enfants ont bénéficié l’été de ces activités
Les bâtiments de la cité HLM de l’Aygues sortaient de terre au milieu des champs, avec les tranchées pour les égouts, l’eau, le gaz, au milieu des futures rues, mais déjà les appartements vastes pouvant accueillir des familles nombreuses étaient occupés.
Si je ne me trompe pas, c’était au début des années 1970 et la loi avait sagement édicté que dans les constructions de bâtiments collectifs, devaient être prévus des “ locaux sociaux ”.Mais il fallait des structures pour animer les enfants, les jeunes aussi bien que les adultes, qui allaient les fréquenter. Une expérience fut tentée mais se heurta à des difficultés et fut abandonnée.
Ce fut alors, en 1978, que Max FERRI, adjoint au Maire Louis Giorgi puis de Gilbert Ricci, m’a demandé si le “ Sou des Ecoles Laïques ” pourrait assurer la gestion de cet espace puisque nous avions une structure et une habitude de fonctionnement correspondant.
Vous devez vous demander, ce qu’allait faire là cette association et pourquoi ce titre “ Sou des Écoles Laïques ”. C’est une vieille histoire, de déjà une centaine d’années.
D’abord “ Sou ” qui s’écrit sans “ s ” à la fin. Vous me direz, en parodiant Raymond DEVOS, “ un sou est un sou ” mais qu’est ce qu’un “ sou ” ? “ Sou ” comme beaucoup de mots, provient des Romains, ceux qui ont construit l’Arc de Triomphe et le Théâtre Antique, qui donnèrent le nom de Solidus à une petite pièce en or qui devait permettre de faciliter les échanges, ayant dans tout l’Empire Romain le même poids et la même valeur. Au fur et à mesure des siècles, la petite pièce en or fut en argent, puis en cuivre et en bronze et le “ sou ” de quand j’avais 20 ans était léger, en aluminium. Enfin, le sou, dirons-nous, est une petite pièce de monnaie mais rentre dans de nombreuses expressions : “ économiser sou à sou ”, par exemple et, plus tristement, “ être sans le sou ”.
Or donc, le sou, le sou des écoles laïques représentait la plus modeste pièce de monnaie qui devenait ce que chacun pouvait verser pour participer à la défense de l’école que les lois républicaines de Jules Ferry dans les années 1882-83-84, cela fait 130 ans, avaient rendu au peuple gratuite, obligatoire et laïque : ainsi la République française renaissante appliquait enfin les principes que presque un siècle avant, les 21-23-24 et 25 août 1789, l’Assemblée Nationale proclamait à la face du monde ébahi dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Mais, il fallait alors créer un enseignement élémentaire accessible à toute la population pour former les esprits sans le déformer et que l’essentiel était de rappeler les règles qui redevenaient celles de la République Française : Liberté, Égalité et Fraternité.
C’est à cela que voulait servir la modeste participation volontaire d’un sou que les citoyens apportaient à l’association pour, à l’opposé de la charité dégradante qui assujettit le bénéficiaire au donateur, permettre même aux enfants des familles les plus démunies d’aller à l’école et ainsi ouvrir leur esprit aux connaissances que, en dehors de tout dogme, l’intelligence de l’homme était en train de conquérir.
N’oubliez pas que les croyances ancestrales ont changé depuis que l’homme s’est formé à partir de la cellule initiale et par une lente évolution, est devenu l’être pensant, puis doué de réflexion, que nous sommes.
N’oubliez pas que durant des siècles et des siècles, on a cru que la Terre était plate et était le centre de l’univers. Et lorsqu’il regardait la nuit, le ciel d’été, le poète pouvait écrire : “ Les astres émaillaient le ciel profond et sombre, le croissant fin et clair parmi les fleurs de l’ombre, brillaient à l’occident, et Ruth se demandait quel dieu, quel moissonneur de l’éternel été, avait s’en allant, négligemment jeté cette faucille d’or dans le champ des étoiles. ”
“ Le champ des étoiles ”, les astronomes ont découvert que c’était une galaxie dans laquelle le soleil et la terre ne sont qu’une très très infime partie. Et qu’il y avait dans l’univers infini d’autres galaxies. Maintenant grâce à la réflexion, par ses calculs, par son intelligence et par l’habilité de ses mains, l’homme vient de découvrir qu’au fin fond des cieux, dans un trou noir, à l’infini des années-lumière venait, dans un big-bang extraordinaire d’une explosion-implosion, de se créer une nouvelle galaxie.
Cela laissait dans l’imagination et le rêve, la très belle histoire fantastique que les milliers d’étoiles de notre galaxie, la Voie Lactée, et de là vient son nom, étaient les gouttes de lait jaillies du sein nourricier d’une céleste mère, transformées en cailloux étincelants dans leur brillance.
Aussi, en avançant dans la connaissance de l’immensité d’un côté, et de l’autre, dans l’infiniment petit, vous vous rendez compte que l’école laïque, parce qu’elle n’est inféodée à aucune des multiples et quelquefois antagonistes croyances, veut que la liberté et l’égalité se conjuguent à la fraternité. Et c’est ce que veut dire le magnifique terme de Laïcité.
Mais il fallait, pour réunir ceux qui vivent ensemble quelque chose de plus, c’est la solidarité, c’est cette solidarité que veut nous apporter le centre social.
Le centre social que Patricia BOUTIN, puis Brigitte LAOURIGA ont successivement animé, que j’ai présidé, puis bien d’autres après moi, Jacques BARTELO, Suzanne FAYE, Lachen BOUDOUANI, Kamel MAJRI, Monique BRUEY, Nadia ADDALA et maintenant Line SEGURET, ne peut qu’être fidèle à ses origines et permettre à ceux qui le souhaitent de vivre ensemble dans l’esprit laïque de la pratique dans la liberté, de l’égalité de la fraternité et de la solidarité.
Et si j’ai pu y être pour quelque chose c’est parce que j’avais dans l’amour à côté de moi pendant 70 ans, ma tendre épouse qui, il y a 3 ans, nous a quittés et qui aurait dit avec moi :
Vive la Liberté
Vive l’Égalité
Vive la Fraternité
Vive la Solidarité
Et que prospère dans la laïcité le trentenaire magnifique Centre Social Oustau de l’Aygues auquel vous avez fait le grand honneur de donner mon nom. »
Pierre Estève