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2013 : Yvette Lévy-Dreyfus évoque ses souvenirs…

 

… de la période de la guerre et du scoutisme.

 

 

Extrait des Actes de la Journée de la Mémoire du scoutisme laïque le 30 novembre 2013 à Paris.

 

Je suis entrée aux Éclaireuses Israélites en 1932 à l’âge de 6 ans. C’était les « Petites Ailes » comme les garçons « les Louveteaux ». Cadette d’une fratrie de deux garçons, j’avais demandé à mes parents de faire partie d’un mouvement de jeunesse. J’étais heureuse de pouvoir m’épanouir et de découvrir de nouveaux horizons.

 

Les Éclaireurs Israélites existent depuis 1923. Fondé par Robert Gamzon dit « Castor », le Mouvement avait un objectif pédagogique et ludique où chaque enfant inscrivait un projet, recevait et transmettait à son tour la règle fixée par la Loi à laquelle l’enfant adhérait par « la Promesse ». La devise était : « Pour le Bien toujours Prêt ».

 

Nous venions toutes d’horizons différents, laïcs pour certains, religieux pour d’autres. La vague d’antisémitisme des années 1930 qui déferlait dans l’Est Européen avait entraîné les enfants dont les parents polonais ou allemands avaient fui les pogroms et persécutions dans leurs pays. Tous ces jeunes s’étaient ralliés au Mouvement et y ont apporté leurs traditions culturelles.

 

En 1932, j’habitais le 11e arrondissement de Paris. Les dimanches étaient des moments intenses de joie. J’y retrouvais mes amies et selon les saisons, je découvrais la vie en plein air, les promenades en forêt, la nature. Les cheftaines nous préparaient des jeux de pistes. Toutes les activités proposées nous avaient permis de développer un esprit de compétition en nous faisant participer à des challenges avec d’autres groupes.

 

Dès 1938, Les E.I. ont été officiellement affiliés au Bureau interfédéral du Scoutisme français grâce au Baron Robert de Rothschild, ami personnel du Général Lafont qui était le nouveau président des Scouts de France.

 

Cette même année, nous avons quitté Paris pour  Noisy le Sec car mes parents avaient trouvé un appartement plus grand et plus confortable.

 

En 1939, les premiers bruits de bottes se sont fait entendre. J’ai vécu avec toute ma famille l’exode, puis l’occupation et le retour à la maison. La zone Nord a été bientôt celle de la chasse aux Juifs et les premiers juifs étrangers ont été arrêtés.

 

Notre commissaire régional, « Lion », est néanmoins resté très actif et a essayé de faire vivre les éclaireurs sous le terme « patronage » car le scoutisme était interdit pour nous les Juifs. Les premières discriminations ont été instituées par l’État Français.

 

D’abord, le premier statut des juifs d’octobre 1940 nous définissait selon des critères raciaux et nous excluait de tous les postes de l’administration : armée, police, presse, enseignement. Une loi de novembre 1941 a dissout toutes les organisations juives.

 

L’année suivante, le second statut a repris les termes du premier en les aggravant :

– port de l’étoile obligatoire,

– confiscation des radios, téléphones et vélos,

– interdiction de traverser les jardins publics,

– interdiction d’aller au cinéma et au théâtre,

– interdiction de se déplacer en dehors du département de la Seine,

– interdiction de rentrer dans un grand magasin,

– interdiction de changer de résidence,

– autorisation de prendre le métro seulement dans le dernier wagon,

– autorisation de faire les courses entre 15 et 16 heures lorsque les magasins sont vides compte tenu de la pénurie et du rationnement,

– couvre-feu à 20 heures,

– règlementation de toutes les professions artistiques et intellectuelles dès le 6 juin 1942.

 

Nos cartes d’identité sont tamponnées du sigle « JUIF » en rouge. Nous devons fournir des « points textile » afin d’obtenir les étoiles jaunes qui devront être cousues sur la poitrine gauche sous peine d’être arrêtées.

 

Notre situation va encore se dégrader et devenir bientôt intenable. Notre droit de vivre et d’exister est menacé. La conférence de Wanzee de janvier 1942 scellera le sort des juifs et décrètera  la solution finale c’est-à-dire l’extermination.

 

Le Mouvement des Éclaireurs Israélites  va alors basculer dans la clandestinité. Dès l’été, une « Sixième section » est rajoutée au Mouvement : c’est le Service Social des Jeunes dont le nom clandestin est « la Sixième ».

 

Mon frère aîné, dont les responsabilités étaient importantes dans le scoutisme, m’a demandé de m’investir davantage. Avec les chefs et les cheftaines, j’ai alors participé au sauvetage et aux actions de planque des enfants dont les parents avaient été arrêtés au cours de la rafle codifiée « Vent Printanier » des 16 et 17 juillet 1942.

 

Dans un premier temps, il s’agissait de récupérer tous les enfants français et ceux de famille polonaise et allemande  restés seuls et sous le contrôle de la Gestapo. Nous les avons conduits dans une institution, ancien hospice réservé aux indigents financé par la famille Rothschild, rue Lamarck. Le but était de les faire passer en zone sud et de les cacher. La phase la plus importante était de les nourrir, de leur procurer des faux papiers, des cartes d’alimentation et pour certains des actes de baptême.

 

Grâce au concours  d’une assistante sociale de la Préfecture de Police Jacqueline Belair, dite « Chef Topo », nous avons pu obtenir des renseignements et des papiers afin de transférer les enfants en lieux sûrs.

 

Les activités se sont arrêtées en 1944 car il n’y avait pratiquement plus de participants du fait des arrestations massives. Le groupe s’est donc dissous. Nous sommes restés en activité et avons changé de local.

 

J’ai habité Noisy avec ma famille jusqu’au 18 avril 1944 où nous avons subi le terrible bombardement de la commune. La ville a été rasée à 90%. Ce soir-là, il y a eu plus de 400 morts et des milliers de blessés. Notre domicile a été complètement détruit. Nous n’avions plus rien, juste LA VIE.

 

Sans papiers, sans argent et sans vêtements, nous avons été recueillis par une tante au 89 rue Lamarck : un petit deux-pièces pour six personnes. Au rez-de-chaussée de l’immeuble,  se trouvait le Bureau de recrutement de la L.V.F. (Légion des Volontaires Français) et des Miliciens.

 

Par mesure de sécurité, nous nous sommes séparés. Mes frères ont rejoint le foyer de garçons de la rue Montevideo et moi, j’ai été accueillie rue Vauquelin où des jeunes filles de 13 à 20 ans étaient hébergées depuis l’arrestation de leurs parents.

 

Les réseaux de Résistance se sont alors intensifiés à la suite du débarquement du 6 juin 1944.

 

La férocité des nazis s’est alors intensifiée : en remontant vers le Nord, la division « das Reich » a alors exécuté 99 adolescents à Tulle et a poursuivi le massacre à Oradour sur Glane. Alois Brunner, commandant du camp de Drancy, a alors déchaîné sa fureur et sa haine sur toutes les maisons d’enfants suite à l’attentat manqué contre Hitler.

 

En représailles, nous avons été tous arrêtés dans la nuit du 21 au 22 juillet 1944 et conduites à Drancy. Le dernier convoi n° 77 est parti le 31 juillet 1944 et est arrivé à Birkenau dans la nuit du 2 au 3 août.  De ce convoi composé de 1300 personnes, 987 ont été directement dirigées vers la chambre à gaz, dont 300 enfants.

 

En conclusion, je voudrais vous dire que j’ai été très heureuse de participer à ce Mouvement des E.I.. Malgré l’occupation, les privations, les persécutions, nous étions très soudés par une fraternité indestructible. Nous étions très jeunes et avons été confrontés à de grandes responsabilités. Le scoutisme avait bétonné notre identité.

 

À Paris comme ailleurs en France, les liens fraternels qui nous unissaient dans la difficulté de chaque instant avaient renforcé notre action de résistance, de sauvetage et de lutte pour la liberté.