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1943-1944 : L’épopée de Cappy sous l’occupation…

J’ai vécu quelques mois chez mon grand-père, Jean JOUSSELLIN, un an avant sa mort. J’étais jeune et insouciant, il était souffrant et déjà en partance pour un autre voyage. Je n ’ai pas perçu à cette époque là, l’homme qu ’il était.

Alors en formation de médecin psychiatre de l’enfant et de l’adolescent, j’étais très engagé chez les Éclaireuses et Éclaireurs de France, comme mon grand-père l’avait été au sein des Éclaireurs Unionistes. Je lisais les livres écrits par lui et notamment « Le scoutisme, éveilleur d’âme » et « Enfants perdus ou éclaireurs ». Je cherchais à comprendre l’essence de l’homme, et mon regard était tourné vers son action pour l’éducation des jeunes, plus que vers ses… « faits de guerre ».

Je porte le prénom de mon grand père et celui de mon père. À cette époque mon défi était de me construire en différence de ces deux images paternelles, mais aussi, bien sûr, de prendre appui sur eux. Mon trajet dans le scoutisme me rapprochait de mon grand père, et c’est cela qui motivait mon approche vers lui, quand je vivais sous son toit Boulevard Berthier.

Cappy était une histoire qui circulait dans la famille, pour laquelle on savait que toute la famille y était mêlée, mon grand père bien sûr, mais aussi Yvonne ma grand-mère, Jacques, mon père, et aussi Renée la deuxième femme de Jean ! Jean et Renée m’ont hébergé pendant plusieurs mois à Paris.

Je n’ai pas compris à l’époque l’importance de ce moment familial à Cappy. Pourtant, cette histoire, petit à petit, va devenir le récit d’une sorte de « mythique familial ».

Mais ici ou là, nous n’avons que des anecdotes, des bouts d’histoires qui, pourtant, vont rassembler la diaspora Joussellin (Jean a eu 9 enfants et de très nombreux petits-enfants).

Le travail de Jacques Duval ouvre maintenant à cette dimension l’histoire qui nous a construit, à notre insu, comme une peau qui fait enveloppe d’une éducation transfamiliale. Mais cette appartenance ne fait pas uniquement contenance éducative, elle donne à être aussi dans une position éthique et sociale.

Il y aurait une sorte de méprise autour de Cappy, les héros seraient des citoyens très ordinaires, nous dit Renée. Et elle insiste beaucoup sur cette « mise à l’abri des enfants » qui a fondé l’histoire de Cappy. Dans ce récit, là où l’on pourrait attendre des hommes et des femmes exceptionnels, on découvre des hommes et des femmes de conviction, de force et courage, mais, somme toute assez proches de nous. Avec un petit surplus de « culot et d’audace d’entreprendre, ce qui n’est pas rien » nous propose Jacques Walter dit Rama.

Mais sur l’instant, en 1943, il faut protéger ces enfants et les accompagner dans leur développement d’homme, de femme, et de citoyen. On peut cependant supposer que Jean et les adultes proches de lui, connaissaient les risques au-delà des enjeux.

Mon grand père, Jean Joussellin était un pasteur, un homme de foi. Pour lui, pas question de maltraiter les enfants. Il faut, non seulement les mettre à l’abri face à la folie de la guerre, mais aussi les soutenir dans leur construction d’homme, de femme et de citoyens en devenir. Un enfant est un bien précieux qui porte en lui les ressources de la société à venir C’est pourquoi la jeunesse attire toute son attention. Il développera beaucoup d’énergie pour celle-ci. Il participera d’ailleurs, plus tard, au groupe de travail qui portera la proposition d’abaisser l’âge de la majorité et de vote à 18 ans. Il faut, pour lui, que les jeunes prennent toute leur place dans la vie politique et sociale.

Mais ce qui est devenu remarquable, c’est cette énergie développée pour que l’œuvre éducative avance, malgré tout, malgré les actions de destruction de l’humain que les nazis ont développé au plus haut point.

Il me semble aussi que, au-delà de la foi du pasteur, la « pédagogie du scoutisme » est venue en soutien de cette démarche d’éducation à partir de la suggestion de Baden Powell : « le scoutisme est une jolie manière de se recréer en plein air ». Il sera donc question de jeu, d’aventure, de découvertes, de veillées, de vie collective et d’initiatives personnelles. Et, au bout du compte, peut-être presqu’à l’insu de tous, les convictions portées par Baden Powell seront mises en application : « L’éducation peut être un facteur de cohésion si elle s’efforce de prendre en compte la diversité des individus et des groupes humains tout en évitant d’être elle-même un facteur d’exclusion. » (…) « C’est moins par la force de ses armements qu’une nation s’élève au-dessus des autres que par le caractère de ses citoyens. Notre désir est d’aider les jeunes, surtout les plus pauvres, à avoir une chance égale aux autres de devenir des citoyens dignes, heureux et réussissant dans la vie, inspirés par un idéal de service du prochain ».

Quelle conviction, là encore, que de faire reposer sur une découverte pédagogique récente, l’idée que l’humain se construit par l’engagement dans le quotidien d’une vie simple, solidaire et ouverte.

Voilà donc un homme, porté par l’idée que l’humain doit l’emporter, au risque de sa vie, et qui a permis à des enfants de vivre une vie presque ordinaire, tellement impossible à imaginer à ce moment-là, dans cette guerre là. Et, comme le précise si bien Boris Cyrulnik, c’est par ce chemin que la résilience peut advenir.

Ce moment de l’Histoire rejoint celui du Chambon-sur-Lignon, de la Maison de Moissac, et d’autres encore. Voilà un morceau de l’histoire de la guerre où tout un village a su se taire et protéger 87 enfants juifs. Car il est bien évident que nombre d’habitants du village de Verberie étaient au courant de qui était là, dans ce camp, mais ils ont su les protéger.

Et voilà donc une histoire simple, portée par des hommes et des femmes simples… mais si peu ordinaires par le chemin qu’ils prennent !

C’est bien cela que dévoile ce récit ! Et c’est cela qui est extraordinaire, et au final, le rend encore bien plus émouvant, car si proche de nous !

Les historiens proposent le terme de « Résistance civile » pour expliquer ces actions qui, face à l’oppresseur et son « état de fait », mettent en avant un « état d’esprit » qui protège l’humain, l’humanité, le lien fraternel et la solidarité.

La médaille des justes dit que derrière l’humilité, un exemple d’engagement et de conviction est là, en exemple pour nous.

Que tous soient remerciés de nous avoir montré que l’histoire s’écrit aussi grâce à des actes que des hommes et des femmes (presque) comme tout le monde, ont pu accomplir.

Merci à Jacques Duval de nous avoir permis de comprendre d’où nous venons et de quelles croyances nous sommes faits !

Jean-Jacques Joussellin