La colonie de vacances démarre dès juin 1943. Le jour du départ, le rendez-vous est fixé gare du Nord. Jean supervise le départ. Les enfants et les cadres prennent le tram pour Creil, puis pour une petite gare près de Verberie : Longueil-Sainte-Marie. Il reste ensuite 5 km à faire pour arriver au château. Une charrette emmène les paquets des plus petits.
Le camp s’organise rapidement.
- Petit-déjeuner : un gros porridge est préparé à la cuisine et pris sous les tentes ou dans la grande salle du château, par mauvais temps ;
- Toilette et rangement ;
- À 10 heures, inspection des tentes et des dortoirs des petits, par les chefs d’équipes ;
- À 11 heures : rassemblement autour du Tulipier du parc. Salut scout et dispersion ;
- Après le salut, jeux et différents services : débitage et sciage du bois, ramassage des branches dans la forêt, nettoyage des salles communes, épluchage des légumes…
- Déjeuner ;
- Vaisselle puis sieste ou lecture, discussions…
- Dans l’après-midi : activités par groupes ou grand jeu, baignade dans l’Oise, promenade…
- En fin d’après-midi : ravitaillement en pain, lait, par groupes successifs ;
- Dîner ;
- Promenade dans le parc avant « l’extinction des feux » ;
- Le dimanche, après le salut, culte.
Les parents, informés, acceptent ce culte très simple, basé sur l’Ancien Testament.
Les liaisons avec les parents se font par lettres. Le courrier arrive à Cappy directement ou transite par la « Maison Verte ». Les enfants, eux, écrivent à leurs parents le dimanche après-midi. Leurs lettres sont déposées à la poste de Verberie ou amenées rue Marcadet, à la poste du 18e arrondissement. L’arrivée du courrier est un événement quotidien. Une distribution hebdomadaire sera rapidement mise en place pour éviter les trop longues attentes, chaque jour.
Quelques jours après l’arrivée des premiers enfants, un petit de 8 ans se sauve. La cheftaine s’aperçoit de son absence à l’appel du matin. Il ne doit pas être parti bien loin car il vient de prendre son petit déjeuner avec les autres. Tout l’encadrement part à sa recherche, craignant qu’il ait été arrêté par les gendarmes. Ceux-ci pourraient lui poser des questions indiscrètes. Heureusement, il est retrouvé à quelques dizaines de mètres de la propriété, marchant au bord de la route. Cette « escapade » est l’occasion de rappeler aux enfants qu’ils ne sont pas prisonniers, mais qu’ils sont membres d’une colonie de vacances, réfugiés loin de Paris à cause des bombardements et des rafles.
Jacques n’a pas 15 ans mais se souvient très bien : au début, il y a là les enfants d’origine juive qui fréquentent toute l’année « La Maison Verte » et que leurs parents ont envoyés loin de Paris. Quand approche la fin de l’été, les parents de ces enfants, inquiets, demandent à Jean s’il est possible de prolonger cette colonie, d’une part pour assurer aux enfants une alimentation correcte et surtout, pour les mettre à l’abri des allemands. Jean accepte tout de suite. Les choses se mettent en place aussi simplement que ça. Durant l’hiver 43-44, quelques enfants restent donc sur place. La colonie se transforme en Maison d’enfants avec des effectifs tout-à-fait réduits. Quelques-uns vont à l’école du village de Verberie. Aucun instituteur ne demande jamais rien.
Jean fait des allers-retours entre « La Maison Verte » et Cappy, pour y amener d’autres enfants.
Petit à petit, le bouche-à-oreille fonctionne et la demande augmente. Les enfants arrivent de plus en plus nombreux, tout au long de l’année. L’encadrement s’étoffe avec les effectifs. Un jeune étudiant anglais, neveu d’un pasteur ami de Jean rejoint Cappy. Quelques chefs et cheftaines de différents coins de la France, des parents, des amis, viennent aussi donner un coup de main. En tout, il y a pas loin de 15 ou 20 adultes sur place, se souvient Jacques. Il y a même un collabo repenti qui est envoyé par le pasteur de Clichy, pour être mis à l’abri. C’est un type assez âgé, qui peut prouver qu’il est vraiment repenti parce qu’il a participé au sauvetage d’un maquis dans l’Yonne, où il a encore des contacts. Il sera jugé après la guerre. Jean et un autre pasteur iront témoigner à son procès.
Mais Cappy devient rapidement bien plus qu’une simple colonie de vacances. Le chemin en est trouvé et suivi par des individus variés, très différents, par exemple : des garçons fuyant le STO (*), une petite troupe d’éclaireurs de l’Armée du Salut, un jeune de la HSP (Haute Société Protestante) de Bordeaux, etc.
Jacques fait lui aussi quelques voyages de Paris à Cappy, en train. Il accompagne chaque fois un ou deux enfants jusqu’au château. À Paris, tous ces gosses portent l’étoile juive, puisque tout juif doit avoir une étoile jaune cousue sur le cœur… Elle leur est enlevée à la maison ou juste avant d’arnver à la gare, car les juifs n’ont pas le droit de prendre le train.
Il finit par y avoir tellement de demandes d’accueils d’enfants au château que Jean décide d’ouvrir une petite maison à Gouvieux, un village tout proche, pour en faire une annexe. Quelques-uns y séjournent un court moment. Cela ne dure pas, il faut quitter la maison prématurément car elle se trouve juste à côté d’une rampe de lancement de V2, les trop fameux missiles allemands. Tout le monde réintègre donc Cappy.
En 44, le château héberge à peu près 125 enfants dont environ 87 juifs. Combien exactement, ce n’est pas facile à dire, il n’y a bien entendu pas de rapport fait aux autorités, ni de liste des noms et adresses des enfants. Donc il n’existe aucune archive de cette époque.
(*) Le service du travail obligatoire (STO) fut, durant l’occupation de la France par l’Allemagne nazie, la réquisition et le transfert contre leur gré vers l’Allemagne de centaines de milliers de travailleurs français, afin de participer à l’effort de guerre allemand que les revers militaires contraignaient à être sans cesse grandissant (usines, agriculture, chemins de fer, etc.). Les personnes réquisitionnées dans le cadre du STO étaient hébergées dans des camps de travailleurs situés sur le sol allemand.
L’Allemagne nazie imposa au gouvernement de Vichy la mise en place du STO pour compenser le manque de main-d’œuvre dû à l’envoi des soldats allemands sur le front russe, où la situation ne cessait de se dégrader.
De fait, les travailleurs forcés français sont les seuls d’Europe à avoir été requis par les lois de leur propre Etat, et non pas par une ordonnance allemande. C’est une conséquence indirecte de la plus grande autonomie négociée par le gouvernement de Vichy par rapport aux autres pays occupés, qui ne disposaient plus de gouvernement propre.
Un total de 600 000 à 650 000 travailleurs français furent acheminés vers l’Allemagne entre juin 1942 et juillet 1944. La France fut le troisième fournisseur de main-d’œuvre forcée du Reich après l’URSS et la Pologne, et le pays qui lui donna le plus d’ouvriers qualifiés.