Une chose étonnante, c’est qu’en fin de compte, personne n’a conscience du danger, de ce qui se passe. La France est en guerre et personne ne mène une vie normale, c’est vrai. Pourtant, Renée, Jacques et Rama affirment qu’ils n’ont jamais la sensation de vivre cachés. Renée, pour sa part, refuse d’ailleurs le terme d’« enfants cachés », parce qu’ils ne sont pas cachés. Ils sont mis à l’abri. C’est la formule à laquelle elle tient beaucoup, ce sont des enfants mis à l’abri qui tous reviendront sains et saufs. La preuve que personne ne se cache : une grande fête en plein air est organisée dans le parc du château. Tous les gens des environs y sont conviés. C’est une sorte de kermesse où sont proposés des spectacles et des jeux…
De l’avis de Jacques, âgé alors de 15 ans, planquer des juifs ne semble pas très grave, c’est même tout-à-fait naturel. Et puis, toute sa vie de gamin il a connu les colonies de vacances, eh bien, il est encore dans une colonie de vacances ! Il y a des juifs mais il n’y fait même pas attention. L’étrangeté, ce ne sont pas les juifs, l’étrangeté, c’est la guerre. Les juifs sont des enfants comme les autres.
L’enjeu est quand même grave, donc, de temps en temps, la soupape doit s’ouvrir un petit peu. Pour faire oublier la guerre, on organise donc des sorties ou des grands jeux de pistes et des courses au trésor où il y a des choses à aller chercher chez l’habitant, avec tout un circuit dans les environs. Les enfants participent aussi à des « Olympiades », à des séances de chant et de travaux manuels…
Des camps volants sont souvent organisés, (les camps volants sont des sorties de groupe avec nuit passée à l’extérieur). Rama se souvient en particulier d’un de ces camps volants dans la forêt de Compiègne, pas loin du camp de transit et d’internement nazi de Royallieu. Au moment de faire cette sortie, personne ne le sait mais plusieurs dizaines de gars s’évadent de Royallieu (*) et les Allemands les poursuivent.
Enfants et encadrement se baladent au milieu de tout ça, complètement inconscients, enchantés par le spectacle de la forêt au petit matin, les grandes toiles d’araignées qui scintillent avec la rosée… C’est d’une grande beauté.
Tout le monde passe une nuit chez un parpaillot (**) qui habite dans ce coin-là. Le groupe s’installe autour de sa maison et couche à la belle étoile, avant de rentrer au château absolument ravi…
Le premier été, Jacques fait partie des éclaireurs. Le deuxième été, il a 15 ans et demi. Il est peut-être un peu vieux pour un éclaireur et un peu jeune pour être moniteur.
Avec un copain arménien, Jean-Jacques Kirkajanan, ils sont les bouche-trous un peu partout. Ils remplacent aussi les chefs, de temps en temps. Lors de l’été 44, Jean demande à son fils Jacques – « puisqu’il ne fout rien » – de concevoir un parcours d’« Hébertisme » (***) pour occuper les enfants. Ils doivent parcourir un circuit déterminé en faisant des figures de gymnastique et des assouplissements. Les aménagements et les installations sportives sont alors très utiles !
(*) Le camp de Royallieu à Compiègne (Oise) en France, était un camp de transit et d’internement nazi, ouvert de juin 1941 à août 1944.
(**) Origine supposée du mot « Parpaillot » : Jean-Perrin Parpaille, dit Perrinet d’Avignon, chevalier de l’Ordre du Pape, unique président du parlement d’Orange, lequel ayant été convaincu de vouloir livrer la ville d’Avignon aux Calvinistes, fut arrêté au Bourg-St-Andéol à son retour de Lyon, où il était allé vendre l’argenterie des églises d’Orange. Il avait embrassé, en 1561, le parti protestant et en devient l’un des chefs dans le Valentinois.
Conduit à Avignon, il y fut décapité le 15 août 1562. Sa maison fut rasée on en fit « la Place Pie », ainsi nommée à cause de pape Pie IV, alors régnant.
Et de là, Parpaillot, nom qu’on donnait autrefois aux Calvinistes.
On prétend, dit Honnorat : « que ce sobriquet tire son origine de ce que François-Fabrice Serbellon, parent du pape, fit décapiter à Avignon, en 1562, Jean Perrin, seigneur de Parpaille, primicier de l’Université d’Avignon, président du parlement de la ville d’Orange, et l’un des plus dangereux chefs des Calvinistes du Pays ».
On l’enterra dans l’église de Saint-Pierre d’Avignon, où l’on voit encore le mausolée familial. (Le rétable de Perrinet).
Extrait des Mémoires de la Société Scientifique & Littéraire d’Alais.
année 1876-tome VIII-page 26. M A. Coulondres, membre non-résident.
(***) L’hébertisme est une méthode d’entraînement du corps développée par Georges Hébert. Les dix volets de l’hébertisme sont : la marche, la course, le saut, le grimper, le lever, la quadrupédie, le lancer, l’équilibre, la défense, la natation.