Rechercher

1948 : La coéducation à la branche Louveteaux

– L’uniforme Louveteaux :

La question s’est évidemment posée tout de suite,  comme le montre Esprit et Méthode page 13 :  « Culotte bleu marine pour les garçons, jupe bleu marine et culotte de gymnastique fermée pour les filles »…

Commentaire : notre souci a été d’éviter la petite culotte blanche visible à chaque mouvement…

– L’adaptation du Livre de la jungle :

Voir Esprit et Méthode p.17 : l’équipe nationale Louveteaux a créé le personnage de Bengali.

Commentaire : tout en conservant le mythe profondément poétique qui est celui du Livre de la jungle, celui de cette graine d’homme qui vit au contact des animaux qui l’élèvent et deviennent ses maîtres et compagnons, nous avons créé le personnage de Bengali. L’introduction de cette petite fille dans la jungle était destinée à aider les responsables de meutes mixtes, si toutefois ça leur semblait nécessaire.  En fait, le personnage de Bengali n’a pas été beaucoup utilisé. Sans doute, la fiction jungle a perdu de son importance au fil des années. Certains l’ont regretté, mais les responsables qui aimaient le Livre de la jungle l’ont intégré à leur programme.

– L’entreprise de meute :

Elle est devenue l’activité dominante. Faisant appel aux idées, aux qualités et aux compétences de tous pour une réalisation commune, l’entreprise était décidée, réalisée, évaluée ensemble.

Ce fut une grande idée, difficile à mettre en place mais tellement enrichissante pour les filles, les garçons et les cadres.

– Le conseil de meute :

Permettant à chacun de s’exprimer, d’écouter l’autre, il a été incontestablement un facteur d’équilibre, et aussi d’élan commun qui efface les divergences tout en enrichissant les différences.

Le style de nos réflexions, de nos conseils, qui est celui de cette briochure « Esprit et méthode » prouve bien le sérieux avec lequel s’est faite la coéducation dans le Mouvement des Éclaireurs de France. C’est aussi le style de l’époque !

– L’éducation sexuelle :

À partir du moment où nous avons entrepris de faire de la coéducation dans les meutes, nous avons décidé de mettre dans nos programmes de stages de formation des entretiens d’éducation sexuelle. L’intervenant était un des adultes de l’équipe de direction, parfois un médecin. Après un bref rappel « théorique », nous répondions aux questions. On abordait, bien sûr, le problème de la « transmission » auprès des enfants (comment répondre aux questions, quelles règles observer), compte tenu de l’époque où les connaissances dans ce domaine étaient parcimonieuses.

Je place ici un flash sur ces deux époques si différentes :

– 1947 : un louveteau de 9 ans, revenant du mariage de sa grande sœur, m’a demandé si c’était au mariage que le mari aurait des petites graines ;

– 1958 : une maman de louveteaux m’a transmis la conversation surprise entre ses deux garçons Bernard et Michel (9 et 8 ans) revenant du cantonnement de Molines en Champsaur. Ils se demandent où et quand les petites graines de leur papa passaient dans le ventre de leur maman (ils avaient trois petits frères et sœurs), ils avançaient une explication : cela se passait… à la cave !

– 2014 : l’agenda d’un collégien de 6e (11 ans) comporte, dans les pages « L’étudiant vous informe », les « recettes pour un premier baiser plus langoureux » et pour passer à l’acte « la première fois ».

Je ne porte pas de jugement sur ces informations, je souhaite simplement mettre en évidence les différences d’époques et situer le contexte dans lequel nous avons – courageusement ! – abordé des questions souvent délicates. En annexe, quelques pages sur le sujet

– Des réticences :

Des réticences sont souvent venues du Mouvement lui-même. En 1949, au cours d’une réunion à Paris qui regroupait les assistants départementaux de la branche Louveteaux, des inquiétudes sont apparues. Les responsables ne se sentaient pas prêts à se lancer dans cette nouvelle voie : on a des meutes de garçons, ça marche bien, la méthode convient aux garçons, il y a Mowgli dans la jungle, on ne veut pas changer nos habitudes. Les garçons dans les camps ont une vie un peu rude, les filles ne s’adapteront pas, les jeux des garçons et des filles sont différents… Certaines cheftaines, souvent isolées, ont fait une véritable opposition.

Les parents, dans les groupes, ont posé beaucoup de questions mais il n’y a pas eu, à ma connaissance, de garçons retirés des meutes quand la coéducation s’est mis en place, les parents qui ne l’approuvaient pas n’inscrivaient pas leurs enfants… tout simplement. Les éclaireurs ont toujours basé leur action sur l’adhésion.

Des réticences sont également venues des enfants eux-mêmes, qui traduisaient sans doute l’inquiétude des parents. Je relate quelques remarques faites par les louveteaux : « pourquoi des filles, on est bien sans les filles ! » « les filles sont peureuses, on ne pourra plus faire des jeux dans les bois, ou au clair de lune » , « moi, je veux bien des filles, mais je veux rester sizainier »…

L’accueil des filles dans les meutes a quelquefois posé quelques problèmes : exemple de la meute de Tarbes, rapporté par Odile Victor (bientôt centenaire !) :

« S’il y a des filles, on vient plus ! » me préviennent mes garçons à la fin du conseil de meute où j’avais émis cette possibilité… « Je viendrai toute seule et j’attendrai que vous changiez d’avis » rétorquai-je. J’avais en réserve une véritable « Fifi Brindacier », 8 ans, jolie comme un cœur, vive, sportive, désireuse d’activités de plein air… Et lorsque le jeu de piste d’un des jeudis suivants entraîna longuement mes « frondeurs » à la poursuite d’un chevreuil particulièrement rusé et habile, lequel se révéla être une fille, riante et essoufflée… ; « des filles comme ça, on en veut ». Josette amena deux de ses camarades de classe, Andrée et Martine. Et, à partir de là, l’unité devint mixte à la satisfaction de tous.

– Des exemples très positifs :

On pourrait en citer beaucoup ; restons sur l’image de ces deux louveteaux et de ces petites filles qui ont fait avancer la coéducation.

Je me souviens de l’arrivée à la meute d’un petit garçon un peu fragile. J.P. n’aimait pas les courses trop rapides, il craignait l’eau froide et ne voulait que des tartines de pain « minces, minces, minces ». Les filles l’entouraient, le protégeaient, et les garçons, d’abord moqueurs, étaient un peu jaloux. Le conseil de meute a été très utile pour permettre à J.P. de trouver sa place… et pour montrer l’utilité des filles !

Je me souviens d’un conseil de meute auquel j’avais assisté. Les louveteaux indiquaient à quoi ils jouaient chez eux. Les petites filles s’exprimaient peu car les jeux de « la marchande » ou de « la poupée » soulevaient des moqueries de la part des garçons. J’évoquais mon enfance avec mon frère et un cousin qui jouaient à la marchande… Alors un louveteau plein d’entrain a lancé « moi aussi j’aime jouer à la dînette avec ma sœur, je fais des salades de fruits ». Des enfants on ri, mais après avoir parlé du rôle des hommes auprès des enfants (médecins, enseignants, papa…), toute la meute était prête à ne plus faire de différences entre les jeux.

Dans l’ensemble, l’entrée des filles dans les meutes de garçons déjà existantes s’est bien passée. Par la suite, de nombreuses meutes ont été constituées, mixtes dès le départ. Cela n’a posé aucun problème à ma connaissance.