… suite à une réunion « expérimentale » avec le responsable régional.
Nouvel emprunt à l’histoire du groupe élaborée par Cédric Weben :
Le vendredi 26 novembre 1971, une conférence-débat est organisée pour les parents avec la participation très active d’Yvon Bastide, Commissaire Régional EEDF.
Les thèmes sont les suivants :
- Raison d’être et fonctionnement des EEDF.
- Rôle des adultes dans un mouvement de jeunes.
A la suite de cette réunion, chaque parent a été invité à donner son point de vue par écrit. Un Appareillage spécial « de diffusion restreinte » et « consacré à la réunion expérimentale d’information-parents » est réalisé en reprenant l’ensemble de ces lettres.
Elle illustre en revanche les questions que se posaient certains parents, et les difficultés que l’association, et le groupe Lapérouse, en particulier ont pu rencontrer dans ces années-là dans l’avancée de certains de leurs valeurs que sont la coéducation et la démocratie.
Compte rendu de la réunion de parents du 22 mars 1972
« Débat intéressant par la confrontation de deux méthodes éducatives opposées. Je ne chercherai pas à les exposer “ objectivement ” car j’ai moi-même opté et mon compte rendu ne saurait être neutre. À ceux qui ne seront pas d’accord, de défendre leur propre point de vue. Le débat est ouvert !
Les jeunes des années 72 posent de nombreux problèmes aux adultes de la société : ils “ discutent ” ! Ils discutent tout : l’autorité, l’habillement, le travail, l’enseignement, l’amour, la sexualité, le régime politique.
Dans la mini-société EEDF, cela se traduit par les symboles correspondant à ces grands thèmes : l’uniforme, le respect devant le chef, le cérémonial de la promesse, le fait de prononcer sa promesse, les badges que l’on coud sur la manche, et qui chiffrent la progression individuelle, le droit de fumer si l’on veut, l’opportunité de l’effort gratuit (apprendre le morse à l’époque des télécommunications).
Naturellement, le scoutisme de Papa ne retrouve plus son compte. Alors, chez les parents, deux attitudes : les uns veulent guider, encadrer, conseiller, inculquer, de manière à ce que les enfants adoptent, bon gré ou mal gré, ce modèle idéal qui s’intitule “ de mon temps ” ; les autres veulent laisser leur enfant faire ses propres choix, ses propres expériences. Se tromper, peut-être, mais pour apprendre. Aller, à chaque âge, au maximum des responsabilités, qu’il peut porter. Ils admettent le risque de voir devenir “ chevelu, poète ”, celui qui avait rêvé “ menton rasé, ventre rond, notaire ” comme dit Georges Brassens. La longueur des cheveux, la fantaisie du vêtement ou l’incorrection du langage ne sont pas des délits en soi, cela a même très peu d’importance au regard de l’appétit de vivre, de l’amitié des copains, de la bonne insertion dans la vie sociale, de la passion de construire. Au plus cela représente un moment de l’évolution des adolescents qui n’a pas que des aspects négatifs : désir de réviser les idées reçues, d’affirmer sa personnalité, aspiration à plus de liberté. À nos adultes d’être assez mûrs pour comprendre ce langage, même s’il est maladroit ou excessif.
C’est ainsi que j’ai compris les interventions de Monsieur Yvon Bastide, responsable national des EEDF. Il pense que le Mouvement ne peut survivre que s’il a un caractère démocratique. Rien n’oblige les jeunes à le fréquenter. Il faut donc qu’il réponde à leur besoin à eux. Ce n’est pas l’excès de démocratie qui entraîne les révoltes, mais au contraire l’excès d’autoritarisme. C’est du moins ce que j’en ai retenu. Il ne me reste plus qu’à souhaiter que ce compte-rendu suscite les remarques ou objections d’autres parents, présents ou absents de cette réunion, et que le dialogue se poursuive ».
Marie HUFSCHMITT
Nous avons pu rencontrer Yvon Bastide, encore un peu vivant, qui a bien voulu nous donner ci-après ses commentaires :
« Ce témoignage est particulièrement intéressant et je remercie Cédric de me permettre de retrouver quelques souvenirs d’une période… dynamique.
Être responsable régional (et non Commissaire, le terme commençant à être banni car assimilé à d’autres fonctions…) supposait alors, à la fois, une extraordinaire naïveté et un immense dévouement à la cause d’un Mouvement écartelé entre ceux qui voulaient le conserver tels qu’il était en 1930 et ceux qui voulaient tout foutre en l’air.
La réunion à Boulogne avait été organisée à la demande d’un couple de parents, membres de l’équipe locale, qui avaient découvert, en participant à un “ Cappy Commissaires ”, que le Mouvement se définissait “ officiellement ” d’une manière qui n’était pas très connue à Boulogne. Responsable régional, j’avais été invité à cette réunion “ expérimentale ”, à laquelle je m’étais rendu avec la nette impression que je n’y étais pas très bienvenu. Tout le monde étant très poli, la réunion s’est bien passée et, comme prévu, chacun est resté sur ses positions.
Marie Hufschmitt décrit très bien l’ambiance née de la présentation des réalités constatées de la jeunesse de l’époque : le Mouvement n’a pas créé cette ambiance, il l’a prise en compte et, dans certains cas, subie. Et il était évident, pour un Mouvement dit “ de jeunesse ” (ou, en tout cas, par une majorité de ses responsables actifs) qu’il fallait en tenir compte. Contrairement à ce que dit Marie, je ne pense pas avoir dit que “ le Mouvement ne peut survivre que s’il a un caractère démocratique ” – ou je me suis mal fait comprendre. Ce que nous (responsables “ territoriaux ” de tous niveaux) étions chargés de rappeler, c’est que le choix d »un fonctionnement démocratique, effectué après la Libération (avec des changements importants, par exemple dans l’article premier des statuts) imposait que le point de vue des “ jeunes ” s’exprime. Le temps était fini des grands “ chefs ” dépositaires pour l’éternité de vérités aussi révélées qu’indiscutables… Le débat ne se limitait pas à “ la confrontation entre deux méthodes opposées ”, il avait été tranché dès 1947 sur ce plan. Et la suite (consultation de tous les membres, assises d’Avignon, redéfinitions diverses…) a prouvé que le problème n’était pas résolu – mais c’est une autre histoire ».
Yvon BASTIDE