… où en était l’éducation « sexuelle » ?
Contribution d’Andrée Mazeran-Barniaudy
On me dit que des témoignages sont utiles à ceux qui se penchent sur le passé qu’ils n’ont pas connu et qui leur paraît bien lointain… J’évoque des souvenirs mais avec une certaine gêne car nous étions, à mon époque, élevés dans une telle pudeur que j’ai l’impression de… « trahir » ce qui a été l’ambiance de mon enfance, et le souci d’une éducation sexuelle progressive et naturelle, sans trop d’anticipation, qu’avaient mes parents.
L’éducation sexuelle, dans les années 30, 40, … 50, ne faisait pas partie du domaine de l’éducation, ni en famille, ni à l’école. En famille, on ne parlait jamais de « ces problèmes » – ou si peu ! Les enfants, comme tous les enfants, posaient quelques questions mais la sobriété des réponses, ou le changement de conversation, étaient de mise. Témoin de cette époque je peux évoquer quelques souvenirs et citer quelques faits qui m’ont été racontés.
Personnellement, je crois que c’était par des détails captés autour de moi que je faisais mon éducation sexuelle. Cela se passait au début des années 40, j’avais 8 ans ; Maman expliquait à mon frère de 12 ans, qui avait des hémorroïdes et saignait un peu quand il montait à bicyclette (il faisait chaque jours 22 km à vélo pour aller au collège) qu’il ne fallait pas qu’il se plaigne car les filles, elles, avaient des saignements tous les mois. Elle avait expliqué ce qu’étaient les règles, et j’étais là.
Papa interdisait à mes grandes sœurs et à mes cousines d’aller se baigner dans la rivière les jours qui correspondaient à la menstruation. C’étaient elles qui étaient ensuite toutes fières de me donner des détails.
Une de mes grandes sœurs avait un ami étudiant en médecine. Pierre laissait à la maison ses livres comportant de nombreuses illustrations. J’avais 8 ou 9 ans, un peu curieuse, attirée par ces livres que je pensais interdits, je découvris des pages passionnantes sur le développement du fœtus dans le ventre de la mère, de superbes dessins ! Je dévorais en cachette ces images, persuadée que je commettais une faute impardonnable. Je restais cependant sur ma faim car je n’avais pas trouvé ou compris comment le « bébé » entrait dans le ventre de la maman et comment il en sortait.
En classe promenade, nous avions trouvé, au bord de la voie ferrée qui longeait la route, une serviette hygiénique tachée (les femmes utilisaient des serviettes spéciales en coton au moment de leur règles). Immédiatement, quelques garçons de la classe avaient cherché… le blessé. La maîtresse, très gênée, n’avait donné aucune explication et nous avait éloignés le plus vite possible. Sans doute quelques filles avaient une idée, mais n’avaient pas osé parler de ce sujet tabou.
On parlait peu du corps, on le cachait plutôt ! Je me souviens de récits qui m’ont été fait, quand j’étais commissaire nationale Louveteaux, par des cheftaines mères de famille, institutrices, etc.
Vers 1945, S. promène ses enfants au jardin des Plantes à Paris. Son fils de 5 ans voit sa petite sœur faire pipi et s’écrie « Maman, C. a perdu son zizi ! ». La cheftaine concluait : il est temps que j’explique aux enfants comment on est fait…
Avant les années 50, on voulait ignorer le sexe. La maman surprend ses deux petites filles, 7 et 8 ans, suspendues à la barrière du balcon de sa maison ; les jambes de chaque côté d’un barreau, elles se balançaient : « on fait l’avion, ça fait du bien ! » ont-elles dit à la maman qui s’étonnait de les voir dans cette position. La maman en a profité pour leur donner quelques informations sur le sexe – sans prononcer le nom !
La plupart des enfants étaient naïfs mais il y avait quelques « pervers ». L’institutrice d’un petit village m’a raconté que certains bavardages étaient arrivés jusqu’à elle : un de ses grands élèves, de 12 ou 13 ans, invitait les filles de sa classe à le retrouver, l’une après l’autre, au bord de la rivière. Il incitait à la curiosité en disant : « Tu ne vas pas attendre le jour de ton mariage pour voir un zizi ! ». Alors, avec cette publicité, il faisait visiter « le sous-sol de son pantalon ». La maîtresse alertée par la rumeur a, m’a-t-elle dit, parlé au garçon mais n’a pas osé évoquer le problème avec la famille. En classe, bien sûr, ce fut le silence.
Il y avait des enfants plus « expérimentés » que les autres. Une institutrice de la campagne normande, cheftaine de louveteaux, me disait dans sa langue un peu rustique : « Les grandes filles de ma classe (elle avait des élèves de 13 ou 14 ans) sont toutes passées derrière le pailler ». Derrière le pailler (meule de paille), on rencontrait un garçon…
Le mode rural offrait une éducation sexuelle, naturelle. Un de mes amis médecins à la retraite évoquait ses souvenirs d’éducation sexuelle : il avait, pendant la guerre, quitté Paris à 8 ans (son père, juif, venait d’être déporté) et avait été « mis en sécurité » à la campagne. « J’ai vu le bélier, le taureau, en action, j’ai entendu les fermiers parler de toutes ces choses qui j’ignorais. En quelques jours, j’ai tout compris ! »
Dans nos meutes, dans les années 50, on ne parlait pas d’éducation sexuelle, mais nos recommandations étaient claires : ne laissez pas passer des choses fausses, répondez aux questions, n’acceptez pas les attitudes équivoques des cadres ou des enfants.