Dans un état officiellement antisémite, le SF couvre les activités des EIF à partir de mars 1942. En application de la loi du 29 novembre 1941 qui interdit toutes les associations juives, sauf celles à caractère cultuel et qui crée l’UGIF, établissement public censé représenter les Juifs de France obligés d’y adhérer, les EI sont dissous à compter du 23 mars 1942. Ils deviennent en bloc la 4e direction de l’UGIF, organisée en cinq divisions. Le général Lafont a obtenu cette décision de la part du commissaire général aux questions juives, Xavier Vallat qu’il a rencontré dès décembre 1941 avec Gamzon. D’où les mentions sur la lettre de gauche : « UGIF 4e direction sous contrôle du Scoutisme Français » dans un courrier des EI de Clermont-Ferrand du 27 juillet 1942, au moment des grandes rafles, évoquant un enfant interné au camp de Gurs. Les EI disparaissent des documents officiels et passent sous le contrôle du SF… en continuant en fait comme avant.
Les milieux collaborationnistes dénoncent l’attitude du SF. Un vif incident se produit en juin 1941 en présence de Louis Garrone, directeur de la jeunesse. Un journaliste antisémite s’étonne de la présence des EI dans une rencontre officielle. Il est vivement contré par les SDF présents et Garrone et très gêné de l’incident rapporté par le journal collabo La Gerbe du 24 juillet 1941.
Les visites des responsables du SF à la maison d’enfants installée par les EI à Moissac (Tarn et Garonne) symbolisent son soutien au moment où la chasse aux Juifs est ouverte. Le 2 mars 1942, le SF du SF, Basdevant s’y rend avec Gastambide (EU) et Renée Sainte Claire Deville (FFE). Quelques jours plus tard, le général Lafont s’y rend et réaffirme son soutien aux EI. On le voit ici en discussion avec Shatta Simon qui avec son mari Edouard (Bouli) vont sauver des centaines d’enfants de la déportation grâce à cette maison d’accueil organisée sur le modèle scout.
La défense des EIF est une constante du SF. En juin 1941, Pierre François, commissaire général des EDF et adjoint du général Lafont part en avion en Algérie pour éviter que l’administration n’y interdise les EIF sur le modèle de ce que vient de faire en Tunisie l’amiral Esteva, résident général. Il réussira dans sa mission.
En métropole, Darquier de Pellepoix, commissaire général aux questions juives et antisémite fanatique, se répand dans la presse collaborationniste contre les EI, comme ici dans « Le Matin » du 9 décembre 1942 dans lequel il expose ses projets. Après qu’il ait annoncé l’interdiction définitive des EI en janvier 1943, le général Lafont le rencontre pour tenter de le faire changer d’avis. Gamzon le signale dans sa dernière lettre aux EI. À la remarque de Lafont selon laquelle « Gamzon et tous ces types sont des gens très bien », Darquier répondra « Justement, ce sont les plus dangereux ».
Darquier à une autre idée que le SF va s’efforcer avec succès de saboter : l’interdiction d’adhésion de tous les jeunes Juifs aux mouvements de jeunesse. Le SF se lance dans un campagne discrète de lobbying pour torpiller le projet en rencontrant les autorités spirituelles du pays. Pierre François intervient auprès du cardinal Gerlier. Le général Lafont fait de même auprès du maréchal Pétain. Le pasteur Boegner, président de la Fédération protestante de France, intervient aussi sur ce thème auprès du cabinet du maréchal Pétain et s’entend répondre que le général Lafont est déjà intervenu. Le projet est enterré avec le limogeage de Darquier en février 1944.
Rétrospectivement, le SF peut être fier de son action. On peut aussi ajouter qu’à titre individuel, plusieurs de ses membres dirigeants n’hésiteront pas à donner l’exemple en ce qui concerne l’aide aux Juifs. Parmi les 18 cadres présents à l’Oradou, hors EI, au moins 3 (François, Taphanel, Basdevant) cacheront des Juifs. Et bien d’autres comportements individuels répertoriés dans le Dictionnaire des Justes de France montreront comment les scouts se sont engagés dans le sauvetage des Juifs. Citons simplement Gilbert Giraud, commissaire SDF à Marseille qui sauve Roger Eisinger, le futur poète Emmanuel Eydoux, son collègue des EI et fondateur des EI en 1937 à Marseille. Alors qu’Eisinger se rend à une réunion scoute le 21 janvier 1943, il est arrêté en gare de Marseille, ayant ses vrais papiers d’identité marqués « juif ». Giraud, témoin de son arrestation, réussit à prévenir la femme d’Eisinger. Ils font alors intervenir un inspecteur des services de la jeunesse qui obtient sa libération. Giraud et sa femme cacheront ensuite Eisinger et sa famille jusqu’à la Libération.