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2015 : quelques réflexions sur la coéducation aujourd’hui


… à l’occasion de la Journée de la mémoire du scoutisme laïque le 28 novembre 2015

 

La coéducation aujourd’hui, au-delà de la juxtaposition de sexes

Intervention de Maud Réveillé, responsable E.E.D.F. à Toulouse,

Membre du Comité Directeur



Je m’appelle Maud Réveillé, militante aux EEDF depuis 4 ans en tant que responsable d’animation et directrice, et depuis un an et demi élue au Comité directeur de l’association. Je vais commencer par vous présenter le déroulé de cet après-midi et évoquer rapidement la logique qui a présidé à sa construction.

Les échanges de cet après-midi sont regroupés autour de la thématique « la coéducation aujourd’hui : au-delà de la juxtaposition des sexes ? », et partent de l’idée que cet objectif éducatif – la coéducation – ne se limite pas à la mixité, au fait de mettre filles et garçons ensemble. Dès l’origine des EEDF, l’ambition était plus large. La question est donc aujourd’hui : comment s’y prendre pour donner un nouvel élan à cet objectif politique, comment parfaire notre action éducative dans ce domaine. Car de fait, il est très facile, et on l’observe malheureusement dans nos activités, de réduire la coéducation à la mixité.


Jean-Marie Bataille, qui est pédagogue, directeur des éditions Le social en fabrique, nous parlera dans un premier temps des limites de la mixité : non dans l’optique de prôner un retour de principe à la non-mixité, mais pour interroger les effets de la mixité quand elle n’est pas doublée d’un travail éducatif sur le genre.


Jean-Mark Guérin, qui représente l’A.M.G.E. (Association mondiale des guides et éclaireuses), évoquera le travail enclenché par la région Europe dans ce domaine, et la manière dont il vise à relayer les initiatives des organisations nationales comme la notre.


Laure Salamon enfin, est membre des EEUDF et de leur commission mixité : ils ont travaillé depuis 2010 sur une approche cohérente pour traiter ces sujets au sein de leur mouvement, et elle nous en expliquera les grandes lignes.

Après la pause, avec Nadine Tetron qui est membre du Comité Directeur des EEDF, nous vous proposons d’animer un temps de discussion collective, sur la base des interventions de l’après-midi, notamment : comment nous emparer de ces sujets au sein des éclés, de manière structurée (car les initiatives locales existent déjà bel et bien). On vous proposera trois thématiques : l’impulsion politique (régionale/nationale) ; la formation ; et les objectifs et moyens pédagogiques.

Isabelle Dhoyer, présidente des EEDF, concluera ensuite la journée.

Je voudrais maintenant, en guise d’introduction pour l’après-midi, évoquer ce qui est à mes yeux le prisme par lequel nous devrions aujourd’hui aborder la question de la coéducation et de l’égalité des sexes.


Depuis que je fais partie des éclés, en tant que responsable d’animation au sein de plusieurs équipes, nous avons travaillé dans nos projets pédagogiques sur la question de l’égalité des sexes. Je voudrais prendre une phrase entendu à cette occasion pour illustrer mon propos : Il y a deux ans, avec des lutins, des 6-8 ans donc, nous avions organisé une discussion en non-mixité sur ce sujet.  J’animais la discussion avec les garçons, avec comme point de départ la question « si j’étais une fille, qu’est-ce que je pourrais faire, que je ne peux pas faire aujourd’hui ? Et inversement ». Et Nino, 7 ans, a répondu : « si j’étais une fille, j’aurais le droit de pleurer ». Il faut mesurer la gravité de cette parole : en 2013, un garçon de 7 ans a encore, a déjà intégré que son rôle de garçon va avec la répression de ses émotions.


J’utilise le mot rôle volontairement. Au-delà du sexe biologique, filles et garçons sont des rôles sociaux. Des rôles avec des caractéristiques particulières, des manières de se tenir, d’agir, de penser, bref de vivre. Comme n’importe quel rôle, ils sont prescriptifs : ils vous disent, dès votre plus jeune âge, comment vivre et comment penser. Et si vous ne tenez pas votre rôle, gare à la sanction du public (et le public, c’est nous tous). La notion de genre, que nous allons beaucoup utiliser cette après-midi, est la manière de penser ces rôles, leur contenu, leurs attendus, et leurs conséquences.


Penser aujourd’hui notre travail éducatif par le prisme du genre, c’est tourner le dos résolument à une autre notion, celle de la complémentarité. Je voudrais insister sur ce point car nos documents cadre l’évoquent encore, et elle imprègne toujours nos manières de penser.


Penser que filles et garçons sont complémentaires, c’est attribuer à chacun des caractéristiques intrinsèques. C’est donc une notion pernicieuse, parce que cela en fait un obstacle à l’égalité des sexes. On ne peut pas dire que deux groupes sont complémentaires sans définir de manière figée, au moins pour partie, ce qu’ils sont, sans naturaliser leurs différences supposées. Donc dire que filles et garçons sont complémentaires, c’est agir dans une sphère de pensée, un univers mental, où il est normal de dire que les filles sont douces, agréables, timides, maternelles, calmes… et que les garçons sont forts, courageux, agressifs, audacieux. Bref, c’est reproduire, encore et encore, des stéréotypes, des clichés, qui entravent l’épanouissement personnel des individus et font le lit des discriminations.


Il est indispensable que, collectivement, nous sortions de ce schéma de pensée. Ce qui n’est évidemment pas facile : il faut arrêter de nous dire que nous éduquons ensemble filles et garçons parce que ceux-ci sont différents, peuvent se nourrir l’un de l’autre, doivent apprendre à vivre ensemble. Parce que cela revient à nourrir et renforcer les clichés qui réduisent le champ des possibles pour les filles et les garçons.


Dire ceci, cependant, ce n’est pas dire qu’être fille aujourd’hui ou être garçon aujourd’hui, c’est la même chose. La notion de genre, de rôle social, permet justement de penser cela. Aujourd’hui, les individus dès leur naissance et jusqu’à leur vie d’adulte, sont assignés à l’un de ces deux genres, fille ou garçon, femme ou homme. Consciemment, inconsciemment, volontairement ou non, ils sont modelés par leur famille, leurs amis, l’école, les médias, et nous-mêmes dans nos activités pour se conformer aux rôles sociaux de filles et de garçons.

Et bien évidemment que cela fonctionne, c’est le concept même de socialisation. Donc bien évidemment que, en tendance, les filles aujourd’hui ont moins confiance en elles lorsqu’il s’agit de manier des outils, de pratiquer des jeux de balles, d’assumer des places de pouvoir. Bien évidemment que, en tendance, les garçons aujourd’hui encore sont moins enclins à prendre soin d’eux, des autres, et plus aisément audacieux pour faire valoir leurs opinions, leurs compétences, occuper l’espace. Les genres permettent précisément se penser ces différences sans les naturaliser, mais en les pointant précisément comme des entraves, des limites, des œillères, et donc des objets à déconstruire dans nos activités.


Penser les genres et leurs stéréotypes, plutôt que la différence et la complémentarité des sexes, c’est aussi permettre de penser la diversité des orientations sexuelles, plutôt que de fonctionner sur l’idée implicite que les jeunes que l’on accueille sont en principe hétérosexuels, et ponctuellement homo ou bisexuels. On voit bien comment l’idée de complémentarité des sexes se nourrit ou se prolonge, comme on veut, dans une vision hétéronormée des choses. Cette vision est non seulement partiale, car elle occulte une partie de la réalité, mais elle cause aussi des dommages : tout ouvert et tolérant que l’on soit, si l’on pense l’hétérosexualité comme l’orientation sexuelle normale, alors un enfant homosexuel même s’il est accepté, sera toujours un être à part. Penser les genres, c’est donc aussi pouvoir penser les orientations sexuelles comme un éventail de possibles et non pas comme quelque chose de normatif.


Réfléchir autrement que par l’idée de différence des sexes et d’hétérosexualité « normale », c’est finalement sortir d’une binarité enfermante. Évidemment, c’est plus facile à dire qu’à faire ; parce que nous sommes tous, nous aussi, influencés par cette binarité qui reste très forte dans notre société. En tant qu’éducateurs, cela suppose de faire un gros travail sur nous-mêmes en même temps qu’avec les jeunes. Mais c’est crucial, et je voudrais terminer là-dessus. C’est crucial, parce que ce sont ces systèmes de pensée qui sont la base des discriminations et des violences. Je ne vais pas égrener les chiffres, ils sont assez connus, et témoignent encore, et même si bien des choses ont progressé depuis 1964, de l’infériorisation persistante des femmes et filles dans la vie professionnelle, la vie publique, la vie intellectuelle. Je voudrais tout de même en citer deux, qui donnent une idée de l’ampleur des conséquences : en France, une fille ou une femme est violée en moyenne toutes les six minutes. Et chaque année, 30% des homosexuel-le-s de moins de 25 ans tentent de se suicider, ce qui fait de la violence homophobe (symbolique, verbale ou physique) la première cause de suicide des jeunes en France.


Ces chiffres sont effarants. Et le travail sur les stéréotypes de genre et d’orientation sexuelle n’est pas accessoire, ne peut pas être secondaire. Les femmes et les individus qui ne sont pas hétérosexuels ont à y gagner, encore, en dignité, en sécurité. Et plus largement, il y a une liberté majeure à gagner pour chaque enfant en travaillant sur ces sujets.


J’espère que cet après midi nous permettra d’esquisser des pistes pour poursuivre le projet de notre mouvement : un Mouvement coéduqué qui agit en étant conscient de ses limites et de celles de la société dans laquelle il s’inscrit. Un mouvement qui, au-delà d’affirmer un principe d’égalité, agit effectivement pour la voir advenir.