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2015 : Un peu d’histoire de la coéducation



La coéducation à la branche Louveteaux

Intervention d’Andrée Mazeran-Barniaudy,

ancienne Commissaire nationale de branche





1949 : nous sommes à la meute de Tarbes, la cheftaine « Tupeenou » raconte :

–   « S’il y a des filles, nous on vient plus » me dirent mes Louveteaux frondeurs lors du Conseil de meute

–   « Eh bien, je serai seule avec elles » rétorquai-je.

À la sortie suivante, lorsqu’une « chasse au chevreuil » particulièrement essoufflante leur fit découvrir que le « chevreuil » était une fille en short, une véritable « Fifi Brindacier» (héroïne de bande dessinée).

–   « des filles comme ça, on en veut ! »

Et Josette amena Andrée… puis Suzette… etc.

Cette histoire vécue résume assez bien la mise en place de la coéducation à la branche Louveteau.

Les cadres du mouvement décident de faire, du Mouvement masculin des Éclaireurs de France, un mouvement mixte. Jusque-là les seules femmes étaient les cheftaines Louveteaux sans grandes responsabilités. Elles étaient sur des « strapontins »,  souligne un responsable de l’époque

  • Le contexte social de l’époque opposait des réticences (exprimées ici par le Louveteau frondeur)
  • La pédagogie réfléchie et vigilante du Mouvement a rendu cette coéducation facile, presque naturelle.

Je reprendrai ces trois points en développant bien sûr la partie pédagogie et en rapportant des témoignages.


La volonté du Mouvement de s’engager dans la coéducation


Après la guerre les responsables EDF ont souhaité que « le Mouvement prenne conscience de la nécessité d’une formation civique » dit Jean Estève.

À l’Assemblée Générale de 1947, la modification de l’article I des statuts engage l’Association.

Désormais pédagogie et citoyenneté sont liées


Cette nouvelle « orientation » est bien accueillie par les adhérents du Mouvement : chez les responsables, chez les Routiers souffle un vent de réforme.

Pour appliquer cette formation à la citoyenneté, un changement de méthode s’impose (les EDF n’ont pas attendu mai 68 pour parler de liberté, de participation aux décisions, de mixité).


L’idée novatrice de « Société de Jeunes » exprimée par Gustave Monod, directeur de l’enseignement du second degré, notre président ; Pierre François, Jean Estève… est vite adoptée par les jeunes responsables ou routiers. Le Congrès de chefs de Pentecôte 1949 va brillamment exprimer ce renouveau. Mais jeunes ne signifie pas seulement garçons. La société est mixte, hommes et femmes y ont leur place. Les EDF doivent – naturellement – se lancer dans la coéducation des filles et des garçons.


Le contexte social de l’époque


Dans la société, nombreux sont les freins. Conformisme, habitudes, religions, pouvoir des hommes, sexualité… conduisent à une éducation différente pour les filles et les garçons. Les stéréotypes sont courants et ne choquent personne. Un garçon est fait pour être chef, une fille fait la cuisine, le ménage…, elle a peur, elle crie pour rien.

Les écoles, sauf dans les villages, ne sont pas mixtes.

Les jeux des filles et des garçons sont différents.

Les enfants sont porteurs de ces préjugés – l’histoire de Tarbes le prouve – mais, en fait, dans la pratique, ils vont naturellement accepter la coéducation.


Ce qui, à mon avis, va faciliter le changement repose sur le besoin de renouveau ressenti après la guerre et sur le fait que cette génération était, en général, peu contestataire :

–        on a besoin de se rassurer dans le collectif,

–        on accepte les lois, les règles,

–        les enfants sont habitués à obéir…

Le Mouvement EDF, organisé, offre cette possibilité d’un renouveau, cette liberté mesurée. On en accepte les règles.


La pédagogie réfléchie et vigilante du Mouvement.


Petit rappel historique :


Dès 1949, quelques pionniers s’engagent dans la coéducation : Benjamine Astruc à Aix, Odile Victor à Tarbes, Andrée Barniaudy-Mazeran à Valence. Le compte rendu du camp de Bons-du-Mons-de-Lans en est un témoignage exceptionnel (Benjamine Astruc 1949).

Des rapprochements avec la FFE, section neutre,  sont entrepris mais les comptes rendus des réunions de cette époque notent que « la disparité des fictions » empêche une véritable collaboration.


Un travail de réflexion :


Coéduquer ne signifie pas seulement faire accepter les différences, cela signifie surtout rendre les différences enrichissantes par l’apport des uns et des autres.  Si la coéducation s’impose naturellement pour certains d’entre nous, son extension à l’ensemble de la branche Louveteaux nécessite une réflexion approfondie. Ce travail va être conduit par l’Équipe Nationale de branche, qui restera pendant de longues années très stable, avec des personnalités impliquées dans l’encadrement local et régional. Je citerai Sloughi Dejean, Tupeenou…, Gava venue un peu plus tard.


Le travail avec la branche cadette de la FFE se fait à l’équipe nationale et dans les camps de formation de cadres avec Violette Ginger, Hilda, I. Eliachar.


Dans les régions, dans les groupes locaux nous sommes à l’écoute des responsables, des louveteaux, des parents. Je ne me souviens pas de difficultés sur le terrain.

La coordination entre les deux Mouvements devrait permettre l’harmonisation des unités cadettes dans les groupes locaux.


La brochure « Esprit et Méthode » :

Elle est publiée en 1956 après une expérimentation de plusieurs années car nous avons voulu prendre beaucoup de précautions.


Les camps de formation de chefs de camp CCC :

Mis en place assez rapidement, ils vont permettre de mieux cerner cette coéducation au quotidien en particulier au moment de la toilette et du couchage. La coéducation se vit surtout au camp.


Quelques modifications nous sont apparues comme indispensables


…  dans la méthode :


–         L’entreprise et le conseil de meute

Ils donnent à l’enfant une place importante dans les décisions et permettent aux uns et aux autres de s’exprimer selon ses goûts, en harmonie avec les autres.

Le camp de Bons-du-Mons-de-Lans évoque les transformations dans la vie de meute : entreprise et apprentissage de « l’auto direction » vont de pair avec la coéducation.

–         La fiction jungle n’a plus eu une place essentielle dans le louvetisme

Le Grand Conseil Louveteaux de novembre 1949  souhaite conserver le cadre jungle mais demande de faire « sortir Mowgli de la jungle afin qu’il soit en contact avec la ville des hommes où triomphe la civilisation moderne ».

Nous pensons à introduire dans la jungle une petite fille – sœur ou amie de Mowgli – Bengali, du nom de l’oiseau gracieux et chantant (en référence aux petites ailes de la FFE avec lesquelles nous travaillons). Les meutes ont pris le nom de cercles.

L’expérience montre que c’est inutile, les filles trouvent dans le Cercle les activités qu’elles souhaitent, principalement dans l’entreprise. De fait, le cadre jungle s’estompe (on l’utilise principalement dans les grands jeux). Ainsi le personnage féminin de Bengali va-t-il tomber en désuétude.


…et aussi dans la pratique :


–         Une organisation rigoureuse des règles de vie était nécessaire.

Elles sont établies de façon précise. Les responsables de cercle sont tenus de les appliquer. Les adultes du groupe seront vigilants sur ce point.

La tenue des filles est définie (un short fermé est exigé sous la jupe).

Les activités de la meute sont toujours pensées pour que les filles et les garçons y trouvent leur place. B. Astruc note qu’elle n’a jamais organisé d’activité proprement masculine ou féminine. Cependant pendant les temps libres on voit parfois des filles se regrouper.

La toilette et le couchage sont l’objet d’une attention particulière.

Les témoignages qui suivent illustrent ce quotidien des Louveteaux.


Conclusion


Pour conclure, je voudrais insister sur le fait que la coéducation n’a été possible que parce que le Mouvement  a su lier coéducation et formation à la citoyenneté en mettant l’accent sur le conseil de meute et l’entreprise.

Encore une fois relisons le compte rendu du camp de B. Astruc en 1949 dont le titre  parle de lui-même Coéducation, entreprise et auto direction ont donné de bons résultats au cantonnement d’Aix et de Grenoble.


Dans un groupe d’enfants, le rôle des responsables est primordial. Le responsable propose des activités appropriées où chacun trouvera sa place et pourra s’exprimer ; il veille au comportement du groupe ; il intervient quand le besoin s’en fait sentir ; il met en valeur le rôle de chacun, fille ou garçon. Il intervient comme guide car il est lui-même membre du groupe. Il vit avec les enfants, s’implique. On retrouve là la caractéristique principale du scoutisme, l’éducation « à partir de l’intérieur ». C’est cette coopération de chaque instant, cette coéducation à deux niveaux (entre filles et garçons, entre enfants et cadres) qui rendra naturelle, par la suite, la participation à la vie citoyenne.


Nous avons été sur le terrain, nous, les jeunes responsables Éclaireurs des années 50, des novateurs sans le savoir. Si la mise en place s’est faite naturellement, c’est parce que nos maîtres mots ont toujours été  sérieux et vigilance.


Pierre Joxe, qui a été éclaireur après la guerre, écrit dans un hommage à Pierre François en 1986 : « Avec le recul du temps, on se rend compte que dans les années 50, les expériences éducatives (il cite la coéducation) menées aux Éclaireurs de France ont été parfois prémonitoires. »


Compléments :

  • Jean Estève écrivait en 1946 :

« La formation du citoyen est un de nos buts principaux. Combien de chefs y pensent ? »

  • Assemblée Générale de mars 1947

Modification de l’article I des Statuts qui deviennent :

« L’Association a pour but final des préparer des citoyens conscients des problèmes sociaux et soucieux de les résoudre. »

  • Les Sociétés de Jeunes sont fondées sur la liberté, la participation, la possibilité donnée au groupe de décider ensemble.

  • Tupeenou  nous écrit :

Souvenons nous que le mot « chef » en anglais « chief » a pour féminin « cheftain » ce qui, en Français devint « cheftaine ». Ce mot ne s’applique que dans le scoutisme



Intervention d’Adeline Éloy-Gavazzi, alors membre de l’équipe nationale Louveteaux :

Au sein de la société d’enfants qu’était la meute,  j’ai pratiqué la coéducation sans le savoir….


Les prémices …


C’était en 1957 et j’étais élève à l’École Normale d’institutrices (non mixte) de Tarbes. La vie y était monotone dans sa routine. Hugo et Koala, deux de mes compagnes de promotion revenaient tous les jeudis soirs, enthousiastes après leur après-midi passé avec les Louveteaux de la meute de Tupeenou.

Moi, comme toutes les normaliennes, j’étais allée aux Francas, activité qui était obligatoire car elle était censée nous préparer à notre métier d’enseignantes. Je ne sais plus s’il y avait des filles et des garçons ou seulement des garçons. Par contre, ce que je sais, c’est qu’il y avait des enfants qui n’avaient pas choisi d’y être. Avec eux, j’avais trouvé le temps infiniment long, dans cette cour d’école où j’enchainais des petits jeux à un rythme accéléré. Pour essayer de maintenir leur attention.

J’enviais mes amies qui étaient parties dans la campagne, avec des enfants motivés, pour des activités pleines d’inventivité et d’imprévus. Elles se racontaient des épisodes de fous rires,  des improvisations, des paroles de Louveteaux…

Le camp surtout m’apparaissait comme un lieu où même les contraintes quotidiennes (toilette, couchage…) devenaient des moments de vie commune pleins de rebondissement. Pour moi qui avais eu une enfance solitaire (la différence d’âge avec ma sœur et mes frères était trop importante pour que nous jouions ensemble), c’était un monde que j’avais rêvé, une sorte d’abbaye de Thélème.


La découverte des Louveteaux à Tarbes, à Auch et à Paris…


Mes premières activités dans la meute de Tupeenou ne m’ont pas déçue, bien au contraire. Nous préparions les sorties du jeudi la veille, dans le parloir de l’École Normale… un moment hors du temps et des contraintes hiérarchiques (Tupeenou était chef d’établissement et nous trois étions élèves). Nos suggestions étaient retenues et, à ma grande surprise, se concrétisaient le lendemain pour le plus grand bonheur de tous.


J’ai tout d’abord découvert et vécu la branche Louveteaux et, à travers elle, le scoutisme, au fil des sorties et des camps. Autrement dit sur le terrain.


C’est au cours du Cappy, effectué à Boulouris et ensuite pendant mes années d’assistante d’Andrée Barniaudy-Mazeran à la Chaussée d’Antin (de 1962 à 1966), que j’ai compris comment j’avais pratiqué, tel Monsieur Jourdain, la coéducation… sans le savoir. Je découvrais qu’elle était le corollaire de la vie d’une société d’enfants à laquelle j’avais pleinement participé au fil des sorties et des camps.


Elle m’apparaît maintenant, avec le recul, comme une formation citoyenne, permettant à chaque personne, quels que soient son sexe, son  origine…, d’être reconnue comme « membre d’une cité nourrissant un projet commun auquel elle souhaite prendre une part active ».

Quelques  souvenirs…

–        À Vieux Boucau au cours d’un camp… Nous étions au bord de l’étang de Moïsan. Marc s’était approché un peu trop près du bord et il glissa dans l’eau. Quand il fut tiré de ce mauvais pas, les chaussures trempées, il nous avoua avoir eu peur. Ce qui l’avait rassuré, c’est qu’il voyait un louveteau qui ayant prononcé sa promesse la veille, ne pouvait que venir à son secours. Peu importait que ce soit une fille ou un garçon, il ou elle s’était engagée et c’était là l’essentiel.

–        Toujours à Vieux Boucau, quand, au crépuscule, nous écoutions les bruits de la forêt et que je racontais la jungle. C’était une jungle revisitée, considérée comme un symbole parlant à l’imaginaire de l’enfant. Nous étions ensemble, tous transportés dans un pays lointain et hors du temps. Dans une forêt dense, habitée par des animaux sauvages, Bagheera et Baloo apprenaient à Mowgli le respect de règles nécessaires pour vivre ensemble. Ainsi, lorsque la sècheresse sévissait, carnivores et herbivores allaient boire ensemble sans crainte… (en ce mois de novembre 2015 cette union face à une menace nous parle).

–        Les conseils de meute étaient des moments essentiels. Chaque louveteau savait qu’il pouvait en demander la réunion pour traiter d’un sujet qui lui tenait à cœur : dispute avec un copain, sentiment d’injustice, proposition d’une activité nouvelle…

L’essentiel était que chacun sache qu’il pouvait s’exprimer librement et que sa parole serait suivie d’effets. C’est dans l’engagement pris ensemble que résidait la valeur de cette instance. Le responsable était le garant du respect de la parole de chacun et aussi de la décision prise ensemble. C’est là que la confiance, ciment de la meute, trouvait sa source.

–        Les entreprises étaient des moments exceptionnels. Décidées en conseil, elles aboutissaient à une réalisation concrète produite à une date donnée. Les idées en général fusaient de toutes parts, aussi séduisantes qu’irréalistes. À partir de là, nous étions tous, responsables et louveteaux, confrontés à nos limites, difficiles à accepter surtout pour les enfants. D’une part, il y avait celles qui nous étaient externes à la meute (le budget, le temps imparti, le matériel disponible…) et, d’autre part, celles qui étaient liées à chacun d’entre nous (aptitude, force, enthousiasme…).

Quelle que soit l’entreprise, nous avions besoin d’artisans aux compétences variées : menuisiers, bâtisseurs, couturiers, dessinateurs, botanistes, mécaniciens, comédiens, chanteurs, danseurs… Chacun, fille ou garçon, trouvait sa place. Les groupes se formaient selon les intérêts, les capacités… les amitiés aussi. Parfois, un louveteau qui ne s’était pas montré assez convainquant dans l’exposé de son projet se  retrouvait seul. Cela ne durait pas longtemps… les responsables veillaient.

–        Les « traditions » que nous inventions et qui soudaient les liens. Par exemple, comme nous étions la meute d’Artagnan nous avions décidé, lors d’une sortie, de manger les petits pois « à la Mousquetaire ». Nous fabriquions, avec des petites tiges assez robustes, des épées/fourchettes avec lesquelles nous piquions un à un les petits pois…

Nous avions aussi quelques mots à nous qui évoluaient selon le moment. Ils étaient soient fabriqués de toute pièce soit dévoyés de leur sens premier. Les anciens aimaient beaucoup dévoiler, dans le secret, ces  mots aux nouveaux arrivants. Cela créait une sorte de connivence et de mystère…


L’engagement volontaire de chacun, les décisions prises en commun, les réalisations tangibles,  les émotions partagées au cours des grands jeux ou des veillées/contes nous rassemblaient tout en respectant nos différences. Nous tous, responsables, enfants, filles ou garçons avions le sentiment  profond d’appartenir à une mini-société qui avait ses règles propres  afin que chacun trouve le chemin de sa liberté.


Pourquoi la coéducation filles/garçons me paraissait aussi évidente sur le terrain…


Tout d’abord, en arrière plan, il existait, depuis quarante ans, une culture liée au scoutisme, quelle que soit la branche. Chacun de vous la connaît. Je n’en évoquerai ici que quelques points qui me paraissent essentiels :

– la vie dans une nature que l’on apprend à connaître et à respecter,

– l’éducation par le jeu et la vie en équipe,

– les notions d’engagement et d’effort.


Ensuite, les activités  que nous proposions, à la branche louveteau, avaient été préparées et réfléchies, encadrées par la brochure Esprit et Méthode publiée en 1956. Je suis étonnée de constater aujourd’hui combien elles correspondaient à la satisfaction des besoins essentiels et permanents des enfants d’âge louveteau, filles ou garçons :

– besoin de sécurité physique et affective, besoin de confiance,

– besoin  de lien social en appartenant à un groupe qui respecte l’autonomie de chacun et  permet de réaliser des projets communs,

– besoin d’être reconnu pour ses qualités propres, d’être écouté,

– besoin de découvrir, de se dépenser, d’imaginer, de rêver…


Enfin la formation des responsables au sein des camps écoles avait été construite en s’appuyant surtout sur l’expérience de pionniers « visionnaires ». Elle était relayée dans chaque groupe grâce à la coéducation qui  rassemble toujours des  pairs différents par leur âge, leurs responsabilités, leur expérience…

…et  aussi  au cours des réunions avec la branche des Petites Ailes de la FFE

Lorsque j’ai participé, avec Andrée Barniaudy Mazeran, à ces réunions je n’ai entendu aucun argument percutant en faveur de la séparation des filles et des garçons. Bien sûr, la jungle était parfois discrètement évoquée comme une fiction inadaptée. À la fin des années 50, elle n’était plus un cadre de vie emprisonnant mais plutôt une sorte de conte à la fois poétique et philosophique.


En guise de conclusion


La vie avec des Louveteaux au sein de groupes EEDF continue…


Heureusement elle a évolué et quand j’écoute mes petits-enfants qui sont louveteaux dans la région toulousaine, je suis persuadée que mes souvenirs n’ont  aucune raison  d’être nostalgiques… Ce qu’ils vivent est passionnant et les concerne profondément. Ils en parlent peu : c’est leur « affaire ».

Même si je n’en dis rien, au fond de moi, je regrette cependant que la fiction, la poésie ne soit plus aussi présente.


Mon témoignage est simplement là pour traduire l’enthousiasme réfléchi qui nous habitait, même si celui-ci peut paraître, actuellement, un peu utopiste et décalé. Aujourd’hui comme il y a 50 ans, chaque responsable est, à sa façon, un pionnier. Il crée les activités permettant à chaque enfant de grandir au sein d’un groupe pour devenir un « citoyen conscient des problèmes sociaux et soucieux de les résoudre ».  Cet objectif demande d’ouvrir, au jour le jour,  des voies nouvelles en agissant tous ensemble quelles que soient nos ressemblances ou nos différences.



La coéducation à la branche Louveteaux

Quelques témoignages recueillis par Andrée Mazeran-Barniaudy


La coéducation, une évidence

Rainette (Aline Bonnahon)

« Garçons et filles, filles et garçons… Pour moi une évidence »

Jacqueline Boganski

« Le recrutement des filles s’est d’abord fait au sein des familles d’éclaireurs, puis les filles ont amené leurs copines. Cela n’a représenté aucune difficulté, ni chez les garçons, ni chez les filles. Dans le groupe, les parents adhéraient complètement. Les mêmes activités, les mêmes jeux rassemblaient facilement toute la meute (le ballon prisonnier par exemple).

Pour moi, alors sans expérience du Scoutisme d’alors, la coéducation à cet âge louveteau était une évidence. Avec des règles bien pensées pour assurer la sécurité et le respect de chacun, garçons et filles ne pouvaient que se développer harmonieusement en se confrontant dans un espace autre que familial ou scolaire.

Ensuite, dans les divers camps, j’ai pu constater que les filles prenaient bien leur place, et que cette expérience de vie partagée (on était encore dans les années 50) était une étape importante dans la structuration de la personnalité.

Comme enseignante j’ai regretté que la mixité des classes élémentaires ait été si lente à se mettre en place (1970/71 pour mon établissement) alors que cela aurait facilité même la vie des établissements à cette époque de classes surchargées… Les Éclaireurs de France avaient une longueur d’avance en éducation ! »

Jacqueline Boganski

« Lors du “ Rallye-roulettes ” rassemblant plusieurs meutes de la province Île de France, en 1952, la seule distinction a été celle de l’âge (moins de 10 ans, plus de 10 ans). Pour le concours de patins à roulettes pas de séparation des sexes. »

Cependant les garçons étaient prêts à applaudir les filles. « La môme elle est nylon »  s’exclamait un garçon nouveau venu devant l’exploit d’une gymnaste très douée aux Olympiades que j’organisais, en 1953, au stade de Versailles (Nylon mot passe-partout et à la mode, un peu comme super maintenant) »

Hugo (Huguette Gleizes)

« Les aventures vécues dans un cadre accueillant, lors des sorties hebdomadaires et surtout, dans nos camps, véritables « lieux de vie », permettaient à chaque sexe d’exercer sur l’autre une influence salutaire pour vivre en bonne intelligence.

L’expérience collective commençait par une bonne organisation des sizaines.

Chacun pouvait s’épanouir grâce à l’émulation dans la meute et acquérir dans le respect et la tolérance de l’autre, les valeurs citoyennes pour le fonctionnement du groupe.

Personnellement je ne me souviens pas de problèmes qui n’aient jamais pu être réglés en conseil de meute. »

La coéducation vécue au jour le jour demande de la vigilance, du discernement.

Tupeenou (Odile Victor)

« Un seul incident lors du 1er camp d’été mixte en montagne. Tous faisaient leur toilette dans le torrent proche, les filles en amont… les garçons en aval (à une distance étudiée).

Malgré la surveillance, un matin, deux garçons réussissent, cachés dans les buissons, à épier les filles… se permettant ensuite, dans la journée, des rires goguenards et des allusions moqueuses… du coté des filles, il y eut des… pleurs…

Et dans un conseil (qui fit l’objet d’une réflexion préalable entre chefs de meute) il y eut une mise au point explicative… « Honteux et confus » comme le corbeau de la fable, nos deux lascars, furent par la suite, exemplaires… ! »

Jacqueline Boganski

« Mon frère, ex-Chef de meute, m’a relaté qu’il avait été gêné une fois, au moment de la toilette des filles, quand, dans un rassemblement de meutes, une cheftaine lui avait adressé une louvette déjà en préadolescence. Il avait alors demandé que ce soit une cheftaine qui assure le bain des filles. Cela démontre combien il était important de penser à ce genre de détails : le comportement d’un jeune chef de 20 ans auprès de filles pubères. L’organisation précise du couchage et des toilettes devait mobiliser toute notre vigilance. »

Benjamine Astruc

« Dans le compte rendu de 1949 du camp de Bons-du-Mont-de-Lans elle parle de la meute mixte d’Aix qui réunissait 9 garçons et 5 filles  âgés de 7 ans et demi  à 10 ans. On lit

… Après avoir longuement réfléchi à l’affaire des dortoirs (séparés ou communs), j’opte pour le dortoir commun non sans en avoir discuté avec les parents des enfants. Je n’ai pas rencontré d’opposition à ce sujet, la majorité des enfants est jeune….

Au début du camp trois filles se regroupent dans le même coin, les deux autres se placent avec les garçons de leur sizaine. Dès le 4e jour du camp, les enfants rangent spontanément leurs paillasses  par sizaine….

Des petites questions de déshabillage ont été réglées…

Je n’ai jamais surpris de réflexions malsaines au sujet de la toilette, ni au sujet du couchage. La toilette était commune aux filles et aux garçons. Elle se faisait au lavoir public….

Dans les activités, les enfants n’ont jamais manifesté le désir d’être séparés.

De petites mises au point ont porté uniquement sur des questions de vocabulaire. Les enfants emploient des mots qu’ils ont appris de la bouche des adultes et dont ils ne connaissent pas la signification. Ils savent, la plupart du temps, que « c’est mal » de les employer, par exemple Cocu.

Ils emploient le mot fiancé dès qu’ils voient une fille et un garçon en sympathie.

En conclusion, les enfants ont vécu trois semaines ensemble dans une atmosphère très saine, leurs rapports ont été tout au long du camp d’une grande franchise. Ils ont témoigné d’une grande confiance dans leur cheftaine. »

Filles et garçons vivent différemment la coéducation

On remarque :


  • · Chez les garçons, un sentiment de supériorité et souvent d’admiration à l’égard des filles


Hugo

« Les garçons se sentent plus forts physiquement, ils ont envie de jouer aux petits coqs.

On peut noter par ailleurs : « On ne veut pas trop de filles dans la sizaine, parce qu’elles courent moins vite et nous font perdre. »

Andrée écrit :

« En 1949,  au camp du Vercors, Bernard, un garçon plein de vie et rieur, regarde les filles avec admiration. Elles sont particulièrement adroites pour faire du “ tricotin ” : leurs doigts habiles manipulent la laine pour faire une chaînette.

Je ne sais pas comment les choses se sont passées mais j’ai très vite constaté que la laine utilisée était celle du pull vert de Bernard, tricoté à la main.

Bernard est revenu du camp avec la moitié de son pull. Heureusement c’était le fils de Charles Jeudi  (instructeur nature EDF mort en 1952) et nous avons ri ensemble. »


  • · Une plus grande maturité chez les filles


« Hugo écrit  « Elles s’occupent des plus fragiles et, dans le conseil de meute, font preuve de sagesse pour calmer les colères de certains. »

Garçons et filles ont des comportements semblables à ceux des adultes. (voir le compte rendu du camp de Bons-du-Mont-de Lans).


Comment les Louveteaux voient leur cheftaine.

Tupeenou écrit :

« À ma première visite d’une meute d’Auch, je dis à un Louveteau qui traînait un peu la jambe

– « Dépêche toi de rejoindre la jeune fille là-bas… »  Courroucé il répond :

– « C’est pas une jeune fille, c’est une cheftaine »

Bien plus tard, retardée par des obligations professionnelles, je n’ai pas le temps de me mettre en uniforme complet de responsable pour notre rendez vous… Stupéfaction générale, regards critiques. Je dus m’expliquer…

Que conclure ? Prestige de l’uniforme ?  Impression de rupture avec le groupe ? Une cheftaine ce n’est pas une dame comme les autres ?

Des parents demandent à leur fils venu pour la première fois et apparemment satisfait :

– « Alors, comment as-tu trouvé ta cheftaine ?

– Petite, répondit-il, mais alors… vraiment petite ! »

Cela suffisait. Que voulait-il signifier : petite par la taille ou par le comportement ?