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2016 : Dominique François, témoin et acteur de notre Mouvement, vient de nous quitter.

 

 

Quelques témoignages…

 

 

La famille François accompagne l’histoire de notre association sur plus de huit décennies. Pierre et son épouse Elisabeth sont membres des Éclaireurs de France et de la Fédération Française des Éclaireuses et réfléchissent, quelques années avant la guerre, à un rapprochement de leurs associations. Pierre a été « commissaire général » des E.D.F. pendant deux décennies, tous deux ont été reconnu « Justes » pour leur accueil de jeunes filles juives pendant la guerre. Louis François, frère aîné de Pierre, a été, lui aussi, membre de l’association et, après s’être engagé dans la Résistance et avoir été déporté, en est devenu président dans les années d’après-guerre. Il sera relayé dans cette fonction par Pierre, revenu à la direction des E.D.F. dans une période de crise difficile.

Dominique était donc l’héritier d’une lignée, mais a su affirmer sa personnalité en acceptant la responsabilité de « commissaire international » du Mouvement puis en accompagnant les actions menées en coopération avec les associations africaines après la décolonisation. Nous reprenons ci-après les témoignages apportés sur ce militantisme continu.

 

Dominique (au centre) lors de l’A.G. 2013 de l’A.H.S.L.

avec Willy Longueville, Henri-Pierre Debord, Michel Francès, Vincent Cocquebert

au cours d’un échange sur « être le fils de son père »

 

 

Yvon Bastide

 

 

 

Lorsque, voici quelques années, nous avons envisagé la création de notre « association pour l’histoire du scoutisme laïque »,  Dominique en a été un des premiers membres. Et, lors d’une assemblée générale en 2013, lorsque nous avons abordé un sujet qui le concernait tout particulièrement : « est-il facile d’être le fils de son père », il nous a répondu avec beaucoup d’humour…

 

 

Il est sûr qu’il n’est pas facile d’être le fils d’un père acteur et militant passionné du scoutisme laïque, dirigeant de l’association pendant la période difficile de l’État Français, plus tard président dans une autre période difficile. Dominique, ses frères et ses sœurs ont vécu toutes les étapes de ce parcours. Rappelons au passage l’épisode de l’accueil à Vichy de jeunes filles juives, cachées sous de faux noms et prénoms, que les enfants, de tous âges, ont du apprendre…  C’est dans ce contexte familial que Dominique a forgé et affirmé sa personnalité, dans le prolongement de celle de ses illustres parents.

 

 

Son action militante s’est exprimée dans les relations internationales du Mouvement, dont il fallait quelquefois défendre le choix de laïcité et d’ouverture à tous contre une certaine forme d’intégrisme qui peut sévir dans le scoutisme comme ailleurs. Dans un grand article que Dominique nous a donné pour notre site Internet, il rappelle « l’international ? pas si simple » et il raconte tous les problèmes rencontrés par notre choix de la laïcité en 1959, 1961 ou 1962. Difficultés qui se sont présentées également lorsque notre Mouvement a choisi la coéducation des filles et des garçons. Il a fallu attendre 1988 pour que les déclarations des organismes internationaux de scoutisme rejoignent nos définitions ! Le relais de Pierre François a donc été magistralement assuré par son fils dans un domaine plutôt délicat.

 

 

Ce rappel ne serait pas complet si j’oubliais l’action qui a été celle de Dominique dans un autre secteur de nos engagements, celui de la décolonisation : notre Mouvement n’a pas abandonné les associations qu’il avait contribué à créer, par exemple en Afrique, et des efforts communs, en particulier dans le cadre du CAMEL, Collège Africain et Malgache des Éclaireurs Laïques, ont abouti à la mise en place et à l’animation de camps communs de formation des cadres. Malick M’Baye, Willy Longueville ou Henri-Pierre Debord seront mieux à même d’en rappeler quelques dates marquantes.

 

 

Un petit souvenir personnel au passage : en 1972, à l’orée d’une de ces grandes crises existentielles que notre Mouvement ne sait pas éviter, nous avons été quelques-uns à penser qu’il serait peut-être utile de faire appel à Pierre François pour nous aider à sortir d’une situation un peu compliquée. Dominique a accepté – je dois dire, avec une certaine réticence – d’être notre ambassadeur auprès de son père qui a accepté cette tâche et proposé au Mouvement, dans son ensemble, une bonne cure de démocratie.

 

Retraité, Dominique a conservé tous les liens qui l’unissaient à nos valeurs, à nos principes et à nos actions. Il a contribué à faire connaître ce parcours du scoutisme laïque auquel sa famille a tant donné. Son état de santé l’a empêché, fin novembre dernier, de participer à notre dernière « journée du scoutisme laïque » sur le thème de la coéducation mais il s’y est associé. Dominique François n’a donc pas été que le fils de son père…

 

 

 

 


 

 

 

Henri-Pierre Debord

 

 

 

Souvenir  personnel 1: Nous étions en cours de préparation de la prochaine « Conférence Francophone du Scoutisme Laïque ».  Pape SENE, commissaire National des E.D.S. à l’International, était en France. Apprenant le décès de Pierre François, j’en ai informé Pape et nous nous sommes rendus aux obsèques ensemble avant de rejoindre Orléans. C’est là que devisant avec Dominique, nous avons éprouvé tous les deux son extraordinaire attachement au devenir du Scoutisme laïque en Afrique noire et au-delà. Au moment de nous quitter, Dominique m’a lancé : « Et surtout, n’hésite pas  à faire appel à moi si besoin ! ». Nous étions, nous sommes encore dans cet esprit de la continuité et de la transmission de la tradition grâce à des personnalités fortes comme Dominique.

 

 

Souvenir personnel 2 : Lorsque nous abordions la question de la transcendance et de l’existence (ou pas) de Dieu, Dominique faisait malicieusement référence au « Grand Invertébré Gazeux ». Cela ne s’oublie pas !

 

 

 

 

 

Malick M’Baye

 

 

 

C’est un grand Éclaireur de France qui vient de disparaître, grand par ses idées novatrices, grand par sa vision d’un scoutisme laïque adapté à un monde en perpétuel changement, démocratique dans son mode de fonctionnement, utile répondant aux aspirations des jeunes et répondant aux besoins des sociétés.

 

 

Il connaissait parfaitement l’essence du scoutisme, l’esprit et la méthode. Il était breveté de Cappy en 1955 et Deputy camp Chef de Gilwell, en 1961. Sa parfaite maîtrise de l’anglais n’était pas étrangère à ses succès à l’international, où il sut expliquer avec pédagogie et mieux que quiconque  la laïcité dans le scoutisme.

 

 

En 1968, le Centre africain de formation organisait dans le cadre du Collège Africain et Malgache des Éclaireurs Laïques, sa neuvième session le camp international d’entraînement des Éclaireuses et Éclaireurs. Dominique en assura la direction, vingt-quatre stagiaires en provenance de cinq États Africains (Bénin, Gabon, République Centrafricaine, Sénégal et Togo) prirent part à ce Cappy ainsi que onze encadreurs. Il y imprima une marque profonde d’un style nouveau de direction d’un scoutisme réellement démocratique et tourné vers l’avenir. Ce même scoutisme que les Éclaireurs africains anticipaient dès 1941 et appelaient de leurs vœux, et qui leur valut les brimades des colonisateurs vichystes de l’époque.

 

 

Le rapport du camp  de  Sokode écrit par Dominique est une véritable révolution copernicienne, tant par son contenu que par ses perspectives. En conclusion de son rapport et je le cite : « enfin je souhaite que les instructeurs ne soient que des guides, que beaucoup d’exposés ne soient en réalité des discussions positives, que les stagiaires participent, car nous ne saurions prétendre apporter la vérité, mais nous devons effectuer tous  ensemble une recherche d’adaptation du scoutisme à l’Afrique ». Fin de citation.

 

 

Plus de quarante ans après, aussi bien les évolutions de l’Afrique d’aujourd’hui que celles du scoutisme lui donnent raison. Les visions de l’homme de science, de l’Académicien et l’œil avisé et critique du chercheur, alliés  aux sources fécondes du scoutisme, où il s’était amplement abreuvé, ont forgé son caractère et fait de lui un type d’homme, un éveilleur  de conscience et un vigile de la liberté.

 

 

Willy Longueville

 

Lorsqu’en 1968, année mémorable, Charles Boganski m’a sollicité pour participer à l’encadrement d’un camp de formation franco-africain à Sokodé, au Togo, dans le cadre du CAMEL (Comité Africain et Malgache des Éclaireurs Laïques), sans doute pour me convaincre, il m’a signalé que le chef de Stage serait Dominique (François).

 

Certes ce dernier était tout auréolé par son appartenance à une lignée  familiale de personnalités aux valeurs humaines et intellectuelles connues et reconnues.

 

Mais voilà, précisément, ce qui ne manquait pas de m’inquiéter un peu.

 

Or, dès l’aéroport de départ, j’ai ressenti un climat de simplicité, d’amitié, propre à me faire rapidement oublier toute réserve.

 

Dominique avait tout du  « Grand Chef », vrai, enthousiaste et accessible.

 

Ses qualités pédagogiques firent que ce séjour de formation eut un succès tel qu’il est encore évoqué de nos jours par certains participants.

 

Il faisait montre de grande rigueur dans la préparation des activités, sans se prendre au sérieux le moins du monde. Permettez-moi une anecdote mémorable dont il faisait semblant de ne plus se souvenir quelques années après. L’un des pivots du scoutisme, avec la vie dans la nature, est le jeu, comme moteur éducatif. Il y eut donc jeu… de nuit (!) et dans le déroulé de cette activité nocturne il fallait à un moment donné un… signal. Ce fut, avec l’accord du technicien responsable, l’arrêt programmé de la centrale électrique locale !

 

Je m’associe bien volontiers pleinement aux affirmations de mes amis Yvon (Bastide) et Malick (M’Baye) relatives aux valeurs portées et défendues par Dominique : laïcité, ouverture, démocratie. Et à ses très nombreuses autres qualités.

 

Mais permettez-moi aussi d’insister sur une qualité qui s’est révélée essentielle dans son parcours à l’International et en particulier lors de notre séjour au Togo : la diplomatie.

 

Combien de portes nous ont été ouvertes auprès des personnalités locales et combien de boissons locales avons-nous dégustées !

 

Dominique était un grand scientifique mais il savait adapter ses connaissances aux cas concrets de terrain.

 

Nous souhaitions trouver un moyen de remercier nos hôtes, tellement accueillants.

 

On nous proposa donc de construire un… marché couvert de village, en matériaux bruts du cru.

 

Après un rappel sur la solidité comparée des structures triangulaires par rapport à d’autres, il proposa de réaliser le maximum d’éléments au sol.

 

Voilà qui se montra bien plus pratique mais à la mi-journée l’aspect futur de la construction ne paraissait pas évident à nos amis africains, un peu déçus, il faut le dire.

 

L’élévation des structures dans l’après midi et leur implantation rendit vite le sourire et l’enthousiasme revient. C’est là que nous vîmes la dextérité des villageois et des stagiaires pour parfaire le bâti et notamment le toit végétal. En fin de journée, le partage convivial de la chèvre, sacrifiée en notre honneur, rappela à tous combien les liens établis entre nos scoutismes s’étaient confortés, combien notre amitié réciproque était tout sauf factice.

 

Oui, Dominique, ce fut un savoureux séjour de mise en commun intelligente de nos méthodes croisées, dans un climat  de profonde sérénité et de paix.

 

Mais ce n’est là qu’un léger exemple, un tout petit « temps », fort certes, des actions et réflexions de Dominique.

 

Puisse son souvenir nous aider à progresser et à continuer à défendre les valeurs qui étaient les siennes !

 

Sokode 1968