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1940 : Avant le Scoutisme Français : le bureau interfédéral (BIF)


BUREAU INTERFEDERAL DU SCOUTISME
Journal personnel tenu par le Pasteur André-Numa BERTRAND (Oratoire du Louvre)
Extraits
19 juillet 1940-12 août 1940

Le pasteur André-Numa Bertrand, est resté à Paris. Il exerce toujours, après l’entrée des Allemands la présidente tournante du BIF alors que de nombreux membres du bureau ont rejoint Vichy.


« Vendredi 19 juillet (1940). Ce soir après dîner, réunion d’une réduction du petit BIF. Très curieux de voir les attitudes diverses : les EDF déconcertés par la chute du régime qui les poussait. Ils se demandent ce qu’ils feront ; et comme ils s’écroulent si l’Etat ne les soutient pas, ils abandonnent d’ores et déjà la partie dans la zone occupée : on n’y fera pas de scoutisme EDF. Faiblesse de leur idéologie laïque (…) Les catholiques beaucoup plus fermes. SDF et surtout Guides bien décidés à aller de l’avant : avec les Allemands, il faut être là ; donc montrons-nous. Nous faisons des sorties, nous affirmons notre présence. C’est d’ailleurs la bonne politique si le Gouvernement veut mettre la main sur la jeunesse. Surpris et heureux d’entendre dire aux Guides : il faut demander tous les jours la victoire de l’Angleterre ! Heureux aussi de les voir cabrés d’avance contre la mainmise sur la jeunesse d’un gouvernement qui doit cependant leur plaire. Ce sont des gens qui voient loin : après ce gouvernement il y en aura d’autres, on ne sait lesquels… Ce qui les préoccupe ce n’est pas l’avenir du scoutisme, c’est la possibilité d’avoir des groupements confessionnels. Je remarque avec un petit brin de malice, que nous sommes au BIF, où les questions confessionnelles n’intéressent pas tout le monde. Mais pour eux c’est la grande question, et on voit bien que c’est la préoccupation catholique et non la préoccupation scoute qui les guide. Il est question à plusieurs reprises de l’aumônier général ; je demande : « Et votre Président ? » Mais le président ne vient que bien après l’aumônier. Les Eclaireuses très « allantes » ; préoccupées de leur section I (Israélite). « Si on brime les EI, nous ne sommes pas disposées à les laisser tomber. » Je leur conseille de dire à leurs camarades israélites d’être prudentes, non pour ne pas compromettre la FFE, mais pour ne pas compromettre leurs familles et elles-mêmes.
J’expose ensuite l’attitude EU, les consignes que j’ai données autorisation aux chefs et cheftaines, défense aux enfants de sortir en tenue. La « fraternité » des Jeunesses hitlériennes plus à redouter que leur hostilité. Déjà les chefs ont été accostés ; salut hitlérien, main tendue, « camarade ». Ils ont rendu le salut, n’ont pas pris la main tendue et refusé l’épithète « camarade ». Je ne veux pas exposer des enfants à des histoires de ce genre ; c’est déjà assez que des chefs aient à se défendre contre des fraternisations indésirables, soit en elles-mêmes, soit devant l’opinion publique. D’accord pour nous manifester : mais les Allemands nous demandent des collaborations ? nous offrent un encadrement ? Quid ? Le mieux serait d’organiser fortement notre action sociale.
Il est convenu que si je peux en toucher un mot à M. Léon Noël, je demanderai jusqu’à quel point nous serions protégés par l’administration française, et je tâcherai de savoir ce qu’il y a derrière l’institution d’un « ministère de la jeunesse » : scoutisme unifié, national et obligatoire ? ou pouvons-nous continuer à être? »
« Mercredi 24 juillet (1940] Ce soir petit BIF Les EDF de plus en plus « marchands d’inconvénients ». Tout est dangereux, tout est sujet à récriminations, des bâtons dans toutes les roues, politique de l’absence. Je me range carrément du côté des SDF et souvent eux, et surtout les Guides, sont de mon avis. Aussi devant cette inertie des EDF je me méfie de leur projet de transformer le BIF en un organe beaucoup plus actif, vrai organe de direction ; et ils proposent de le réunir… à Vichy.
… Les EDF ne veulent rien savoir, parce qu’ils ont peur d’être entraînés vers un organisme d’Etat (curieux, car jusqu’ici ils étaient l’organisation quasi officielle de l’école laïque ! ) ; les SDF disent : « C’est notre intérêt de mettre la marque scout (sous-entendu et catholique) sur le plus grand nombre possible de garçon. »  »
« Lundi 12 août. (…) Assez surpris d’apprendre qu’à Vichy on a tout bousculé (au point de vue scoutisme). Effort pour m’abstraire des préoccupations de personnes ; impossible de ne pas avoir un peu d’amertume à constater que tout s’est passé exactement comme si je n’existais pas. Président du mouvement, je n’ai été consulté sur rien ni même mis au courant de rien ; président du BIF j’apprends indirectement que le BIF a été transporté à Vichy, et qu’on a offert la présidence au Général Lafont : – « Et Paris ? A Paris on pourra avoir une succursale du BIF, mais subordonnée à celui de Vichy. – Et qui a décidé ça ? – Ceux qui étaient à Vichy. – Et si ceux qui sont à Paris décidaient le contraire, qu’est-ce qui arriverait ? » Jousselin visiblement interloqué par cette question. »