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2018 : Une réflexion sur l’évolution de notre Mouvement

 

 

 

 

 

 

 

 

L’émergence de la démocratie dans le Mouvement :

 

 

 

 

 

 

 

 

Les Éclaireurs de France ont donc vécu quelques décennies – trois au maximum pour les groupes les plus anciens – sans se préoccuper réellement de cet aspect de la question. Le scoutisme connaît un certain développement, surtout depuis la création des deux associations catholiques qui, via le catéchisme, recrutent sans difficulté et deviennent majoritaires. Mais la période de la guerre va modifier un certain nombre de perceptions et provoquer une réflexion «sur le fond», c’est-à-dire ne se limitant pas aux moyens de faire du scoutisme.

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans un éditorial de la revue «Le Chef», dès décembre 1945, Pierre François, Commissaire général, pose le problème en quelques phrases vigoureuses :

 

 

 

«Le respect de la liberté, l’usage de la liberté, le besoin de la liberté, nous les retrouvons à chaque instant dans notre scoutisme. Non pas comme affirmations de principes, non pas comme morceaux d’éloquence, mais comme pratique courante.

 

 

 

L’éducation, la vraie, l’active, n’a d’autre but que la libération de l’homme».

 

 

 

«Un chef autocratique, réglant tout seul et dans tous les détails la conduite et les jeux de ses garçons, trahit purement et simplement le scoutisme. Le système des patrouilles, rappelons-le, donne une très large part de la gestion aux garçons eux-mêmes.

 

 

 

Un chef qui prend toutes les déterminations et qui impose des ordres à des subordonnés passifs, même s’ils sont consentants et béats, se classe dans la catégorie des imbéciles dangereux et ne doit pas rester une minute de plus dans notre Mouvement».

 

 

 

«C’est une règle de l’éducation des hommes libres de ne pas leur faire observer d’autres lois que celles qu’ils ont élaborées et acceptées librement».

 

 

 

 

 

 

 

 

Sous l’influence de grands responsables engagés dans la lutte contre le nazisme et les diverses formes de fascisme qui ont caractérisé le passé récent, les objectifs du Mouvement vont changer et vont être affirmés par l’article premier des Statuts votés par l’Assemblée générale de 1947 ; il est important de le présenter dans sa totalité car il met bien en évidence cette évolution avec des articles nouveaux :

 

 

 

«L’Association des Éclaireurs de France, fondée en 1911, reconnue d’utilité publique le 6 août 1925, a pour but de contribuer à la formation de la jeunesse, au triple point de vue moral, physique et pratique, d’après les principes et méthodes du Scoutisme.

 

 

 

L’Association des Éclaireurs de France, laïque comme l’école publique, est ouverte à tous, sans distinction d’origine, de race ou de croyance. L’Association ne relève d’aucun parti, ni d’aucune église, et s’interdit toute propagande politique ou religieuse.

 

 

 

Chacun de ses membres est assuré de trouver au sein de l’Association, auprès de ses chefs et de ses camarades, respect et sympathie, quelles que soient ses convictions politiques ou religieuses.

 

 

 

L’Association enseigne la loi de l’Éclaireur, cultive l’amour de la France et, en pratiquant la fraternité entre la jeunesse de tous les pays, s’efforce de favoriser l’entente entre les peuples.

 

 

 

L’Association a pour objectif final de préparer des citoyens conscients des problèmes sociaux et soucieux de les résoudre. Elle ne sépare pas ce devoir civique de la lutte pour libérer l’homme de tout asservissement».

 

 

 

 

 

 

 

 

Les débuts de l’article conservent la formulation initiale, et, en particulier, son objectif de contribuer à la formation de la jeunesse au triple point de vue moral, physique et pratique ; le deuxième paragraphe ajoute à la définition de la laïcité «laïque comme l’école publique», traduisant le rapprochement effectué depuis les années 30 ; l’article suivant reprend l’allusion à la loi, au patriotisme et l’amitié entre les peuples. Mais la fin de l’article apporte une innovation importante : préparer des citoyens «conscients des problèmes sociaux et soucieux de les résoudre», ce «devoir civique» devant se compléter de «la lutte pour libérer l’homme de tout asservissement». Choix «politique» – on verra qu’il va provoquer, de la part de certains, une réaction de refus – qui va devoir se traduire dans la pédagogie et dans l’animation.

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette préoccupation d’évolution apparaît, chez les E.D.F., très rapidement après la Libération. Un «congrès» de chefs de patrouilles est organisé en 1946 à Vanves, au Lycée Michelet : la parole y est donnée aux jeunes ou très jeunes chefs et seconds de patrouilles – âgés de 13 à 15 ans – sur un grand nombre de thèmes les concernant mais sur lesquels on ne leur a jamais, jusque là, demandé leur avis. Jean Estève, devenu responsable national de la branche après son retour de déportation, confirme l’importance de cette manifestation : «L’idée est de réunir ces garçons, qui avaient la responsabilité d’une patrouille, sept ou huit camarades, de leur demander leur avis, de les faire travailler sur ce qui les intéressait. A signaler, et c’était une anticipation sur la suite, que l’un des groupes de travail a sorti une motion en faveur de la coéducation».

 

 

 

 

 

 

 

 

Si l’on en croit Eugène Bourdet, alors Commissaire national adjoint pour la branche Éclaireurs, une prise de conscience plus générale est apparue à l’occasion du Jamboree de la Paix en 1947 : le scoutisme est ressenti comme un peu trop «militaire», dans sa structuration, son vocabulaire et ses relations internes. Il est même question de «troupisme», terme apparemment péjoratif illustrant le fonctionnement des «troupes» d’éclaireurs :

 

 

 

«Ce n’est assurément pas par hasard qu’en octobre 1946 et, curieusement, dans «l’Éclaireur de France», mensuel des garçons – et non dans «le Chef», revue des cadres -, que paraît un long compte rendu d’un voyage d’études de Charles Celier, «l’International» des Scouts de France, chez les Boys-Scouts of America. L’auteur y marque particulièrement sa surprise et son intérêt pour la vie démocratique de la patrouille ; là-bas, tout part, réellement, des garçons, à cent lieues de ce «troupisme» que nous connaissions souvent dans nos Mouvements et, surtout, du peu de responsabilité, d’autonomie que trop de chefs accordaient aux jeunes.

 

 

 

Décembre 1946, c’est à nouveau dans «l’Éclaireur de France» – plus exactement, dans «l’Écho des Pats», le supplément destiné aux chefs de patrouille, que commence à paraître une sélection des opinions avancées au Congrès national des C.P., puis des vœux formulés par ceux-ci, au cours d’une rencontre qui avait à la fois démontré la faiblesse de notre pratique éducative et éclairé les réorientations à envisager : par exemple, des programmes d’activités, des projets de camps d’été préparés en commun par les garçons et les responsables. Ces appels pour un retour aux sources montraient à quel point des pratiques autoritaires avaient occulté la véritable nature de l’animation des unités».

 

 

 

 

 

 

 

 

Il semble donc que cette préoccupation ait été très présente chez les Éclaireurs de France, sous une forme un peu différente : notre scoutisme ressemble trop à ce qui se fait à l’école. Elle est exprimée dans les «Résolutions d’Angoulême», résumé des conclusions d’une «grande équipe de branche» réunie en 1948 : ce texte, dont le résumé est présenté en annexe, a été rédigé pour la branche «éclaireurs» mais sera très vite considéré comme valable pour toutes les branches. À noter un élément important : la possibilité de «faire craquer les structures traditionnelles» – c’est-à-dire, en fait, le système des patrouilles, pour certaines activités (donc de temps en temps) au bénéfice d’un projet commun, l’entreprise.

 

 

 

 

 

 

 

 

Une première conséquence de cette nouvelle orientation va concerner, très progressivement,… le vocabulaire, considéré comme toujours trop militaire : le «responsable» va remplacer le «chef» et les termes à connotation un peu trop militaires vont évoluer : la «patrouille» va devenir «équipe» puis «équipage», la «troupe» va devenir «unité». Nous reproduisons en illustration deux cartes, l’une de «chef» en 1946 (avec, au dos, la loi, le mot d’ordre, le texte de la promesse) et l’autre de « responsable » en 1947 (avec, au dos, l’article premier des statuts). À noter, sur la seconde, que le vocabulaire n’a pas encore évolué : elle indique «chef de clan» !


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

Cette transformation du vocabulaire, en ce qui concerne les responsables, est importante car elle traduit une évolution de la relation d’animation des jeunes. Les différences entre ces deux cartes le montrent bien : la première rappelle un certain nombre de règles – la loi, le mot d’ordre, la devise, la promesse – traduisant une relation d’autorité, la deuxième se limite à un rappel des objectifs et des valeurs du Mouvement, mettant ainsi l’intéressé dans une position plus « dulte». Notons également, au passage, l’affirmation de la laïcité en 1947 alors que l’année précédente, l’association se dit simplement «respectueuse de toutes les convictions».

 

 

 

 

 

 

 

 

Le reste du vocabulaire n’a pas évolué rapidement, et c’est lors de la création du «nouveau Mouvement » des Éclaireuses et Éclaireurs de France que la décision a été prise de trouver des dénominations nouvelles pour éviter que le masculin ne s’impose sur le féminin, la F.F.E. n’ayant pas adopté les mêmes termes. On va donc parler encore, pendant de longues années, de «patrouille», de «troupe» ou de «meute».