Les conséquences pour la formation :
L’expérience acquise tout au long des décennies a conduit à un système de formation des cadres articulée en trois volets :
– un volet « expérience », acquisition sur le « terrain » à travers les activités, supposant une transmission par les responsables déjà formés, donc essentiellement dans le cadre du groupe local,
– un volet « collectif », acquisition programmée par le Mouvement, à partir des « camps-écoles », et, en particulier, le camp-école de Cappy, haut-lieu historique du scoutisme E.D.F. et E.U., apportant un autre niveau de transmission assurée par les grands chefs,
– un volet « documentaire », assuré par les revues du Mouvement, sous la responsabilité des équipes nationales à partir des expériences de terrain ou des réflexions sur la pédagogie.
Il est évident que le premier volet privilégie, fort justement, le niveau local et que, si la transmission se limite à l’expérience de terrain, elle ne favorise pas trop l’évolution. L’accent va donc être mis, au cours des années 50 et 60, sur les autres volets de la formation :
– les camps-écoles à plusieurs niveaux : premier niveau avec les « camps-écoles préparatoires » (C.E.P.), organisés au niveau régional ou départemental, deuxième niveau avec les « Cappys » (qui gardent le nom du lieu historique bien qu’installés un peu partout), organisés au plan national. Les groupes choisissent eux-mêmes d’envoyer les responsables dans les camps-écoles, et la participation à un « Cappy » est souvent le couronnement d’une carrière, une sorte de récompense avant la retraite…
– les revues : elles seront complétées par des « cahiers » (dénommés d’abord « cahiers techniques », puis « de branche », avant de devenir « cahiers du responsable »). La lecture de ces documents est, sur plusieurs décennies, très instructive, car elle démontre la nécessité de faire vivre ensemble un scoutisme traditionnellement « technique » et une orientation plus centrée sur l’animation partagée.
À noter au passage une expérience menée par quelques régions, et, en particulier, la région parisienne dans les années 60 et 70 : les « camps d’application pratique », organisés au niveau régional, regroupent quelques unités d’une même branche sous la responsabilité d’un responsable pédagogique. Les unités vivent leur camp comme d’habitude, mais le programme et le déroulement en sont élaborés et commentés en commun. Il est évident que cette solution va à l’encontre de l’habitude prise par certains groupes d’organiser des camps de groupe, réunissant des unités de plusieurs branches, le plus souvent Louveteaux et Éclaireuses / éclaireurs. Cette solution, qui avait pour but de compléter, sur le terrain, une formation considérée comme théorique, a quelquefois bousculé les habitudes locales…
La concrétisation :
La mise en œuvre d’une véritable « démocratie » dans le Mouvement doit donc combiner deux éléments : la participation et la représentation. La participation suppose que les intéressés soient consultés, quels que soient leur âge, leur ancienneté dans l’association, leur niveau de connaissance. La représentation suppose que les organes décideurs soient, également à tous les niveaux, issus de l’ensemble des membres. Ces deux exigences vont poser quelques problèmes car elles induisent une modification importante du fonctionnement lui-même, aussi bien en ce concerne la pédagogie que la gestion de la collectivité.
L’idée de base de la participation est donc que chaque membre intéressé puisse prendre part à l’élaboration des décisions concernant leurs activités, encore faut-il mettre en place les moyens correspondants, c’est-à-dire définir les modalités de cette participation, qui doit se traduire concrètement en donnant les moyens à chacun d’exprimer son opinion. La solution proposée est la création de «conseils» et la rédaction de «constitutions». À noter que celles-ci, qui représentent une formalisation, traitent également, en général, de la représentation.
La constitution de la «troupe» Charles Martel de Poitiers, élaborée à la rentrée de 1953, donne un excellent exemple de cette traduction pratique. Notons au passage que, six ans après les Résolutions d’Angoulême et leurs conséquences, l’unité continue de s’appeler «troupe», c’est aussi un excellent exemple de la difficulté toujours rencontrée à faire adopter «à la base» les évolutions suggérées (Voir en annexe quelques pages de la constitution de Poitiers et le commentaire d’un acteur de l’époque).
Ce texte doit être situé dans son temps, c’est-à-dire considéré, en lui-même, comme une modification sensible de la situation précédente. Il met en évidence le rôle majeur du «conseil des chefs de patrouille», autrefois dénommé «haute patrouille», qui apparaît comme «l’élément essentiel» dont les décisions sont «sans appel» et «applicables de plein droit». La «maîtrise», formée par le chef de troupe et ses assistants, en est «l’organe exécutif», disposant d’une «assez grande liberté d’action», mais toujours sous le contrôle du conseil des chefs de patrouille. Le chef (de troupe) n’est donc plus décideur, même si le conseil lui fait confiance et si la maîtrise dispose d’un droit de veto… Au total, la constitution distingue les trois fonctions : législative, exécutive, juridique, le dernière étant assurée par une «cour d’honneur» apparemment peu modifiée. Le document détaille également un certain nombre de dispositions pratiques (l’uniforme, le matériel, les réunions et sorties) qui en font au total une véritable charte de fonctionnement de l’unité.