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2018 : Dans les branches…

 

… le passage à l’acte, pas toujours facile…

 

 

À la branche louveteaux, une démocratie voulue et vécue.

 

 

 

Adeline Eloy-Gavazzi, ancienne responsable nationale de branche,

 

en coopération avec Andrée Mazeran-Barniaudy, ancienne Commissaire nationale

 

 

À la branche louveteaux, il s’agit d’amener des enfants de 8 à 11ans à percevoir et à s’approprier le fonctionnement démocratique (il s’agit de démocratie participative) de la micro-société qu’ils constituent.

 

Une démocratie voulue : la mise au point d’une méthode.

 

 

 

Ce mode de fonctionnement n’est ni « naturel » ni ancré dans le scoutisme défini initialement.

 

 

 

  • Avant la deuxième guerre mondiale, le louvetisme est conçu comme une phase préparatoire à la branche éclaireurs destinée à des garçons de 8 à 11 ans.

 

 

 

On peut lire dans un rapport du congrès de 1920 à Dijon : « Les meutes bien conduites peuvent préparer d’excellents scouts pour les troupes éclaireurs »

 

 

En 1938, au congrès de Vizille, André Lefèvre (Vieux Castor) tirait, à partir d’un exposé de Grandjouan, responsable de la branche Louveteaux, les conclusions suivantes : « La ligne Louveteaux est restée à peu près stable depuis près de 20 ans, elle s’enrichit de jeux, danses, histoires ».

 

 

La méthode repose sur le Le livre des louveteaux de Baden Powell et la fiction du Livre de la jungle de Kipling utilisés d’une manière systématique, sans remises en question.

 

  • Après la guerre la branche louveteaux trouve son autonomie. Elle met au point sa méthode.

 

 

 

En 1949, le congrès national des chefs Éclaireurs de France, au lycée Michelet de Vanves est une étape déterminante dans l’histoire du Mouvement. Sous l’impulsion du président Gustave Monod et du commissaire général Pierre François, les éclaireurs s’engagent dans la formation du citoyen au sein de sociétés de jeunes. Cette orientation est la résultante des besoins de changement nés après la guerre, de la prise de conscience du prix de la liberté, de la place et du rôle que l’individu peut et doit avoir dans la société.

 

 

 

Les jeunes adultes qui appartiennent au Mouvement, la route, les cadres, s’expriment et agissent… La direction de l’Association, très sensible à ce nouveau dynamisme, va avoir à organiser ce « bouillonnement » et lui donner un cadre. La démocratie participative (on ne prononce pas ce mot, mais ce qui est proposé correspond à la définition que l’on peut en donner) est en marche.

 

 

 

À partir de là, il est nécessaire de concrétiser ces nouveaux objectifs aux différents niveaux. Ce travail est possible car le Mouvement a une histoire, une structure solide, des responsables nationaux, régionaux, locaux, engagés, conscients des problèmes de notre société d’après-guerre. Des pratiques éducatives nouvelles, adaptées à chaque âge devront être inventées. La branche louveteaux devient autonome.

 

 

 

 

Pas à pas, elle va mettre au point sa méthode.

 

 

Un aller-retour entre pratique et théorie, à la fois sur le terrain et dans les bureaux de la Chaussée d’Antin, permet à une équipe nationale solide et stable, de retenir et de structurer les fondamentaux, publiés dans la brochure Esprit et Méthode (1956).

 

 

 

 

L’évolution se fait progressivement.

 

 

 

 

Il n’y a pas de rupture. La plupart des meutes vont, peu à peu, donner plus de place aux Louveteaux dans les décisions. Le groupe meute prend plus d’importance. Les sizaines demeurent mais leur rôle est limité à l’organisation matérielle. La coéducation, tant au niveau des responsables que des enfants, facilite l’adoption de nouvelles pistes…

 

 

Le travail de réflexion qui a initié ce changement voulu s’est exprimé d’une façon profonde. Au-delà des nouvelles structures, des termes réinventés, la démocratie a été mise en action grâce à un « esprit » que nous allons essayer de cerner.

 

 

 

Une démocratie vécue : « l’esprit » ou les fondements du fonctionnement d’une meute

 

 

 

Cet « esprit » est indispensable. Il repose sur des fondements solides qui s’inspirent des valeurs humaines et éducatives du scoutisme et des caractéristiques démocratiques des sociétés d’enfants. Ils sont vécus au quotidien et ponctuent la vie de la meute de moments plus exceptionnels.

 

 

Le louveteau adhère librement :

 

 

 

 

Il n’y a pas 24 louveteaux et 3 ou 4 responsables, mais une société d’enfants basée sur un type particulier de relations entre les enfants et entre les adultes et les enfants.

 

Chacun des membres respecte l’autre quel que soit son âge, son sexe ou son origine, il a confiance en lui, il en a le souci. Il s’ajuste aux besoins de l’ensemble car il a conscience qu’il en est un élément indispensable tout en conservant son originalité et sa créativité.

 

L’enfant perçoit la nouveauté du mode de vie en collectivité qui lui est proposé, différent de celui de sa classe et de sa famille. Sans en avoir une conscience claire, il en accepte les contraintes même si elles limitent son indépendance.

 

Pour y adhérer librement il doit identifier clairement les caractéristiques et les règles du jeu de la meute. Sa permanence, les rites qui ponctuent sa vie quotidienne, le symbolisme lié au mouvement et à la branche sont des repères nécessaires.

 

 

Il s’engage dans un groupe clairement identifiable

 

 

 

 

Le groupe d’enfants est stable. Après une ou deux sorties, l’enfant s’engage à venir régulièrement. Il participe volontairement aux activités. Il sait que le groupe compte sur sa présence, qu’il a besoin de lui. Il est le membre à part entière d’une collectivité où il n’existe pas de hiérarchie, mais des fonctions, des responsabilités. Si les louveteaux sont répartis dans des sizaines, c’est essentiellement pour faciliter les regroupements au cours des rassemblements ou des jeux, par exemple. Les sizeniers n’ont aucun pouvoir. Tout au plus, ils veillent à renforcer le lien entre les membres de la sizaine, à intégrer les nouveaux en les informant et en les aidant.

 

  • Le symbolisme, l’un des 7 piliers de la méthode scoute, permet de s’identifier, de se reconnaitre comme « citoyen » d’une association et d’une unité. Il est donc à la racine de tout engagement.

 

Le symbole trouve sa signification dans ce qu’il représente pour les personnes à qui il s’adresse. Aussi n’a-t-il pas le même sens pour tous. En particulier, il ne parle pas de la même façon aux adultes que nous sommes et à l’enfant à qui il s’adresse. Son maniement demande du discernement.

 

 

  • Des « rites » ponctuent le parcours et la progression du louveteau.

 

Comme dans toutes les sociétés, ils célèbrent des moments particuliers : l’accueil, l’engagement au moment de la promesse, la remise des étoiles, le départ au moment du passage à la branche éclaireurs. Ils marquent l’évolution personnelle au sein du groupe. Ils n’ont rien de rigide. Il ne s’agit pas de célébrations orchestrées, mais plutôt de traditions comme on en trouve dans les familles au moment des anniversaires ou de la chasse aux œufs de Pâques…

 

 

 

 

La conquête de l’autonomie, différente de l’indépendance, est essentielle. Sans elle, il ne peut y avoir ni liberté, ni démocratie. Elle permet de décider par soi-même, avec un esprit critique qui tient compte des contraintes de l’environnement. « Je suis de moins en moins dépendant de l’adulte, je suis de plus en plus capable de me débrouiller seul et de réfléchir par moi-même »

 

Afin que chaque enfant acquière une estime de soi suffisante pour participer pleinement aux prises de décision il est nécessaire que les activités soient variées afin que chaque enfant trouve un moment d’expression privilégié et valorisant. Les réalisations concrètes et l’imaginaire, le jeu et le « travail » cohabitent.

 

 

 

 

On voit bien que le rôle des responsables est primordial. Formés au cours des camps écoles, ils créent les conditions pour que leur unité vive « démocratiquement ». Il est difficile de le qualifier en quelques mots. Lorsqu’il devient chef, le jeune adulte prend pleinement conscience qu’il existe au sein du scoutisme, un style de relation adultes/enfants ou adultes/jeunes basé sur le respect, la confiance, l’authenticité. Il n’y a pas celui qui sait et celui qui apprend. La parole donnée est une parole vraie, même si l’humour et la plaisanterie sont souvent de mise.

 

 

Il n’est pas un chef au sens habituel du terme mais plutôt un chef d’orchestre qui permet à chaque enfant de jouer au mieux sa partition tout en tenant compte de celle des autres. Il est à l’écoute de chacun, en ralentit certains, en stimule d’autres. Il est le garant de l’obtention des résultats visés et de l’harmonie générale. Conscient qu’il a beaucoup à apprendre du groupe, il est ouvert aux propositions auxquelles il donne forme tout en les respectant.

 

 

Il vit au rythme de la meute, partage les activités des louveteaux. Il n’a pas de statut particulier qui lui donnerait du pouvoir, qui définirait ses droits spécifiques. Cependant, en tant qu’adulte il nourrit le besoin de sécurité et d’appartenance de l’enfant : il le tranquillise, le console si besoin est.

 

 

Il est le représentant des valeurs du scoutisme auxquelles l’enfant adhère en devenant louveteau. Il est entouré et soutenu par des pairs et des adultes plus expérimentés. Il fait partie d’un groupe local, de la branche louveteaux qui a des représentants au niveau départemental, régional et national. Sa place lui confère donc une sorte d’ascendant. C’est un capital qu’il lui revient d’utiliser avec sagesse.

 

 

 

Une démocratie mise en pratique : deux moments clés

 

 

 

 

Tout d’abord le conseil de meute au cours duquel se décident les projets et se traitent les questions de la vie quotidienne. Chacun apprend à écouter l’autre, à prendre la parole à bon escient, à maitriser ses impulsions, à respecter la décision prise même si elle ne correspond pas à un choix personnel.

 

 

Les conseils de meute sont des moments privilégiés et majeurs. Ils n’ont pas lieu par hasard, parce que l’on dispose d’un peu de temps. Le cadre et le moment en sont soigneusement choisis. Ils contribuent à lui donner une certaine solennité. Le louveteau doit prendre conscience que c’est un moment essentiel.

 

 

 

Responsables et enfants forment un cercle sans qu’aucun signe ne les distingue. Une règle de fonctionnement claire a été définie. Un président volontaire et coopté propose un ordre du jour à partir des demandes ou des suggestions exprimées. Il anime ensuite la réunion en donnant la parole à tour de rôle aux louveteaux ou responsables qui ont levé le doigt. Il veille à maintenir une qualité d’expression qui évite les excès, les accusations violentes… Chacun apprend à écouter l’autre à prendre la parole à bon escient, à maîtriser ses impulsions, à respecter la décision prise même si elle va à l’encontre de son propre choix.

 

 

 

C’est le lieu où se traitent les questions de la vie quotidienne. On y aborde tout ce qui pourrait menacer la cohésion du groupe. En bonne place figurent les tensions entre enfants. Les plaintes sont fréquentes : il y a celui qui joue au lieu d’aider à ramasser les papiers, celui qui a réveillé les autres, celui qui a triché pour gagner au cours d’un jeu… Ces « chamailleries » en apparence anodines peuvent prendre des proportions démesurées pour certains enfants hypersensibles qui ont un fort sentiment de la justice ou du respect de la règle.

 

 

 

Le responsable agit en sourdine de façon à équilibrer les interventions, réorienter une discussion qui pourrait devenir trop passionnée ou s’engager sur des chemins risqués. Le conseil est le lieu où il peut préciser l’utilité des règles de vie, la nécessité de les respecter pour préserver l’individualité de chacun. Il est le garant de l’authenticité de ce moment de démocratie participative. Il évite l’autoritarisme sans sombrer dans la démagogie, amène l’enfant à se comporter sans ni se soumettre ni se révolter. C’est un peu la quadrature du cercle et pourtant les enfants comprennent et s’approprient les objectifs de ces réunions

 

 

 

C’est au conseil que l’on organise ensemble l’emploi du temps. Par exemple, au cours des camps, la sieste y est, chaque année, remise en question. Sa suppression est le plus souvent souhaitée. On en débat, une décision est prise qui assouplit souvent son caractère obligatoire. On tiendra compte de la chaleur, de l’heure du coucher la veille… Plus largement, chacun peut faire part de ses souhaits, proposer des activités nouvelles ou déjà faites, des idées de jeux pour la veillée ou de postes pour les Olympiades. Le louveteau sait qu’il a « voix au chapitre ».

 

 

 

 

Un moment important du conseil est celui où l’on décide d’une entreprise. Souvent l’idée émerge spontanément. Ce serait bien si dans ce coin de forêt riche en hautes fougères, on fabriquait une cabane. Les enfants, impatients, commenceraient tout de suite. Mais comment faire sans outils, sans avoir choisi un type de cabane ?… Il est nécessaire d’y réfléchir, d’en discuter et de décider ensemble.

 

 

 

Au conseil, un secrétaire volontaire écrit la liste des outils et des matériaux nécessaires. Ensemble on définit qui se les procurera et à quel endroit. Des équipes se forment : il y a les constructeurs et les architectes, les faucheurs, les spécialistes du gros œuvre, les tresseurs de murs, les décorateurs, les chargés de relations publiques qui lanceront les invitations pour l’inauguration, les artistes qui offriront un spectacle… et si un louveteau ne trouve pas sa place, on crée un rôle sur mesure. Il pourrait être un lutin des fougères faisant des pirouettes pour encourager les équipes, ou bien un reporter-dessinateur, ou bien il veillera à ce que personne n’ait soif. Tout est noté, ainsi que la date de l’inauguration et les moments que l’on consacrera à la réalisation de ce projet. Chacun devient un artisan indispensable, fier de son rôle. Sans lui, sans son équipe, la cabane ne pourrait pas voir le jour.

 

 

 

Souvent la persévérance que demande la réalisation vient à bout des enthousiasmes. De nouveaux conseils permettent de prendre conscience de l’avancée des travaux, donnent une vue d’ensemble gratifiante et redonnent de l’énergie aux plus fatigués.

 

 

 

Parfois, le thème de l’entreprise est imposé. Par exemple, la meute est invitée, ainsi que les éclaireurs et les routiers, à participer à la kermesse organisée par un groupe voisin. Comme nous sommes dans le Gers, le thème en est « D’Artagnan et les mousquetaires du roi », thème suscitant spontanément l’intérêt des garçons plus que celui des filles. Le rôle des responsables est de susciter l’implication de tous. Un jeu préalable est organisé. Il met sur la piste des ferrets de la reine qui permet à chacun de se projeter dans un rôle à sa mesure.

 

 

 

L’entreprise fait éclater les sizaines et permet aux louveteaux de choisir un des ateliers définis au cours du conseil. Leur variété permet à chacun, fille ou garçon, d’exprimer ses besoins et ses désirs en tenant compte des contraintes inévitables (temps, argent, compétence, présence des autres…).

 

Le projet de l’entreprise a souvent été prévu par les responsables compte tenu d’impératifs extérieurs ou liés à la vie de la meute. Ils veillent à ce que chacun se l’approprie et ait envie de le réaliser avec les autres. Les enfants participent à sa définition, à son organisation, à sa réalisation. Les responsables assurent son aboutissement après des ajustements souvent nécessaires.

 

 

 

Conclusion

 

 

 

 

À travers les situations qu’il vit au sein de sa meute, le louveteau perçoit la nécessité d’en respecter les valeurs et les règles afin d’y trouver sa place, de s’y exprimer librement. Il découvre que les contraintes imposées ne sont pas des empêchements mais, au contraire, un cadre qui permet l’épanouissement personnel.

 

 

 

Ce serait une erreur de penser que, parce que les enfants sont jeunes, ils ont une approche mièvre des valeurs fondamentales qui sous-tendent la notion de démocratie. Bien au contraire, ils en ont souvent un sens aigu, loin des compromissions auxquelles notre vie d’adulte nous a confrontés. C’est donc l’âge d’or pour les amener à se l’approprier.