Dans un autre registre, voici un coup de projecteur sur le jeu « Dans la peau des migrants » qui a fait l’objet d’une fiche pédagogique dans Routes Nouvelles de juin 2016. Au passage, je remercie la rédaction pour les dessins, la mise en page et Nadine pour la référence littéraire pour aller plus loin.
Soucieux de vivre avec le monde qui nous entoure et de semer quelques petites graines de prise de conscience dans l’esprit des jeunes qui nous sont confiés (tiens ça ressemble au titre de mon intervention d’aujourd’hui), notre équipe a pourtant longtemps hésité, puis choisi de monter un jeu sur les migrants. La photo de l’enfant mort sur la plage a résonné trop fort dans nos consciences. Cette photo, les enfants de notre groupe l’avait vue, eux aussi. Elle représente l’horreur, elle est l’horreur, il n’y a pas de mots pour l’expliquer à des enfants qui vivent en France dans des conditions normales.
Une motivation supplémentaire, s’il en fallait une, notre groupe accueillait, de façon irrégulière car c’était très compliqué avec le foyer dans lequel il résidait, un jeune migrant, à la fois mineur isolé et réfugié politique. Il a raconté son très long périple à nos aînés. Ceux-ci n’en revenaient pas. À côté, les « aventures » vécues à DÉFI Aînés faisaient pâle figure.
Hors de question de rentrer dans une quelconque polémique politique, notre équipe était unanime, notre objectif pédagogique était de se mettre « dans la peau des migrants » et de faire comprendre les difficultés auxquelles ceux-ci sont confrontés.
Notre démarche vis-à-vis de « notre » jeune migrant a été de lui expliquer pourquoi nous souhaitions jouer sur un sujet encore aussi pénible pour lui. Malgré la barrière de la langue (il faisait des progrès géants), il a pourtant tout de suite compris l’intérêt et choisi de tenir le poste de la Croix Rouge.
Les jeunes ont réalisé un parcours façon jeu de l’oie-jeu de rôle car ils pouvaient choisir leur route. C’est-à-dire que nous avions dessiné un trajet avec plusieurs branches comme si les migrants pouvaient choisir leur route. Chaque trajet présentait à peu près les mêmes cases. Un dessin figurait sur chaque case leur donnant une indication sur l’évènement. Certaines étaient doublées, triplées ou plus encore comme celle de la Croix Rouge. Sur leur chemin, les migrants ont croisé un passeur qui leur prenait leur argent et selon le chiffre du dé venait ou au contraire les laissait tomber. Ils ont ramé sur un radeau de fortune, ont fait des voyages en bus ou en camion, mouvementés, ont affronté des aléas climatiques tels la nuit froide, des soucis de santé et d’approvisionnement en nourriture, leur bébé réclamait des soins d’hygiène.
Ils ont chanté des chansons de leur pays pour se remonter le moral, ils ont envoyé des photos à leur famille restée au pays et qui s’inquiétait très fort pour eux. Ils ont subi des problèmes à la frontière, un parcours pour échapper à la police qui voulait les envoyer en camp, l’apprentissage de la langue nouvelle, les formalités administratives pour déposer leur dossier de réfugié politique et ont enfin eu l’espoir d’obtenir un titre de séjour.
Nos « migrants » ont également fait de belles rencontres comme Médecins sans Frontières qui les a soignés, la Croix Rouge qui leur a fourni des couvertures, des couches pour les bébés, du PQ et des boissons chaudes. Ils ont profité des services d’interprètes et ils ont beaucoup couru pour éviter les contrôles de police, ils ont escaladé des obstacles aux frontières…
Au départ du jeu, chaque équipe a écrit son histoire, de quel pays elle venait, pourquoi elle migrait. Pour démarrer, il leur a fallu trouver du matériel de survie (bois sec pour faire du feu, une gourde, un couteau et une lampe de poche). Ils ont conservé ensuite les éléments avec eux. Ils se sont constitué une sorte de paquetage de survie tout au long du jeu. Par exemple, si l’équipe tombait sur une case « tourista » ou « couche sale », il lui fallait rendre un rouleau de PQ ou une couche, si la nuit était froide, elle dépensait une couverture. Si elle ne disposait pas de l’objet, elle devait reculer de plusieurs cases pour aller à la Croix Rouge. À noter que les équipes de migrants pouvaient coopérer et donc échanger des objets.
En arrivant sur les cases « camion » ou « bus », les jeunes embarquaient dans la remorque bâchée du minibus. Les aînés se chargeaient de secouer la remorque pour que les jeunes aient l’impression de « vivre » leur voyage.
Au fur et à mesure du jeu, les équipes ressemblaient à des nomades, elles avaient un sac avec les objets de survie, des provisions, des couvertures, du PQ, des couches et avec tout ça, il fallait encore échapper à la police ou passer la frontière…
Dans le dernier quart du jeu, il s’agissait d’obtenir un statut de réfugié. Après l’apprentissage d’un type de message codé, les migrants se présentaient à la préfecture pour remplir un questionnaire rédigé selon le code enseigné. Le questionnaire codé représente la barrière de la langue du pays hôte.
Je vous invite vraiment à retrouver le jeu dans Routes Nouvelles de juin 2016. Je précise que le jeu, nous l’avions fait en octobre 2015., vous le comprendrez mieux.
Monter un jeu sur les migrants était un vrai choix éducatif. Nous avons tenté de faire comprendre les difficultés humaines auxquelles les migrants sont confrontés. Rappelez-vous que nos aînés avaient été les confidents du voyage du jeune migrant… Nous n’avons souhaité entrer dans aucune polémique. Nous le devions au jeune réfugié qui a fréquenté quelque temps notre groupe avant de rejoindre le lot des migrants majeurs livrés à eux-mêmes. Nous espérons que, grâce à la fiche pédagogique de Routes Nouvelles, ce jeu aura été joué par d’autres car il nous a beaucoup apporté, à nous les adultes, dans notre réflexion pédagogique, apprendre jusqu’où nous pouvions aller dans un jeu. Il a apporté aux jeunes mais aussi aux parents. Une vraie prise de conscience en ce qui concerne les enfants.
Les parents ont posé sur notre équipe un regard différent, après ce que nous avons fait pour Charlie, les parents semblent convaincus du rôle que nous pouvons jouer. Le plus important, c’est qu’ils adhérent à la démarche. Certains parents qui sont très proches de l’équipe nous ont dit : « On se demandait quand vous le feriez et ça y est : vous avez osé ! ». Notre équipe s’interrogeait sur les réactions potentielles des parents sur un sujet aussi sensible, difficile et qui, du point de vue politique divise. Le fait d’avoir choisi de se mettre « dans la peau des migrants » a mis tout le monde d’accord.