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2018 : notre scoutisme d’extension, un choix de société

… porté par une grande dame

 

Le texte qui suit est un résumé d’une intervention prévue lors de la « journée de la mémoire du scoutisme laïque » du 24 novembre 2018

 

Notre scoutisme d’extension,

 

Un choix de société porté par une grande dame

Andrée Mazeran-Barniaudy, ancienne Commissaire national

Si vous ouvrez le livre « Les Éclaireurs de France de 1911 à 1951 » écrit par Pierre Kergomard et Pierre François, vous trouverez des photos des responsables nationaux de cette époque et du président Gustave Monod. La dernière « survivante » du commissariat national de 1951 est en bas à droite sur la photo. Je  suis cette « survivante », nommée commissaire nationale Louveteaux par Pierre François.

C’est donc comme témoin de cette époque et des années qui ont suivi que j’essaierai d’évoquer le « service Extension ». Mon premier souvenir : une soirée très mondaine dans un lycée hôtelier où Danièle Delorme et Daniel Gélin (ils étaient alors mariés) animaient un spectacle. Érable Lévy-Danon, la commissaire nationale Extension, était très à l’aise. J’avais hâte de découvrir – j’étais une toute nouvelle parisienne – ce qui existait derrière cette manifestation peu habituelle chez les Éclaireurs. Érable, cette grande dame, entièrement dévouée à l’enfance « handicapée » avait, avec une maîtrise hors du commun, donné une place incontournable au service qu’elle dirigeait depuis la guerre. C’est pour financer les activités de ce service que cette soirée « inhabituelle » était organisée. J’évoquerai plus loin comment est née et comment s’est développée l’idée de faire appel aux artistes.

La période du service Extension que j’ai connue correspond à l’époque où Érable Lévy-Danon a été commissaire nationale. Nous avons beaucoup travaillé ensemble au commissariat national. Mes souvenirs sont moins précis pour les années suivantes. J’évoquerai donc la période 1950-1962 après avoir essayé de retracer ce que je connaissais de l’Extension avant 1950.

Que représentait l’Extension en 1945 quand Érable est entrée à l’équipe nationale ?

Un numéro spécial du « Chef » daté de juin-juillet 1945 est consacré à l’Extension. Ce numéro apparaît comme le lancement du service qui allait être dirigé par Érable. L’éditorial de Vieux Castor, commissaire général, et l’article d’Érable mettent en évidence la détermination des Éclaireurs, après la guerre où avait sévi l’idéologie nazie, à affirmer la dignité de tous les êtres humains. Vieux Castor écrit : « Nous croyons en la valeur de chaque homme ayant usage de sa conscience. ». Érable lance un appel aux « plus faibles » : « Vous n’êtes pas inutiles, aucun de vous n’est inutile. » Dans son article « Vers la vie », avec des mots pleins de force et d’espoir, elle trace la trajectoire de ce service qui, sous sa direction,  va se développer au sein du Mouvement. « Le scoutisme constructif adapté aux plus faibles » qui redonne espoir et contribue à la formation d’hommes responsables a été le fil directeur d’Érable dans toute son action.

J’ajouterai que des raisons personnelles portaient Érable vers cette action. On savait que son mari, ancien commissaire régional EDF, avait été fusillé par les occupants pendant la guerre, on savait moins que dans un cadre, sur son bureau, Érable avait la photo de son « petit Michel » dans un fauteuil roulant. Le fils handicapé d’Érable était mort peu de temps après son papa. Érable ne parlait jamais de Michel, mais quand je la voyais avec des enfants handicapés, son sourire était celui d’une mère.

Dans ce numéro spécial de la revue, des témoignages très vivants rendent compte de la pratique du scoutisme dans des unités d’aveugles, de sourds, de tuberculeux osseux, de classes de perfectionnement. Je relève quelques extraits de témoignages :

En 1941, l’institut de Villeurbanne regroupe des sourds-muets, des aveugles et des enfants en rééducation. Un chant du clan (musique d’un éclaireur aveugle R. Ferrens, paroles du chef de groupe, René Pellet, plus tard assassiné pour fait de Résistance) introduit les articles. En 1942, C. Romillat, cheftaine de la meute d’aveugles de Villeurbanne, « les loups joyeux », fait le récit de son expérience et donne quelques conseils aux futurs chefs : « Une meute d’aveugles n’est pas triste, elle n’est pas plus difficile à mener qu’une autre, il n’y faut ni plus ni moins de dévouement. Ces enfants aiment rire, jouer, chanter comme tous les autres. Essayez d’oublier qu’ils sont aveugles, ce sera difficile les premiers jours et puis vous y parviendrez sans y penser et vous verrez les enfants se transformer en jeunes  loups avides de connaître les aventures de Mowgli et de partir en chasse avec lui, même en terrain accidenté, comme les voyants. »  En 1943, extrait du rapport de camp : « Camp dans les Hautes-Alpes, un routier aveugle se permet d’attraper huit truites. »…

En 1945, Jeanne Frémont, cheftaine à Berck, à l’hôpital pour enfants tuberculeux osseux, écrit : « L’Extension, c’est peut-être la plus belle manière de faire du scoutisme. À entendre un des anciens éclaireurs allongés, ce serait peut-être la meilleure manière de se rendre compte de la valeur de la méthode. »

De 1937 à 1940, Henriette Duphil (épouse de René Duphil, « Castoret ») a été cheftaine de louveteaux à Toulouse. Sa meute d’Extension, « les micocouliers », a été créée avec les élèves de sa classe de perfectionnement. Elle raconte avec de savoureux détails, et beaucoup d’humour, l’évolution de son vécu et l’apport incontestable du scoutisme à son « petit troupeau » prisonnier d’une classe sombre.

Je constate que ce numéro spécial Extension comporte une partie importante réservée à l’enfance « délinquante » et au rôle que les Éclaireurs ont joué à cette époque dans les institutions publiques d’éducation surveillée. Henri Joubrel a créé un service « sauvegarde de l’enfance » distinct du service Extension mais fonctionnant au sein du Mouvement, au 66 Chaussée d’Antin. Le rapport moral annuel des E.D.F. en rendait compte.