L’Extension et les relations internationales :
Sur le plan international, le rôle des E.D.F. a été déterminant. Après avoir eu l’initiative de créer une commission Extension du Scoutisme Français, Érable est parvenue à obtenir une commission internationale du scoutisme d’extension.
La commission française avait refusé de participer à un rassemblement réservé aux handicapés, l’AGOON – « une horreur, une véritable Cour des Miracles » avait déclaré Érable à une réunion de l’équipe nationale – et avait obtenu, en 1951, l’autorisation de faire participer des éclaireurs de l’extension aux futurs Jamborees. Au Jamboree de la Paix, en 1947, Érable avait noté la surprise du président de la République, Vincent Auriol, invité par des éclaireurs allongés à prendre un repas qu’ils avaient eux-mêmes préparé. Au Jamboree d’Autriche, en 1951, des éclaireurs sourds et des éclaireurs aveugles ont été intégrés à une troupe d’éclaireurs non handicapés. Le Jamboree au Canada en 1955 a été la grande aventure : trois troupes complètes du Scoutisme Français (une troupe d’aveugles, une troupe de sourds et une troupe de garçons en fauteuils en chariots plats de l’hôpital de Garches) y ont séjourné six semaines, la France étant la seule à avoir amené des unités d’extension. Nous avons fait la preuve, écrit Érable, que nos garçons pouvaient faire « comme les autres ».
Un détail significatif : sur la couverture de la plaquette éditée par l’O.M.M.S. en 1955, c’est un éclaireur de Garches qui symbolise l’extension, et de nombreuses photos de leur dernier camp illustrent leurs activités.
Les finances :
Pour aider à financer les multiples activités, souvent très coûteuses, des filles et garçons des unités d’extension, le service n’a pas voulu être à la charge du Mouvement. Avec l’accord du Comité Directeur, Érable a mis en place des actions spécifiques :
– une vente, organisée chaque année,
– un « soir inhabituel », préparé pendant cinq ans par Érable et ses amis généreux.
La « Vente Extension » avait lieu, avant la période de Noël, dans les locaux du siège des E.D.F., au 66 de la Chaussée d’Antin. Nos bureaux devenaient pour 48 heures des magasins, tous les meubles disparaissaient, les grandes portes vitrées étaient enlevées, tous ces grands espaces hausmaniens avec planchers, cheminées, moulures étaient décorés spécialement, on installait des stands de librairie, jeux éducatifs, jouets, linge, objets précieux, verrerie, porcelaine… et un bar. Les commissaires nationaux étaient tour à tour déménageurs, décorateurs, vendeurs, avec les membres de l’équipe nationale Extension. Je revois encore Castoret (René Duphil), en bras de chemise, démontant les portes et René Baetens poussant les bureaux en chantant. Les jours de vente, nous étions tous derrière nos comptoirs, je tenais celui des jeux éducatifs. La semaine précédente, j’allais faire des commandes chez Bourrelier, Nathan, etc. ; les commandes étaient livrées, les invendus rendus aux maisons d’édition. Denise Kahn jouait un rôle important dans le choix des objets, elle allait les chercher même en province. La verrerie de Biot, avec ses superbes traditionnelles, avait une place de choix…
Le « Soir Inhabituel » a eu lieu pendant cinq ans, au cabaret des Ambassadeurs. Les commissaires nationaux du Mouvement étaient présents parmi les organisateurs, smoking et robe du soir remplaçaient pour quelques heures nos uniformes.
Comment est né ce soir inhabituel ? Pierre Morand, médecin dans une clinique, portait son uniforme E.D.F. sous sa blouse blanche quand il devait, après son service, se rendre à une réunion. Un jour, dans le parc de la clinique, Danièle Delorme, actrice alors très connue, l’avait aperçu, s’était étonnée et lui avait posé des questions. Pierre Morand avait raconté son engagement dans le scoutisme d’extension laïque auprès des enfants en rééducation de séquelles de poliomyélite à l’hôpital de Garches. Danièle Delorme, émue et intéressée, avait proposé son aide. Elle était allée voir les éclaireurs, avait poussé les chariots et les fauteuils… et s’était engagée à monter une soirée avec des artistes bénévoles afin de procurer de l’argent nécessaire au financement des sorties et camps des éclaireurs handicapés. Daniel Gélin puis Yves Robert ont participé au lancement de ces soirées, dont Alain Duchemin a été un organisateur des plus motivés.
Ce « soir inhabituel » était réalisé grâce à des artistes, les plus prestigieux de l’époque ; textes, poèmes, dessins étaient produits bénévolement pour réaliser le programme, de grandes maisons participaient aux cadeaux et subventionnaient. Tous savaient que cette soirée « paillette » était organisée au profit des jeunes handicapés des E.D.F.
Un souvenir : alors que nous préparions la salle, j’ai assisté aux répétitions d’Yves Montand sous l’œil attentif de Simone Signoret. L’artiste répétait sur scène et mettait au point, avec les techniciens de l’éclairage, la projection de son ombre portée sur le fond de scène.
Dans les régions :
Dans les régions, l’extension avait aussi pris toute sa place. En témoigne une brochure « livre d’or » parue en 1961, éditée pour le cinquantenaire du Mouvement par les E.D.F. de la région Languedoc-Gascogne.
Cette brochure comporte un article de Louis Bives intitulé « Pourquoi le scoutisme d’extension ? Comment procède-t-il ? » Louis Bives écrit : « Soulignons tout d’abord le fait que le scoutisme d’extension vit à l’intérieur d’un Mouvement d’enfants et de jeunes “ bien portants ”. Ceci constitue une double richesse : tout d’abord, par les contacts et les liens que cela entraîne entre les enfants “ en difficultés ” et le monde réel. Puis parce que cette appartenance oblige le scoutisme d’extension – avant tout soucieux de dignité humaine – à prouver sans cesse qu’il est le même scoutisme que celui de tous les autres, un scoutisme authentique dont ils peuvent être fiers. Cette preuve à faire n’est évidemment pas une simple profession de foi, mais se traduit dans les faits, dans l’action par la nécessité d’offrir et de faire pratiquer aux enfants, qu’ils soient déficients sensoriels, déficients moteurs ou débiles mentaux, des activités de valeur égale à celles pratiquées par ceux qui voient, entendent ou comprennent sans difficulté. »
Les routiers de Toulouse ont, pendant trois ans, animé un clan à l’hôpital Purpan auprès de jeunes garçons et filles en rééducation de séquelles de poliomyélite (courses de voitures, camp d’été dans des cabanes de pécheurs…). De nombreuses unités ont fonctionné dans des I.M.P. ou I.M.P.P. à Castres et à la House (Gers), à Pech-Blanc (Tarn et Garonne), à Toulouse des unités ont été créées dans des centres de réadaptation fonctionnelle et des foyers de l’enfance à Ramonville Saint-Agne.
En conclusion…
Ce témoignage n’apporte qu’une image extérieure de ce qu’a représenté le service Extension. Je n’ai jamais dirigé une unité avec des enfants handicapés. Le vécu de tous ceux qui ont été auprès des louveteaux et éclaireurs « comme les autres » donnait une dimension parfaitement humaine à la réalité de chaque jour.
Denise Kahn, la première coéquipière d’Érable, a toujours accompagné Érable, dans les jours heureux et dans les turbulences. Elle est la seule membre de la première équipe Extension encore présente, bien vivante dans l’évocation de ses souvenirs. Par fidélité à Érable, elle a maintenu une « équipe Extension » : l’épouse de Pierre Morand, le fils de Daniel Levif prolongent autour de Denise la mémoire des anciens…