Cet espace potentiel de vacances « adaptées » se situe donc bien entre rupture et continuité. Rupture avec le quotidien et le cadre de référence habituel, mais aussi continuité nécessaire dans une inscription sociale.
Après le scoutisme d’extension, et celui d’intégration, voilà qu’arrive la volonté sociale d’inclusion. Depuis son origine le scoutisme est traversé par ces mouvements du dedans dehors, du pareil pas pareil, du comme les autres ou avec les autres.
Pour rappel, Sir Lord Baden Powell, militaire de carrière, marqué par la jeunesse britannique des quartiers désœuvrés, livrée à la drogue et au tabac, souvent en mauvaise santé et délinquante, décide de mettre en pratique, au service de jeunes garçons et dans une optique de paix, tous les principes qu’il a observés à la guerre. Il organisera alors un camp de huit jours avec vingt garçons de différentes classes sociales sur l’île de Brownsea. L’accueil des publics défavorisés est déjà là, dès l’origine.
1909, Crystal Palace. B.P. organise le 4 novembre 1909 un Rallye pour le jeune mouvement scout. Mais un choc culturel va se produire. Dans la foule des garçons, un petit groupe de filles arbore fièrement l’uniforme scout : chapeau kaki, foulard et chemise d’uniforme, bâton d’éclaireur. On dit qu’il aurait eu cette remarque : « Mais que viennent faire là ces filles ? »
Voilà comment Fernand Joubrel raconte cet épisode dans le chasseur français n° 605 de 1942. Baden-Powell a raconté lui-même cette rencontre dans un journal anglais : « Les filles ne m’ont pas demandé mon avis pour pratiquer le scoutisme. En 1909, au lendemain de la fondation officielle du mouvement masculin, j’avais résolu de tenir un congrès des aspirants-éclaireurs au Crystal-Palace, à Londres. Je me demandais combien de garçons viendraient. Il en vint… 11 000 !
Dans cette foule, je découvris quelques fillettes, coiffées du chapeau kaki à larges bords, munies d’un sac et d’un bâton.
— Qui êtes-vous ? m’écriai-je.
— Nous sommes les éclaireuses !
— Vous êtes insensées !
— Non, éclaireuses… »
Et l’on sait combien de temps a mis le scoutisme pour accepter la mixité dans ses rangs. La coéducation a aussi été une histoire de lutte.
Le mouvement scout a donc été traversé par des contradictions dialectiques, entre un désir d’intégration et une organisation en communauté de vie qui coexistent sans vraiment cohabiter.
Cette idée de permettre à certaines catégories « genrées », ou avec des particularités, de vivre ensemble dans un espace communautaire de semblables réunis, et alors d’exclure les différences vécues comme possiblement discriminatoires par les autres catégories sociales, est donc une histoire ancienne, née avec la naissance du scoutisme.
Le scoutisme d’extension n’y échappe pas, et les visites de camps que j’ai pu faire parfois, m’ont permis de voir combien était affirmé et revendiqué ce choix d’une vie entre pairs, avec les mêmes difficultés (je pense là aux jeunes sourds tout particulièrement) pour partager des moments d’apaisement, hors du combat quotidien de l’intégration.
Il n’y a pas, pour moi, à faire un choix entre l’intégration ou la vie communautaire. Et je pense que les EEDF ont toujours défendu cette idée que et l’une et l’autre devaient exister et se développer.
Cependant, des changements sont en route concernant l’accueil des personnes en situation de handicap, que ce soit avec la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ou que ce soit avec les recommandations du Conseil des ministres de la communauté européenne de 2010 concernant la politique de désinstitutionalisation prônant la fin des établissements.
Les questions du Pouvoir d’agir (empowerment), du parcours coordonné, des dispositifs « zéro sans solution » et bien sûr la volonté de faire vivre l’Inclusion traversent obligatoirement le champ des loisirs, et d’autant plus s’ils se revendiquent d’éducatifs.
Autre figure de la mythologie grecque : Héphaïstos. Dieu laid, boiteux et difforme, il fut jeté par sa mère Héra du haut de l’Olympe. Il régna, dans le monde souterrain comme forgeron, hors des regards. C’est lui qui construit la boîte contenant tous les maux, crimes et chagrins, celle que Pandore eut le malheur d’ouvrir. Tous se répandirent, incontrôlables, sauf l’espérance qui resta là, seul réconfort de l’humanité en détresse
Héphaïstos laid et difforme, jeté hors du monde des Dieux par sa mère, est donc cantonné à rester sous terre. Déjà l’exclusion est là.
Cependant, les humains, et c’est tout à leur honneur, ont choisi de lutter contre cette exclusion du différent, et de vivre avec eux et même de mettre en lumière ces autres pareils à eux, mais mal construits, et si proche d’eux dans l’humanité.